Premier parti de Suisse, occupant plus du quart des sièges au Conseil national, donnée en hausse dans les sondages, l’UDC est-elle un parti dont on a honte? Est-elle cette extrême droite qu’on se garde bien de nommer ainsi, y compris dans la presse, quand on n’hésite pas à le faire pour l’AfD en Allemagne, le Rassemblement national en France ou Fratelli d’Italia en Italie? Pourquoi cette gêne?
«Peut-être parce que l’UDC est un rouage de notre système de gouvernement qui repose sur la collégialité», répond le politologue René Knüsel.
Doit-on alors parler de comédie de la collégialité? A l’inverse, doit-on convenir de l’absolue nécessité de gouverner ensemble pour réduire les motifs de conflit dans un pays aussi «archipélisé» que la Suisse, pour reprendre une expression appliquée à la France par le sondeur et analyste politique Jérôme Fourquet?
Il s’agirait alors de fermer les yeux sur ce qu’on ne veut pas voir et qui égale voire dépasse ce que les partis européens qualifiés d’extrême droite produisent d'ordinaire sur le sujet.
Le sujet? La campagne actuellement menée par l’UDC sur la délinquance étrangère en vue des élections fédérales du 22 octobre n’a rien à envier au discours radical d’un Eric Zemmour lors de la dernière campagne présidentielle en France, par exemple. Tout en images, diffusée sur X et Facebook, d'un style souvent trash et gore, elle met en scène des situations effrayantes se rapportant à des actes délinquants ou criminels perpétrés par des étrangers ces derniers mois en Suisse. C’est donc récent en termes d’actualité et c’est sanguinolent au sens propre.
Parler de cette campagne, c’est sans conteste la relayer, participer au buzz qu’elle entend susciter. Mais la passer sous silence, au prétexte qu’il ne faudrait pas «faire le jeu de l’UDC» – ailleurs on dirait «faire le jeu de l’extrême droite» –, ou parce qu’il n’y aurait rien de neuf de la part de ce parti, n’est-ce pas fuir un sujet embarrassant?
On peut toujours s'en remettre à la position que prendra la Commission fédérale contre le racisme (CFR). Elle devait décider ces jours-ci d’éventuelles suites pénales contre l’UDC à propos de cette présente campagne, placée sous le signe du combat contre la «nouvelle normalité» («Neue Normalität?» en allemand, avec un point d'interrogation), à savoir la «criminalité importée». Mais si la CFR devait déposer plainte pour incitation à la haine, ou encourager d’autres à saisir la justice à sa place, peut-être cela ne se ferait-il pas avant les élections fédérales du 22 octobre.
Il y a une quinzaine de jours, Martine Brunschwig-Graf, présidente de la CFR, nous avait dit tout le mal qu'elle pense de cette campagne:
La question est de savoir si les visuels-chocs de l’UDC, qui renvoient à des faits réels, tombent ou non sous le coup de la norme pénale antiraciste. Agir pénalement maintenant, le faire savoir, pourrait attirer encore plus l’attention des citoyens sur ces images, et produire l’effet inverse à celui recherché: la victimisation du parti de Mario Chiesa.
Les médias romands et alémaniques que nous avons joints disent n’avoir pas encore remarqué ou prêté attention à la campagne de l’UDC, entrée dans sa quatrième semaine sur les réseaux sociaux alémaniques.
La Neue Zürcher Zeitung en a parlé en juillet déjà. Il ne s'agissait pas à l'époque de la présente campagne, mais d'une précédente de même acabit, qui avait été diffusée dans la presse papier, dont un titre au moins, semble-t-il, en Suisse romande. Elle avait provoqué des réactions négatives dans des milieux politiques et peut-être aussi médiatiques, ce qui avait conduit à son arrêt, a-t-on appris. Ella a rebondi début septembre en allemand sur les réseaux sociaux de l'UDC alémanique.
Elle n’est toujours pas arrivée sur les réseaux romands. «Ça ne saurait tarder», assure Kevin Grangier, président de l’UDC vaudoise et membre du comité directeur de l’UDC Suisse, où cette campagne s’est décidée. Le parti pense ainsi pouvoir battre le fer du dernier mois de la campagne électorale avec des arguments qu'il sait porteurs de polémiques mais qu'il affirme correspondre à la réalité de la délinquance en Suisse. L'électorat visé est celui des périphéries rurales et des petites villes, en particulier les femmes, comme en atteste une photo postée vendredi 22 septembre par le conseiller national UDC valaisan Jean-Luc Addor sur l'un des ses réseaux sociaux. 👇
Le cliché date de la semaine dernière. Il a été pris dans l'enceinte du Palais fédéral. On y voit le député valaisan, ainsi que le président du parti Marco Chiesa, en compagnie de représentantes du collectif féministe identitaire Némésis. Apparu en France en 2019, ce collectif, éjecté en 2022 du cortège lausannois de la Grève des femmes, développe un discours civilisationnel. Il estime qu'une partie des violences faites aux femmes trouve sa cause dans une immigration incontrôlée, en particulier originaire du Maghreb et d'Afrique subsaharienne.
Ce positionnement lui vaut des accusations de racisme, dont il se défend. En 2022, l'édition alémanique de Blick avait révélé, à la suite du site d'extrême gauche Renversé, qu'une des membres de Némésis avait milité dans le groupe d'extrême droite Militants Suisses avant de s'en retirer. En 2021, watson avait interviewé deux représentantes de la section suisse de Némésis nouvellement créée. 👇
Ce qui est certain, c'est que le propos civilisationnel de Némésis est en phase avec la campagne «Neue Normalität?» menée actuellement par l'UDC sur ses réseaux.
Sur un plan idéologique, certains UDC osent ce que le Rassemblement national en France – qui aspire à gouverner et dont la classification à l'extrême droite vient d'être confirmée par le Conseil d'Etat français – veut aujourd'hui éviter: les collusions et autres rapprochements avec les infréquentables. A Winterthour, la candidate au Conseil national et présidente de la section locale de l'UDC, Maria Wegelin, à l'unisson du parti en lutte contre la «submersion migratoire», sous-traite la réalisation de ses vidéos de campagne et la gestion d'une partie des ses réseaux sociaux au groupuscule de droite radicale Junge Tat, selon le Sonntagsblick, ainsi que le rapporte l'édition alémanique de watson. Junge Tat a des points communs avec Génération identitaire, un collectif d'extrême droite français dissous en 2021, mais qui serait de «retour à bas bruit».
On n’a pas épuisé la question de la qualification de l’UDC. Si «extrême droite» rebute, parce que contraire à l’esprit de la collégialité, on peut toujours convenir des termes de droite identitaire ou de parti identitaire, celui de «conservateur» semblant impropre pour une formation qui rompt avec une pratique conservatrice du pouvoir, consensuelle dans le cas suisse.