«C’est un hold-up démocratique.» Eric Ciotti, le président du parti Les Républicains, n’a pas digéré la censure de la loi immigration par le Conseil constitutionnel (CC). Cette instance suprême, qui veille à la constitutionnalité des lois votées par le parlement français, a retoqué un bon tiers des articles du texte législatif portant sur l’immigration. Dans leur avis rendu le 25 janvier, les neufs membres qui composent le CC ont estimé que la plupart des amendements ajoutés, en l’occurrence par la droite, différaient du projet de loi initial réglant les renvois d’étrangers.
Ils ont mis en cause la présence de «cavaliers législatifs», des intrus dérogeant à ce qu’on appellerait en Suisse l’unité de la matière. Ils ont ainsi considéré que le durcissement du regroupement familial introduit par Les Républicains (LR) était un cavalier législatif. Vraiment? Peut-on dire que le regroupement familial, quoi que l'on pense de la mesure qui était proposée à ce sujet, n'avait pas sa place dans un texte sur l'immigration?
Chez les LR, d'autres ont vu rouge. Le président de la région Auvergne-Rhône-Alpes Laurent Wauquiez a dénoncé «un coup d'Etat de droit».
Il faut dire que le projet de loi durci par la droite avec le soutien de l’extrême droite était plébiscité par environ 70% des Français, d’après plusieurs sondages.
Le Conseil constitutionnel, actuellement dirigé par l’ancien premier ministre socialiste Laurent Fabius et dont les membres sont nommés par les pouvoirs exécutif et législatif, a-t-il outrepassé ses pouvoirs? Les partisans de la loi immigration dans sa version censurée l’affirment. Ils estiment que l’avis rendu par les «neuf sages» relève de l'interprétation politique. A l’inverse et plutôt à gauche, on soutient que l’analyse effectuée par le CC repose sur des bases factuelles.
Reste une vérité: en France, le peuple n’a pas le dernier mot en matière de lois. Contrairement à la Suisse, où il exerce son plein contrôle de la production législative et constitutionnelle, à sa demande ou de façon obligatoire. Qui a raison? Mais surtout, pourquoi les systèmes sont-ils différents?
L'éclairage de Paul Cébille, spécialiste des études d’opinion et fin connaisseur des droits populaires suisses:
Pour dire les choses trivialement, le Conseil constitutionnel a été pensé pour empêcher le parlement, émanation du peuple, de «faire n’importe quoi» qui puisse fragiliser les institutions.
Est-ce à dire qu’en Suisse le peuple peut faire n’importe quoi? «Il peut décider ce qu’il veut, oui», nuance l’historien de la politique suisse Olivier Meuwly, de sensibilité radicale et ferme partisan de cette liberté intégrale. «Le peuple peut, si tel est son souhait, décider au moyen d'une initiative populaire de rétablir la peine de mort», dit-il, prenant un cas extrême – l’actuelle Constitution suisse interdit la peine capitale. En 2012, une initiative populaire visant à punir de mort tout individu commettant un assassinat à caractère sexuel avait échoué au stade de la récolte des signatures.
Que s’est-il passé? Le rappel historique d'Olivier Meuwly:
L’histoire de la Suisse moderne est marquée par un renforcement continu des droits populaires. «Ils font le ciment de la Suisse», affirme Olivier Meuwly. «Après les droits référendaires en 1874, le droit d’initiative populaire voyait le jour en 1891, suivi 30 ans plus tard du référendum obligatoire pour la ratification des traités internationaux», énumère l'historien de la politique suisse.
Tout n’est pas permis pour autant: les initiatives populaires doivent respecter l’unité de la matière. C’est aux Chambres fédérales de se prononcer sur ce point. Et alors?
Ce fut le cas dans les années 1990, lorsque le parlement rejeta pour cette raison une initiative du Groupe pour une Suisse sans armée qui souhaitait faire basculer les dépenses consacrées à l’armée vers le social.
Alors, qu’est-ce qui vaut mieux? Un système avec un contrôle de la constitutionnalité des lois échappant au peuple? Ou le système suisse, quitte à voter des textes qui pourraient être contraires aux droits de l’homme?