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Le Mont-Terri qui veut empêcher les fuites radioactives

Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.
Bienvenue au Mont-Terri.Image: watson

On a visité le labo romand qui veut empêcher les fuites radioactives

Il existe en Suisse un laboratoire qui étudie et simule l'enfouissement des déchets radioactifs. Suivez le guide au Mont-Terri, un site d'importance mondiale situé au cœur du Jura et dont la future gestion est incertaine.
21.09.2025, 07:0321.09.2025, 07:03

Le petit bus monte les collines boisées du Jura avant de s'engouffrer dans un long tunnel. Après quelques centaines de mètres, il s'arrête devant une large porte. Sur le côté, une lumière orange s'allume. Assis sur la banquette, mon guide m'explique:

«Il faut attendre, c'est le sas de pressurisation»

Sommes-nous dans un des bunkers secrets de l'armée? Pas du tout. Nous sommes à Saint-Ursanne, à l'entrée du laboratoire du Mont-Terri, qui mène des études liées à l'enfouissement des déchets radioactifs dans les sites argileux. Christophe Nussbaum, directeur du consortium Mont-Terri, fait visiter les lieux à watson. Il souligne d'emblée:

«Il n'y a pas de matériel nucléaire ici, le canton l'interdit»
Christophe Nussbaum

Que teste-t-on, alors? Ce dédale de tunnels, situé à 300 mètres sous la montagne, a pour but de tester l'étanchéité du système utilisé dans le futur site d'enfouissement du Stadel, entre les cantons de Zurich et d'Argovie.

Qui pour gérer le laboratoire?
Construit en 1996, le Mont-Terri appartient au canton du Jura et est géré par Swisstopo, l'Office fédéral de la topographie de la Confédération. L'incertitude règne quant à son avenir. Swisstopo explique: «A la demande du Conseil fédéral, une possible transition de l’exploitation à un autre acteur à partir du 1er janvier 2027 sera examinée. Swisstopo recherche activement une solution de remplacement. L'objectif est de déterminer d'ici fin 2025 qui exploitera le laboratoire».

Enfouissement en profondeur

Après le sas, le véhicule s'arrête. Christophe Nussbaum allume les néons, qui s'allument le long des galeries, dévoilant une roche pâle contre laquelle courent de nombreux câbles. Nous continuons à pied dans les tunnels.

Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.

Le scientifique nous emmène vers le cœur du laboratoire. Nous entrons dans une grande salle qui présente une galerie en cul-de-sac d'où émanent des fils dans tous les sens. Sur les côtés, des appareils de mesure sont connectés et des petites lumières clignotent. Le site a des airs de science-fiction.

«2000 capteurs permettent de savoir comment se comporte le système et analysent la situation en temps réel»
Christophe Nussbaum
Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.
L'expérience principale du laboratoire.watson

On y reproduit un tunnel de stockage horizontal: au Stadel, les déchets seront enfouis sur ce modèle. Les caissons seront amenés sur des rails, puis entourés de granulés de bentonite (les mêmes que dans la litière pour chats), qui absorbent la chaleur.

Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.
Cette maquette permet de se faire une idée du dispositif.Image: watson

Il refroidiront dans des conditions contrôlées et perdront de leur radiation sans impacter la population. Pour s'assurer que les tunnels du futur site seront bien étanches, on simule la chaleur que dégageront les «colis» par de puissants éléments chauffants. L'expérience a commencé en 2011 et doit durer encore vingt ans.

Zwilag
Ce site «temporaire» basé à Würenlingen (AG), reçoit, traite et conditionne les déchets des centrales nucléaires suisses depuis 2001. Il peut accueillir 200 containers et en compte déjà 85, à raison d'environ cinq supplémentaires chaque année. La radiation et la chaleur y persistent durant des décennies.
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Image: sda

Tout est dans l'argile

Pour les géologues, trois roches sont adaptées pour un dépôt: le granit — comme en Finlande —, le sel, ou l'argile. C'est cette solution qui intéresse la Suisse et d'autres pays, comme la France. L'argile est imperméable, grâce à l’eau fossile qu’elle contient, et peut s’autocicatriser et colmater les fractures qui pourraient se former. Un réel avantage pour enterrer des déchets nucléaires.

«Les éléments radioactifs adhèrent aux minéraux argileux comme de la colle, ce qui empêche leur propagation»
Christophe Nussbaum
Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.
Christophe Nussbaum m'explique l'expérience avec passion.watson

L'expert met toutefois en garde: «La température des murs du tunnel ne doit pas dépasser les 80 degrés». Au-delà, l’eau si précieuse que renferment les roches argileuses s’échapperait et mettrait l'étanchéité du tunnel en danger. L'enjeu n'est toutefois pas ici d'empêcher coûte que coûte les caissons de fuiter.

«A terme, la corrosion de l'acier sera inévitable et les colis vont laisser filtrer les radiations»
Christophe Nussbaum

Faut-il s'inquiéter? Notre guide nous rassure d'un sourire: «Cela prendra des dizaines de milliers d'années». Ensuite, le tunnel en argile fera office de «barrière géologique» naturelle. Le temps — très long — fera le reste: «Après 200 000 ans, les caissons seront désintégrés et la zone sera similaire à des roches riches en uranium», explique Christophe Nussbaum. La poussière retournera à la poussière — radioactive.

Des enjeux inattendus
Si des humains du futur doivent tomber sur ces sites dans des milliers d'années, en quelle langue faut-il écrire les panneaux d'avertissement? Doit-on préférer des pictogrammes? Le dépôt d'Onkalo a purement et simplement décidé de ne rien indiquer. La logique? Dans 100 000 ans, impossible de dire à quoi ressemblera la Terre et la civilisation humaine pourrait tout aussi bien avoir disparu.

Une importance politique

Les expériences qui se tiennent dans ces tunnels ont aussi un impact politique. Le Conseil fédéral et le Parlement devront approuver le projet du Stadel dès 2029. Plusieurs organisations ont annoncé qu'elles s'y opposeraient. Un référendum pourrait être organisé dès 2030.

«Il faudra donner à la population les données scientifiques récoltées durant ces expériences»
Christophe Nussbaum

En cas d'acceptation, les premiers coups de pioche du site pourraient avoir lieu dès 2035. Christophe Nussbaum précise: «La gestion du stockage des déchets radioactifs est un projet qui dure 100 ans».

Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.
Au Mont-Terri, 22 partenaires privés et institutionnels de dix pays différents travaillent avec le laboratoire.watson

Stockage du CO2

Avant de nous laisser partir, Christophe Nussbaum souhaite nous montrer une autre expérience qui se déroule dans les entrailles du Mont-Terri. Il nous guide dans les tunnels froids et glaiseux jusqu'à un autre test: le stockage du dioxyde de carbone dans la roche.

«En Norvège, cela fait 25 ans qu'on stocke le CO2»
Christophe Nussbaum

Les Norvégiens ont acquis un savoir-faire certain en la matière. Ils injectent du CO2, capté en surface, dans ses poches géologiques de pétrole ou de gaz vidées. La méthode est jugée prometteuse pour réduire l'empreinte carbone de la Suisse et se rapprocher des objectifs de l'Accord de Paris, pour 2050.

Mais le Jura est bien loin de la mer du Nord: une des expériences teste des fuites de CO2 lorsque celui-ci est injecté dans l'argile. Les enjeux ne sont pas les mêmes qu'avec le nucléaire. «Il n'y a pas de danger pour la population», note Christophe Nussbaum, «mais cela pourrait acidifier les eaux, qu'il faudrait ensuite traiter».

Reportage au laboratoire du Mont-Terri, au-dessus de Saint-Ursanne, dans le Jura.
L'expérience a pour but de développer des «protocoles d'injection». Elle dure entre cinq et dix ans.watson

Plusieurs générations

Au moment de quitter la fraîcheur du tunnel, un groupe de jeunes ados débarque. C'est leur génération qui verra peut-être le site du Stadel voir le jour: il ne sera pas prêt avant 2060. Peut-être que l'un d'eux y participera.

«Le Mont-Terri, c'est un projet qui s'étale sur plusieurs générations»
Christophe Nussbaum

Le temps long, c'est le réel enjeu de tout ce qui est mené à Saint-Ursanne.

Les images exclusives du chantier du tunnel du Gothard
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Les images exclusives du chantier du tunnel du Gothard

Portail nord du tunnel.

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La meilleure vue pour les aurores boréales est dans l'ISS
Video: watson
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