Dans le jargon des éducateurs canins et des comportementalistes, on les appelle les «chiens Covid». Non pas parce qu'ils ont contracté la fameuse maladie, mais à cause de troubles de l'attachement dont ils souffrent. Selon les spécialistes, depuis que le Covid a commencé à bouleverser le quotidien de la planète, des symptômes d'une ampleur inégalée ont été constatés chez les canidés.
Présidente de la Fédération romande de cynologie, Gina Métrailler explique comment on en est arrivé là:
Natacha*, une Vaudoise d'une trentaine d'années, sait à présent ce qu'est un chien Covid. «Les voisins m'ont signalé que mon chien hurlait à la mort durant mon absence. Au début, raconte la trentenaire, j'étais incrédule car, normalement, il est tout calme. Mais quand j'ai reçu une lettre d'avertissement de la régie, j'ai fait appel à une comportementaliste. Elle m'a dit que l'animal souffrait de l'angoisse de la séparation.»
Malheureusement pour Natacha, malgré la thérapie mise en place, les aboiements intempestifs n'ont pas cessé. La mort dans l'âme, elle a dû se séparer de son compagnon à quatre pattes. Un mal pour un bien: l'animal a été recueilli par une retraitée.
Cette problématique de l'angoisse de la séparation, la fondation QUATTRE PATTES Suisse la connaît bien. «Après un contact étroit avec le maître, quand le chien est contraint de passer du temps sans la compagnie ou l'attention de sa famille humaine, il a peur de rester seul», analyse Livie Kundert, chargée de campagne pour l’organisation de protection des animaux basée à Zurich. «Les animaux les plus affectés sont les chiens qui manquent de confiance en eux et qui sont craintifs. L'angoisse de la séparation est une des raisons qui poussent les maîtres à les confier à des refuges», poursuit Livie Kundert.
Présidente et fondatrice de l'association SOS chiens polaires, Carine Mettraux-Pousaz indique que faute de place, sa structure doit refuser un à deux chiens abandonnés par semaine. «Avant le Covid, c'était une dizaine de cas par an», signale-t-elle. «Dernièrement, une jeune femme m'a dit «Je veux adopter un chien car je suis en télétravail». Et quand je lui ai demandé comment elle ferait à la fin du télétravail, elle a bafouillé», regrette Carine Mettraux-Pousaz.
La doctoresse et vétérinaire comportementaliste Colette Pillonel relève qu'en dehors des troubles de la solitude, il y a un problème de «socialisation insuffisante».
Mais les chiens n'ont pas le monopole du cœur. Comme le souligne Colette Pillonel, les chats font également partie du lot des animaux Covid. Car, contrairement à ce que l'on pourrait croire, «pour le chat aussi, la relation à l'humain est très importante». Ainsi, en se retrouvant tout d'un coup seul dans un appartement, certains félins ont développé des tendances dépressives. Une dépression qui «dépend du lieu, du mode de détention et de l'intensité du changement des interactions avec le maître», note l'experte fribourgeoise.
De fil en aiguille, la souffrance affective des animaux provoque aussi celle de leurs maîtres. Comble du paradoxe, à l'origine de ce cercle vicieux, il y a une relation saine, pleine et entière entre l'animal et son propriétaire. Comme quoi, l'enfer est pavé de bonnes intentions.
*Prénom d'emprunt