Sur le prospectus électoral, on peut voir des réfugiés à Lampedusa. Un «X» rouge barre l'image. Il s'agit d'un tout-ménage que le parti a utilisé pendant la campagne «NON à une Suisse à 10 millions d’habitants». L'UDC a dénoncé la criminalité liée à l'asile et aux étrangers sur les médias sociaux et via d’autres plateformes avec le slogan «Nouvelle normalité?». Le parti a cité à de nombreuses reprises des exemples tirés d'articles de presse et de communiqués de police que l'on peut aisément trouver sur le net.
Le 9 octobre 2023, par exemple, l'UDC avait publié sur X un poste pointant du doigt des «ressortissants nord-africains». 👇
La carte de la migration a fait mouche. L'UDC a vu son pourcentage d'électeurs augmenter l'automne dernier à 27,9 % (une hausse de 2,3 points de pourcentage). Mais, cette campagne a également indigné. La Commission fédérale contre le racisme l'a qualifiée de raciste, xénophobe et incendiaire. Elle a demandé à l'UDC de lui mettre un terme – une demande que le parti a rejetée.
A Berne et dans d'autres cantons, plusieurs plaintes pénales ont été déposées, notamment par l'Association des médias érythréens de Suisse et l'association de gauche PoC. L'accusation : l'UDC tenterait, par des récits sélectifs de crimes, de faire croire que les personnes d'origine étrangère sont toutes criminelles et dangereuses. De cette manière, l'ensemble de ces gens seraient dénigrés.
Les plaignants ont obtenu un succès partiel. Pour le ministère public de Berne, il existe un soupçon suffisant d'infraction à la norme anti-discrimination. Il mène actuellement deux procédures pénales – contre inconnu pour le moment.
Un examen approfondi du dossier laisse toutefois apparaître que la justice aurait dans son collimateur deux personnalités de l'UDC responsables de la campagne: le conseiller aux Etats Marco Chiesa et Peter Keller, qui a démissionné du Conseil national à la fin de la législature écoulée. Au moment de la campagne, Chiesa occupait le poste de président et Keller celui de secrétaire général.
Le Ministère public bernois veut obtenir l'autorisation d'engager des poursuites pénales contre les compères. Il a donc demandé à la commission juridique du Conseil des Etats et à la commission de l'immunité du Conseil national de lever l'immunité parlementaire des deux politiciens de l'UDC. Ce n'est que si les commissions suivent cette demande que Chiesa et Keller risquent des ennuis juridiques.
Les commissions doivent évaluer si elles accordent plus d'importance à l'intérêt d'une poursuite pénale ou à l'intérêt d'un exercice sans entrave du mandat politique. En effet, la loi prévoit que les parlementaires soient protégés contre les poursuites pénales pour les actes commis dans le cadre de leur activité politique.
En octobre et novembre, les commissions entendront les deux politiciens en question.
Les concernés n'ont pas souhaité s'exprimer sur cette affaire auprès de CH Media (à qui watson appartient). Marcel Dettling, qui a remplacé Chiesa à la présidence de l'UDC, en mars dernier, s'est,lui, engouffré dans la brèche. Le conseiller national schwyzois flaire une «attaque contre la démocratie et la liberté d'expression». Il a déclaré:
Selon lui, il est inquiétant de poursuivre pénalement les personnes qui rapportent des faits dérangeants. Il renvoie aux statistiques de la police en matière de criminalité, dans lesquelles les étrangers et les demandeurs d'asile sont surreprésentés. «Il est important de mettre le doigt sur ces problèmes. Nous ne voulons pas d'une situation comme celle de l'Allemagne, où les attaques au couteau sont quotidiennes.»
Supposons que les commissions d'immunité donnent leur feu vert à des poursuites pénales. Chiesa et Keller risquent-ils une condamnation? Marcel Niggli, professeur de droit pénal à l'université de Fribourg, s'est penché sur la norme pénale antiraciste dans de nombreuses publications. Il estime:
Pourquoi? Selon lui, l'UDC n'affirme pas l'infériorité ou la minorité de certains groupes d'étrangers. C'est pourtant la condition pour qu'il y ait discrimination raciale au sens du droit pénal. Dans le texte de l'affiche sur la «Suisse à 10 millions» par exemple, l'UDC n'écrit nulle part qu'elle veut uniquement stopper l'immigration des personnes noires. Ce serait une interprétation demandant une certaine dose d'imagination.
Et comment réagit l'UDC? Dans son marketing politique actuel, elle continue à se servir de l'affiche incriminée et la campagne «Nouvelle normalité?». Chiesa et Keller ne devraient pas avoir grand-chose à craindre des membres du Parlement. Ils ne lèvent que très rarement l'immunité de leurs collègues députés.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich