Anna* a 11 ans quand elle attrape le Covid pour la première fois, en février 2022. Après une deuxième infection, elle commence à tomber malade de plus en plus souvent. «A partir d'octobre 2023, elle ne s'est plus rétablie. C'était comme un black-out, rien ne fonctionnait», retrace sa mère, Patricia Trattmann.
L'adolescente peut à peine sortir du lit, ressent constamment de violents maux de tête et a de très fortes nausées. «Elle vomissait 10 à 15 fois par jour, parfois même la nuit. Sa tête tournait lorsqu'elle se levait, elle ne pouvait pas marcher droit, et avait des problèmes de digestion», complète Patricia Trattmann.
Le pédiatre leur explique qu'il s'agit probablement d'une maladie chronique liée au virus, mais le chemin pour obtenir un diagnostic va se révéler extrêmement éprouvant. La jeune thurgovienne doit d'abord voir plusieurs spécialistes, afin d'exclure toute autre maladie. Lorsqu'elle est admise à une consultation spécialisée en Covid long, à Winterthour, les choses ne s'améliorent pas vraiment. «Le médecin m'a dit que j'étais trop compliquée pour avoir un Covid long et que mes symptômes ne correspondaient pas à cette maladie», se souvient Anna.
Résultat: Anna doit voir un neurologue, qui lui dit de retourner à l'école dès que possible et de s'adresser à une clinique psychosomatique. «Si nous avions suivi ses conseils, elle serait aujourd'hui en fauteuil roulant. C'est exactement ce qu'il ne faut pas faire», s'indigne Patricia Trattmann.
Ce scepticisme, Erika Sjögren le connaît très bien. Sa fille Lea, 15 ans aujourd'hui, tombe malade en 2021. Elle se rétablit, puis, du jour au lendemain, n'arrive plus à sortir du lit. «Elle était épuisée et avait de forts maux de tête», raconte sa mère.
L'année suivante, on lui demande d'aller à l'école toute la journée, au lieu d'une demi-journée. Erika Sjögren est dubitative, mais Lea veut quand même essayer. «Elle a commencé à s'endormir en classe, et a été placée dans une clinique psychiatrique», indique la Zurichoise.
Ce ne sera pas la dernière fois qu'elle se heurtera à l'incompréhension des écoles. Erika Sjögren affirme en effet avoir eu beaucoup de problèmes à ce niveau.
Tant à l'école que chez le médecin, on lui répète que Lea doit essayer de faire un effort. Qu'elle a juste besoin de faire une longue marche, pour voir «ce qu'elle peut vraiment faire». «Le gros problème avec cette maladie, c'est que, si on en fait trop, on s'effondre», souligne Erika Sjögren. «Il est très difficile d'être pris au sérieux, et je ne comprends pas pourquoi», remarque-t-elle.
«Je suis physiothérapeute, mon père était médecin. J'ai toujours cru en notre médecine, mais cette histoire m'a fait changer d'avis», abonde Patricia Trattmann. «J'ai réalisé à quel point cette maladie était méconnue en Suisse».
Anna ne recevra son diagnostic qu'en août 2024, à l'hôpital pédiatrique de Zurich. Elle est atteinte de Covid long dans sa forme la plus grave, le syndrome de fatigue chronique (ME/SFC). «Le fait de mettre un nom sur ma maladie m'a vraiment aidée», réagit-elle. «Ce n'est pas comme si je pensais que j'étais folle, mais cela m'a permis de montrer aux autres que je n'inventais rien».
Lea s'adresse également à une consultation spécialisée, où elle doit passer de très nombreux examens médicaux. Lors de son séjour à la clinique psychiatrique, on a découvert qu'elle est autiste. «Personne ne l'avait remarqué auparavant», souligne sa mère. Pour cette raison, les médecins de l'hôpital pédiatrique ne peuvent pas poser de diagnostic officiel. «Ça n'a rien à voir», s'insurge Erika Sjögren. «C'est complètement absurde».
Pour elle, c'est une évidence. Le changement subi par sa fille n'a qu'un seul responsable: le Covid long. «Avant de tomber malade, Lea était très active: elle jouait de deux instruments, dansait, et était toujours dehors avec ses lapins», raconte Erika Sjögren. «Maintenant, elle n'a plus de vie, ne peut plus rien faire. Elle va deux heures par jour à l'école, et c'est tout».
L'adolescente fréquente une école privée, où elle a été admise après avoir tenté plusieurs instituts, sans succès. Comme elle, les autres élèves ont des besoins spéciaux et ne peuvent pas continuer leur scolarité comme avant.
Le reste du temps, Lea est allongée sur le canapé et arrive tout au plus à lire un peu. Comme la lumière lui fait mal aux yeux, elle doit souvent rester dans une pièce complètement noire et doit porter des lunettes de soleil. Le bruit est aussi un problème, raconte sa mère.
Depuis le début de sa maladie, l'état de Lea s'est aggravé, estime Erika Sjögren. L'été dernier, elle arrivait encore à marcher ou prendre le bus. Maintenant, ce n'est plus possible. «Je pense que cela est aussi dû au fait qu'on l'a souvent obligée à faire plus que ce qu'elle pouvait faire. Qu'on ne l'a pas crue, qu'on ne m'a pas crue», constate-t-elle.
Pour Anna et sa famille, les choses ont changé lorsqu'on leur propose de voir une physiothérapeute spécialisée de l'hôpital de Wolhusen/Lucerne. Elle leur donne des conseils sur l'alimentation et, surtout, leur fait découvrir le «Pacing» («rythme» ou «cadence», en français): un système qui divise la journée de la personne malade en plusieurs sections, afin de gérer son énergie de la meilleure des façons.
Il s'agit d'une routine très stricte, où tout est minutieusement minuté. Anna se réveille à 08h30. Après avoir pris son petit déjeuner, elle se repose et, à 10h00, suit des cours à distance pendant 40 minutes. Puis, elle se repose encore. «C'est très important de détendre mon corps après chaque activité», explique-t-elle. Pour ce faire, elle écoute de la musique, et tente de faire «des choses qui ne demandent pas trop d'énergie».
Après le déjeuner, elle doit faire une sieste d'environ une heure et demie, suivie par une promenade d'un quart d'heure - et d'une pause d'une durée à peu près équivalente. Ensuite, elle fait ses devoirs. Parfois, elle appelle ou reçoit ses amis. Après le dîner, elle regarde un peu de télévision avec sa mère, avant d'aller au lit, à 20h00.
«C'est vraiment difficile, mais les choses s'améliorent», assure Anna, qui estime que cette routine l'a beaucoup aidée. «Je n'ai plus eu de crise depuis trois mois, ce qui est énorme».
Quand les choses vont bien, l'adolescente ajoute de petites choses dans une section. «Nous cherchons d'en faire un petit peu plus, jusqu'à ce que je puisse retrouver ma vie d'avant, j'imagine», complète-t-elle.
Certains symptômes persistent. Anna a un mal de tête qui ne disparaît jamais. «J'ai appris à vivre avec, et ce n'est pas aussi grave qu'il y a quatre mois. La situation s'améliore, mais il est là tout le temps», décrit-elle. Parfois, elle a l'impression d'être sur le point de s'évanouir; d'autres fois, elle voit un voile noir devant ses yeux, quand elle se lève. «Je suis surstimulée lorsque je suis avec beaucoup de monde, mon visage devient rouge. Mon rythme cardiaque est toujours élevé», ajoute-t-elle.
Un traitement médicamenteux pour soigner le Covid long n'existe pas. Lea a tenté plusieurs méthodes, plus ou moins expérimentales, avec des résultats contrastés. «La situation médicale est vraiment mauvaise», commente Erika Sjögren. Sans compter que les rares spécialistes sont surbookés. Les temps d'attente s'élèvent souvent à plusieurs mois.
L'adolescente sera bientôt suivie par des soignants spécialisés dans le ME/SFC, qui pourront la voir à domicile une fois par semaine. «J'espère que cela pourra apporter de nouvelles idées», dit Erika Sjögren. Le problème de fond, c'est qu'il n'y a presque aucun financement pour la recherche, estime-t-elle.
L'argent est aussi un problème au sein du foyer. Face à la maladie de sa fille, Patricia Trattmann a dû réduire de moitié son taux de travail. «Si vous avez un enfant malade, vous ne pouvez pas aller travailler. A cause de cela, nous manquons d'argent», raconte-t-elle.
Erika Sjögren dit avoir la chance de pouvoir travailler en partie à domicile. «Lea a besoin de moi quatre à cinq heures par jour. Aller constamment au bureau serait catastrophique». Elle a demandé des allocations à l'assurance invalidité (AI), qui les a refusées.
«Il n'y a aucun soutien de la part de l'AI», déplore la Zurichoise, qui dénonce le caractère aléatoire de la démarche. «Le fait que vous receviez de l'argent ou non dépend de la personne sur laquelle vous tombez, ce qui ne devrait pas être le cas».
A noter que, pour l'heure, la ville de Zurich paye pour l'école spécialisée de Lea. A partir de l'année prochaine, c'est l'AI qui devrait s'en charger, mais rien n'est moins sûr. Pour que cela soit possible, l'adolescente doit passer l'examen officiel pour accéder au gymnase. «Avec tous ses problèmes, je ne pense pas qu'elle soit en mesure de le faire, elle aurait besoin de deux fois plus de temps», confie sa mère.
En plus de ces difficultés pratiques, la maladie des deux adolescentes a totalement bouleversé la vie de leurs familles. «Cela fait un an et demi que nous ne sommes pas sortis», confie Patricia Trattmann. Elle a la chance d'avoir une maison de vacances au Tessin, où ils peuvent se rendre avec Anna. «Mais, sinon, nous ne pouvons pas sortir, aller au restaurant, faire une randonnée. Ce n'est pas possible», regrette Patricia Trattmann.
Pour le frère d'Anna, qui a maintenant 12 ans, ce n'est pas facile non plus, poursuit leur mère. Et d'ajouter:
Lea a également un petit frère. «C'est très difficile pour lui», raconte Erika Sjögren: «Sa grande sœur est censée être un modèle, mais elle ne peut pas l'être. Il m'aide pour beaucoup de choses, puisque Lea ne peut pas, mais c'est très frustrant pour eux».
Dans ces conditions, penser à l'avenir peut se révéler difficile. «Je ne peux pas me le permettre, car j'ai peur», avoue Patricia Trattmann. «Je ne sais pas comment les choses auront évolué d'ici un an». Comme sa fille, la Thurgovienne pense qu'il faut «rester positif»: «Nous nous sommes organisés, et Anna va beaucoup mieux maintenant. Il faut se concentrer là-dessus».
De nombreux enfants et adolescents se trouvent dans la même situation qu'Anna et Lea en Suisse. Des chiffres officiels n'existent pas, mais, selon les estimations de l'association Long Covid Suisse, ils seraient environ 18 000.
*Anna est un prénom d'emprunt