On a visité le labo romand qui veut empêcher les fuites radioactives
Le petit bus monte les collines boisées du Jura avant de s'engouffrer dans un long tunnel. Après quelques centaines de mètres, il s'arrête devant une large porte. Sur le côté, une lumière orange s'allume. Assis sur la banquette, mon guide m'explique:
Sommes-nous dans un des bunkers secrets de l'armée? Pas du tout. Nous sommes à Saint-Ursanne, à l'entrée du laboratoire du Mont-Terri, qui mène des études liées à l'enfouissement des déchets radioactifs dans les sites argileux. Christophe Nussbaum, directeur du consortium Mont-Terri, fait visiter les lieux à watson. Il souligne d'emblée:
Que teste-t-on, alors? Ce dédale de tunnels, situé à 300 mètres sous la montagne, a pour but de tester l'étanchéité du système utilisé dans le futur site d'enfouissement du Stadel, entre les cantons de Zurich et d'Argovie.
Enfouissement en profondeur
Après le sas, le véhicule s'arrête. Christophe Nussbaum allume les néons, qui s'allument le long des galeries, dévoilant une roche pâle contre laquelle courent de nombreux câbles. Nous continuons à pied dans les tunnels.
Le scientifique nous emmène vers le cœur du laboratoire. Nous entrons dans une grande salle qui présente une galerie en cul-de-sac d'où émanent des fils dans tous les sens. Sur les côtés, des appareils de mesure sont connectés et des petites lumières clignotent. Le site a des airs de science-fiction.
On y reproduit un tunnel de stockage horizontal: au Stadel, les déchets seront enfouis sur ce modèle. Les caissons seront amenés sur des rails, puis entourés de granulés de bentonite (les mêmes que dans la litière pour chats), qui absorbent la chaleur.
Il refroidiront dans des conditions contrôlées et perdront de leur radiation sans impacter la population. Pour s'assurer que les tunnels du futur site seront bien étanches, on simule la chaleur que dégageront les «colis» par de puissants éléments chauffants. L'expérience a commencé en 2011 et doit durer encore vingt ans.
Tout est dans l'argile
Pour les géologues, trois roches sont adaptées pour un dépôt: le granit — comme en Finlande —, le sel, ou l'argile. C'est cette solution qui intéresse la Suisse et d'autres pays, comme la France. L'argile est imperméable, grâce à l’eau fossile qu’elle contient, et peut s’autocicatriser et colmater les fractures qui pourraient se former. Un réel avantage pour enterrer des déchets nucléaires.
L'expert met toutefois en garde: «La température des murs du tunnel ne doit pas dépasser les 80 degrés». Au-delà, l’eau si précieuse que renferment les roches argileuses s’échapperait et mettrait l'étanchéité du tunnel en danger. L'enjeu n'est toutefois pas ici d'empêcher coûte que coûte les caissons de fuiter.
Faut-il s'inquiéter? Notre guide nous rassure d'un sourire: «Cela prendra des dizaines de milliers d'années». Ensuite, le tunnel en argile fera office de «barrière géologique» naturelle. Le temps — très long — fera le reste: «Après 200 000 ans, les caissons seront désintégrés et la zone sera similaire à des roches riches en uranium», explique Christophe Nussbaum. La poussière retournera à la poussière — radioactive.
Une importance politique
Les expériences qui se tiennent dans ces tunnels ont aussi un impact politique. Le Conseil fédéral et le Parlement devront approuver le projet du Stadel dès 2029. Plusieurs organisations ont annoncé qu'elles s'y opposeraient. Un référendum pourrait être organisé dès 2030.
En cas d'acceptation, les premiers coups de pioche du site pourraient avoir lieu dès 2035. Christophe Nussbaum précise: «La gestion du stockage des déchets radioactifs est un projet qui dure 100 ans».
Stockage du CO2
Avant de nous laisser partir, Christophe Nussbaum souhaite nous montrer une autre expérience qui se déroule dans les entrailles du Mont-Terri. Il nous guide dans les tunnels froids et glaiseux jusqu'à un autre test: le stockage du dioxyde de carbone dans la roche.
Les Norvégiens ont acquis un savoir-faire certain en la matière. Ils injectent du CO2, capté en surface, dans ses poches géologiques de pétrole ou de gaz vidées. La méthode est jugée prometteuse pour réduire l'empreinte carbone de la Suisse et se rapprocher des objectifs de l'Accord de Paris, pour 2050.
Mais le Jura est bien loin de la mer du Nord: une des expériences teste des fuites de CO2 lorsque celui-ci est injecté dans l'argile. Les enjeux ne sont pas les mêmes qu'avec le nucléaire. «Il n'y a pas de danger pour la population», note Christophe Nussbaum, «mais cela pourrait acidifier les eaux, qu'il faudrait ensuite traiter».
Plusieurs générations
Au moment de quitter la fraîcheur du tunnel, un groupe de jeunes ados débarque. C'est leur génération qui verra peut-être le site du Stadel voir le jour: il ne sera pas prêt avant 2060. Peut-être que l'un d'eux y participera.
Le temps long, c'est le réel enjeu de tout ce qui est mené à Saint-Ursanne.
