Suisse
Sciences

«Elon Musk dit qu'il ferait marcher les paralysés, on l'a fait»

Swiss neuroscientist and neurosurgeon Jocelyne Bloch (left) and French neuroscientist Gregoire Courtine (right) pose during a press presentation, in Lausanne, Switzerland, Friday, November 3, 2023. In ...
Jocelyne Bloch et Grégoire Courtine, en novembre dernier.Keystone

«Elon Musk a dit qu'il ferait marcher les paralysés, nous on l'a fait»

Ils font marcher les paralysés. Et c'est dingue. Que dire de plus? Nous avons rencontré Jocelyne Bloch, neurochirurgienne, et Grégoire Courtine, neuroscientifique, pour discuter de leurs méthodes révolutionnaires.
20.10.2024, 07:0520.10.2024, 23:02
Plus de «Suisse»

C'est un des vieux rêves de l'humanité: faire marcher ceux qui ne le peuvent plus. En 2018 au Chuv, les journalistes dont je faisais partie n'en revenaient pas: Sebastian Tobler, sportif devenu tétraplégique depuis une chute, marchait, aidé d'un harnais et d'un système révolutionnaire, restaurant le lien électrique entre son cerveau et le système nerveux de ses membres touchés.

👇🏻

EMBARGO UNTIL OCTOBER 31, 19:00 CET - Swiss paraplegic patient Sebastian Tobler, center, walks thanks to the electrical stimulation of his spinal cord surrounded by Professor Gregoire Courtine, right, ...
Image: KEYSTONE

Derrière ces avancées majeures: Grégoire Courtine, neuroscientifique, et Jocelyne Bloch, neurochirurgienne. Leurs travaux sont répartis entre l'Université de Lausanne (Unil) et son école polytechnique (EPFL), où ils donnent des cours. Ensemble, ils dirigent le laboratoire Neurorestore, lié au Chuv, où les opérations sont réalisées. Et enfin, ils sont derrière Onward Medical, leur propre entreprise de medtech qui vise à faire breveter et commercialiser les systèmes qu'ils développent.

French neuroscientist Gregoire Courtine poses during a press presentation, in Lausanne, Switzerland, Friday, November 3, 2023. In a study newly published in "Nature Medicine", Swiss scientis ...
Né à Dijon, Grégoire Courtine a étudié à à l'Université de California. Il a ensuite été professeur associé à l'EPFZ, avant d'être «transféré» à sa sœur romande.
Keystone

De cet écosystème naît un des projets scientifiques les plus novateurs du siècle. Depuis 2018, leurs projets vont bon train. watson est allé poser quelques questions à ces deux scientifiques présents dans la liste de «Time 100 Health», soit celle des 100 personnes qui influencent le plus la médecine dans le monde.

Swiss neuroscientist and neurosurgeon Jocelyne Bloch poses during a press presentation, in Lausanne, Switzerland, Friday, November 3, 2023. In a study newly published in "Nature Medicine", S ...
Née à Genève, Jocelyne Bloch est neurochirurgienne au Chuv, professeure à l'Unil, où elle a étudié, et à l'EPFL.Keystone

Faire remarcher les paralysés, c’est un vieux rêve de l’humanité. Qu’est-ce que ça fait de savoir que c'est vous qui le réalisez?
Grégoire Courtine:
Ça pousse à l'humilité. Nous avons comme mission de faire remarcher les paralysés. Est-ce qu'on va réussir? Je ne sais pas. D'ailleurs, est-ce qu'on peut dire que nos patients marchent vraiment? Ils piétinent, on va dire.

Jocelyne Bloch: Ils piétinent? Je suis plus optimiste que toi, ça leur fait beaucoup de bien! La définition de remarcher est large, c'est sûr. Mais on leur donne un espoir de rebouger.

GC: Un neurologue dira toujours qu'on peut en faire plus. Et un patient trouvera cela extraordinaire. A la faculté de médecine, on apprenait jusqu'à récemment un dogme: si une personne paralysée ne retrouvait pas l'usage du mouvement après quelques mois, c'était terminé, elle le resterait à vie.

«Nous sommes en train de changer ce paradigme»

Comment fonctionne votre système?
GC:
Il est nommé «Arc» et est basé sur le principe de neurostimulation de la moelle épinière. Il consiste en une série d'électrodes collées sur la peau du patient (Arc-Ex) ou d'implants posés entre la moelle et les vertèbres (Arc-Im), sous forme d'une sonde épidurale recouverte d'électrodes et implantée chirurgicalement.

La vidéo du système 👇🏻

JB: Arc-Ex est plus simple et moins invasif: on colle des électrodes qui vont stimuler la moelle épinière durant des séances de réhabilitation. Arc-IM permet d'implanter des électrodes sur la moelle épinière, ce qui rend le stimulateur disponible en permanence.

GC: Ce dernier est plus efficace, plus précis et toujours disponible. Grâce à ces stimulations ciblées, le patient peut recouvrer ses sensations, bouger à nouveau les bras, les mains ou les jambes. Notre méthode permet aussi de réguler les systèmes autonomes, comme la pression artérielle ou la vessie, qui posent souvent problèmes avec les patients paralysés.

Neuroscience engineer Eduardo Martin shows the parameters of the implanted neuroprosthetic carried by Parkinson's diagnosed patient Marc (back) during a press presentation, in Lausanne, Switzerla ...
Keystone

Vous avez aussi un système appelé Arc-BCI, soit «Brain-computer interface», une interface cerveau-ordinateur...
JB: C'est la version upgradée. Sans lui, les patients marchent sur commande informatique.

«Avec Arc-BCI, le patient peut créer le mouvement grâce à la pensée»

Pour ce faire, on pose sur le cortex moteur une boîte circulaire de 5 centimètres et qui contient 64 électrodes. On appelle ça un os électronique, car il remplace la boîte crânienne, d'environ 5mm d'épaisseur.

GC: Ça agit comme un «pont digital» entre le cerveau et la partie de la moelle épinière sous la lésion, qui contrôle les mouvements des jambes ou des bras. Le tout est optimisé notamment grâce à l'intelligence artificielle

epa10960731 French neuroscientist Gregoire Courtine shows an implantable neuroprosthetic device consisting in a set of electrodes (L) and controller (R) during a press presentation about French patien ...
Une électrode et un émetteur: tout le savoir-faire d'Onward dans ce petit boîtier.Keystone

JB: La spécificité de ce système, c'est d'abîmer le moins possible le cerveau pour recueillir autant d'informations que possible pour le stimulateur. Même si on le pose sous la boîte crânienne, c'est considéré comme «non-invasif», car on ne touche pas au cerveau... contrairement à la technologie développée par Neuralink, la société d'Elon Musk. Notre système me semble plus stable et viable sur le long terme.

Les patients sont-ils autonomes?
GC: Le système Arc-Ex a été appliqué sur 63 participants, qui ont montré une amélioration des mouvements même avec le système éteint.

JB: Dans notre étude actuelle, nous traitons neuf patients, dont trois avec des lésions complètes et il y a des progrès certains. Tous ont gagné en qualité de vie. Certains peuvent monter des escaliers, aller aux toilettes seuls ou se rendre chez des amis. Je ne parlerais pas d'autonomie complète, mais c'est un sacré gain.

Des patients peuvent-ils marcher seuls?
GC: Pour l'heure, le système complet n'a été posé que sur un seul patient, le néerlandais, Gert-Jan Oskam. Cela a eu lieu en plusieurs fois.

«Mais oui, il marche»

Un reportage de NBC sur Gert-Jan Oksam 👇🏻

JB: Le mois dernier, j'ai posé lors d'une chirurgie et pour la première fois le système complet d'un coup sur une personne. Cela s’est bien passé, la patiente s’est vite remise de l’opération. Le décodage de la pensée et la programmation de la stimulation de la moelle épinière ont été accomplis en quelques jours seulement. La patiente s’entraine à remarcher via des exercices quotidiens.

«Il y en aura au moins deux autres opérations similaires d'ici à la fin de l'année»

Avez-vous aussi traité des patients paralysés des membres supérieurs?
GC:
C'est justement le sujet d'une étude en cours. Pour l'instant, on n'a eu qu'un seul sujet. Ce que les patients veulent le plus souvent lorsqu'ils sont tétraplégiques, c'est pouvoir utiliser leurs membres supérieurs. Pour l'heure, ils doivent choisir entre utiliser leurs jambes ou leurs mains, car ils doivent s'appuyer avec l'aide de ces dernières pour marcher.

«Nous ne sommes pas arrivés au stade où un patient peut se mettre debout et effectuer une autre action»

Cela n'empêche pas certains d'utiliser le système plusieurs heures par jour. L'un d'entre eux se met debout pour prendre la parole, lors de meetings de travail. Il est aussi allé à un festival de musique, cet été, et a pu assister à un concert debout.

Comment en êtes-vous arrivés à développer cette technologie:
GC:
Le principe de stimulation électrique de la moelle épinière est connu depuis 1914, ça ne date donc pas d'hier. Des expériences de stimulation, j'en ai fait sur des rats lors de mon post-doctorat à l'Université de Californie (UCLA). Mais quand l'expérience prend fin, la stimulation aussi. La moelle épinière est activée par le cerveau d'une manière spatiale et temporelle.

«La stimulation doit avoir lieu au bon endroit et être régulière. La clé réside là»

Cela a guidé le développement des implants pour les humains.

Quelles découvertes récentes de la technologie ont permis de faire progresser vos recherches?
GC: La grande spécificité récente est plutôt informatique: arriver à traduire l'information électrique nerveuse en code. Il faut décoder les intentions et renvoyer un signal vers le stimulateur, l'électrode, pour que quand quelqu'un pense à faire un pas, il le fait réellement. Et le tout se passe dans une latence très courte.

«L'intelligence artificielle nous permet de configurer la stimulation et de déchiffrer ce qui se passe dans le cerveau»

Avez-vous d'autres projets de maladie à guérir?
JB: Nos prochains projets consistent à traiter les séquelles d'un accident vasculaire cérébral (AVC) et contourner les zones du cerveau atteintes par celui-ci. Nous allons aussi intégrer le système complet à des patients atteints de la maladie de Parkinson, qui sont atteints dans leur mobilité.

Vous avez déposé une demande auprès de la FDA, l'organisme américain de contrôle des médicaments, pour commercialiser Arc-Ex. Dans quelques années, vos «piétineurs», il pourrait y en avoir des milliers?
JB: Des milliers de piétineurs... (rires) L'objectif, c'était de permettre aux gens de bouger à nouveau, de sortir du labo en étant autonomes.

«Imaginer ce système accessible à des milliers de personnes, c'est un rêve»

GC: Mais passer de 0 à 1 patient qui marche est peut-être aussi difficile que de passer de 1 à 1000.

Comment ça?
GC:
De 0 à 1, c'est l'aspect scientifique. Passer du rat paralysé qui remarche à l'humain paralysé qui remarche et perfectionner le système. Mais passer de 1 à 1000 humains qui remarchent, c'est tout aussi compliqué, voire plus.

«On dépend de plein d'autres gens et de structures: la FDA, les assurances, des sociétés tierces, les investisseurs»

Notre système va tout d'abord être commercialisé pour la pression artérielle, mais pas pour marcher de manière autonome. Le jour où il y aura 1000 paralysés qui pourront marcher avec...

JB: ...on ira se faire une petite fête.

GC: Une grande fête, oui! (Ils échangent des sourires complices)

EMBARGO UNTIL MAY 24, 17:00 CET - Dutch paraplegic patient Gert-Jan, center, who can walks thanks the Brain Computer Interface (BCI) enables thought-controlled walking after spinal cord injury, poses  ...
Grégoire Courtine, le patient Gert-Jan Oskam et Jocelyne Bloch. Image: KEYSTONE

Imaginez-vous: un millier de vos patients, comme le premier, qui assistent à un concert, debout.
GC:
Oui, ce serait sympa d'avoir une armée de cyborgs au Paléo. On appelle nos patients les cyborgs. On rigole, ils sont assez drôles et le prennent bien. Certains ont des stimulateurs de moelle épinière, des implants au niveau du cerveau...

«...c'est un peu "l'Homme qui valait trois milliards"»

Vous êtes entrés à la Bourse de Paris. Trouver des investisseurs, c'est compliqué, même avec un produit révolutionnaire?
GC: En ce moment, les gens ne courent pas après les projets medtech pour investir. C'est le contraire, même pour nous: il faut toujours convaincre. Et puis, derrière notre projet, il y a tout un pan académique. Il faut des preuves de concept.

Vous avez été conviés par Jeff Bezos à sa conférence Mars. Pouvez-nous en dire plus?
GC: On l'a rencontré lors de la conférence Mars (Machine learning, robotics, automation and space), on a passé trois jours avec lui. C'est un type très intelligent, très à l'écoute. Il a une vision pour l'humanité.

«Les implants médicaux, ça l'intéresse, mais son truc, c'est surtout l'espace»

JB: On aime sa manière de penser, en termes de sciences, mais aussi pour le futur de l'humanité. Et la paralysie est un des problèmes de l'humanité.

Jeff Bezos ne dirige plus depuis juillet 2021 Amazon, mais reste son plus gros actionnaire (archives).
Jeff Bezos à la conférence Mars de 2019.Keystone

Est-ce qu'il va investir dans vos travaux?
GC: On discute. Il aime beaucoup ce qu'on fait.

S'il vous fait une offre pour venir continuer vos travaux aux Etats-Unis, considérez-vous y aller?
GC: Non, on compte rester en Suisse. On est très bien ici. On a construit quelque chose d'unique, en fédérant des jeunes très talentueux avec qui on a envie de s'investir au sein de NeuroRestore, pour que nos objectifs avancent.

«On ne va pas partir dans un an et demi à la Sillicon Valley»

JB: On a pas mal de projets en Suisse, comme avec le centre pour paraplégiques de Notwil, dans le canton de Lucerne.

Le grand rival de Jeff Bezos, c'est Elon Musk. Je vois d'ailleurs son nom sur une enseigne de déco derrière vous... avec un doigt levé.
GC: C'est pour rigoler. Pour tout dire, on adore Elon. Ce qu'il fait, c'est génial. Il est fascinant.

«C'est un excentrique, mais il a fait avancer tellement de choses»

Grâce à Neuralink, on parle beaucoup des implants corticaux et c'est ce qu'on fait aussi. Au final, il a les mêmes centres d'intérêts que Jeff Bezos. Ils font les mêmes choses et sont très riches. Leur rivalité fait parler le grand public... et les journalistes.

Grégoire Courtine, Jocelyne Bloch et une petite surprise pour Elon Musk.
Grégoire Courtine, Jocelyne Bloch et une petite surprise pour Elon Musk.Image: watson

Cela reste un genre de concurrent?
GC: Disons qu'Elon Musk a seulement dit qu'il ferait remarcher les paralysés.

«Nous, on l'a fait»

Vous l'avez aussi rencontré?
GC:
Non, juste le CEO de Neuralink. Mais un jour, on discutera avec Elon Musk autour d'un verre de vin.

Prochain objectif après les places boursières européennes, le Nasdaq américain?
GC:
Oui, on pourrait même fêter ça avec une armée de cyborgs entre les écrans géants Time square (rires). Plus sérieusement, on n'est pas prêts aujourd'hui, mais demain? Il faut qu'Onward ait des projections de revenus suffisantes.

«Il faut avoir les épaules larges pour aller au Nasdaq»

On fait ça «step by step». D'abord, il nous faut une autorisation de la FDA pour Arc-Ex — déjà approuvé par Swissmedic — puis Arc-Im.

FB: Dans l'immédiat, je vais être occupée au bloc opératoire.

À quelle fréquence pensez-vous à l’Empire romain?
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
EasyJet ajoute une nouvelle destination depuis Zurich
La compagnie aérienne britannique a annoncé mercredi l'ouverture d'une nouvelle ligne reliant Zurich à Rome. Les premiers vols décolleront fin mars 2025.

Avec cette nouvelle route vers Rome, le transporteur aérien à bas prix comptera 14 destinations au départ de Zurich pour la haute saison 2025, indique un communiqué. L'ouverture de deux nouvelles bases à l'aéroport de Rome Fiumicino et à celui de Milan.

L’article