Malgré un nombre record de contaminations, le Conseil fédéral renonce à prendre des mesures supplémentaires. Le gouvernement a-t-il adopté la ligne d'Ueli Maurer en appliquant le moins de restrictions possible?
Ueli Maurer: La situation a changé. Omicron ne provoque que très peu d'évolutions graves de la maladie. C'est pourquoi on peut progressivement retourner à la «normale».
Vous vouliez déjà lever les mesures plus tôt, mais cela ne s’est pas fait.
Avec le recul, on peut se demander si on n'a pas attendu trop longtemps pour le faire. Pour moi, la politique a toujours reposé sur trois piliers: protéger la santé, atténuer les conséquences économiques et maintenir la société en vie. Au début, il s'agissait presque uniquement de la santé, mais depuis, d'autres faits sont pris en compte.
Faut-il considérer le Covid comme une grippe?
Celui qui dit «grippe» est immédiatement considéré comme un conspirateur. Quel que soit le nom qu'on lui donne, le virus a muté et ne semble plus aussi dangereux. Si ce constat se confirme, toutes les mesures pourront être levées. Les premières tendances sont encourageantes, mais il est encore trop tôt pour en décider.
L'avertissement de l'OFSP de la semaine dernière, selon lequel 10 à 15% de la main-d'œuvre pourrait être infectée en même temps, ne semble pas se concrétiser.
Lorsque les experts élaborent de tels scénarios, les médias ne présentent souvent que le pire des cas possibles. Cela donne une image trop limitée. Mais les médias ont besoin de gros titres tous les jours. Ils ont malheureusement participé à répandre la peur, car ils ne publient que le pire. Les dégâts causés par les médias ne doivent pas être sous-estimés. C'est notamment sous cette pression que le Conseil fédéral, le Parlement et les cantons ont décidé de mesures qui, avec le recul, n'auraient peut-être pas été nécessaires dans leur ampleur respective. C'est ce que je reproche aux médias.
Le Conseil fédéral se laisse donc guider par les médias?
Non, ce n’est pas le cas. Mais les médias contribuent logiquement à la formation de l'opinion publique et, également celle des autorités. Cela influence l'état d'esprit. La pression médiatique sur la politique est devenue énorme, un engouement pour le durcissement des mesures est apparu, et pas seulement au Conseil fédéral. Des mesures ciblées et différenciées comme la protection des groupes vulnérables n'étaient plus envisageables. Il fallait fermer les établissements et durcir les mesures de manière générale.
On pourrait aussi voir les choses autrement: grâce aux médias qui n'ont pas minimisé la situation, les gens se sont comportés de manière responsable et prudente, de sorte qu'aucune mesure étatique stricte n'a été nécessaire en Suisse!
Je sais que les journalistes supportent mal la critique des médias (rires). N'en parlons pas.
Si la diversité des voix vous fait défaut dans les médias, est-ce qu'elle existe au Conseil fédéral? Les débats y sont-ils ouverts et contradictoires?
Oui, tout à fait. Mais seulement oralement. Il n'est plus possible de saisir des co-rapports écrits, sinon ils sont publiés avant la séance. Je trouve cela inadmissible.
Votre département est le responsable des programmes d'aide aux entreprises en difficulté. Combien d'argent dépensez-vous pour cela?
Pour le premier semestre de 2022, nous partons d'une estimation d'un milliard de francs, 200 millions étant pris en charge par les cantons et 800 millions par la Confédération. L'ordonnance sur les cas de rigueur sera soumise au Conseil fédéral le 2 février. Elle prévoit des dispositions jusqu'au milieu de l'année. Ensuite, la situation devra être réévaluée.
On entend dire que vous voulez des critères plus stricts pour l’aide versée aux cas de rigueur?
Pas plus stricts, mais le soutien ne doit plus être généralisé. A présent, nous faisons une évaluation au cas par cas. L’Etat prend en charge une partie des coûts fixes et il doit être prouvé que l’entreprise a pris des mesures pour réduire les dégâts.
Evaluer des cas individuels: cela ressemble à de la bureaucratie!
Non, c'est de l'équité. Pourquoi un restaurant de montagne qui marche super bien devrait-il être indemnisé de la même manière qu'un bistrot de campagne qui souffre? Déposer une demande n'est pas si compliqué.
S'agit-il principalement du secteur gastronomique?
Non, ce sont surtout les fitness et les secteurs de l'événementiel et les agences de voyages qui sont au premier plan. Ils sont globalement plus touchés que la restauration.
Les montants en jeu sont moins importants pour le droit de timbre. L'impôt que le Conseil fédéral et le Parlement veulent abolir ne rapporte que 250 millions de francs. Cela vous agace-t-il que le peuple vote à ce sujet parce que le PS a lancé un référendum?
En tant que président de l'UDC, j'ai moi-même utilisé très souvent le référendum. Il ne serait pas crédible que je m’énerve contre le PS (rires). Il y a des chances que le peuple approuve.
En 2005, le Conseil fédéral déclarait: «Une suppression du droit de timbre d'émission n'entraînerait pas d'amélioration sensible du potentiel de croissance de notre économie». Pourquoi cette phrase ne serait-elle plus valable aujourd'hui?
Parce que les conditions ont changé entre-temps à la suite de différentes réformes fiscales. Le Conseil fédéral a également corrigé sa déclaration de l'époque. Regardez: si vous considérez le droit de timbre d'émission de manière isolée, il n'est effectivement pas si important pour la croissance. Mais il s'agit d'un grand tableau de mesures pour l'attractivité de la place économique suisse!
Que voulez-vous dire?
La Suisse perd massivement en compétitivité, notamment en raison des harmonisations fiscales internationales. Là où nous pouvons faire contrepoids, nous devons le faire afin que la place économique reste attractive pour les entreprises. Les emplois doivent continuer d’être crées et maintenus en Suisse. Supprimer un impôt obsolète et nuisible: c'est un signal important.
Pourquoi cet impôt serait-il obsolète?
Seuls le Liechtenstein, la Grèce et l'Espagne l'appliquent encore, et cela ne peut pas être notre point de référence. Nos adversaires voient les 250 millions que la Confédération prend aux entreprises. Il faut avoir une mentalité de comptable et considérer l'ensemble de la situation. Si nous sommes attractifs pour les entreprises, les impôts perdus seront plus que récupérés.
Qu'est-ce qui vous fait dire que la Suisse a perdu en compétitivité?
Les arrivées d'entreprises ont stagné ces dernières années. Nous ne sommes plus à la pointe dans le secteur industriel. D'importantes entreprises industrielles au rayonnement mondial ont perdu de leur importance, et le secteur financier a lui aussi perdu des milliers d'emplois.
Il existe heureusement quelques exemples de réussite, mais ils n'ont pas la taille ni l'importance des anciens groupes industriels et se développent en premier lieu à l'étranger. Nous n'avons pas non plus d'entreprises leaders dans le domaine de l'informatique. A moyen et long terme, nous risquons de perdre notre place en tant que site économique.
Est-ce vraiment à cause du droit de timbre d’émission?
Il n’est qu'un facteur parmi d'autres. Mais il fait partie de l'ensemble. En exonérant la constitution de fonds propres du droit de timbre, nous envoyons le signal important que nous voulons encourager et attirer les investissements pour les entreprises ayant un potentiel de croissance.
L'accès au marché européen (avec l’accord-cadre), n'est-il pas beaucoup plus important pour l'attractivité de notre place économique?
C'est justement parce que nous n'aurons pas de solution parfaite avec l'Union européenne dans les années à venir qu'il est important de mettre en œuvre des améliorations que nous pouvons faire de manière autonome.
…Comme après le Non à l’espace économique européen (EEE), lorsque la Suisse a lancé un programme de revitalisation?
L'amélioration de la compétitivité économique est une tâche permanente. L'UE est importante pour nous, mais elle n'est pas notre seul partenaire. Peut-être nous sommes-nous trop concentrés sur ce marché ces dernières années. Nous avons besoin d’envisager un horizon plus large.
Mais notre économie gagne un franc sur deux en Europe – l'accès au marché européen est essentiel.
C'est exact. Mais bien que l'UE soit le principal partenaire commercial de la Suisse, les relations resteront délicates. C'est pourquoi il faut ouvrir l'éventail des possibilités.
L'impôt sur les émissions est donc une question de place économique. La campagne du «pouce en l’air», qui met l’accent sur les PME n’a donc pas vraiment compris l’enjeu.
La campagne du «pouce en l’air» a été lancé par l'Union suisse des arts et métiers. La suppression du droit de timbre d’émission imaginé par le Conseil fédéral et le Parlement va au-delà des PME. Nous voulons soutenir les entreprises qui veulent investir et se développer en Suisse. Les plus grandes, les plus petites, les start-ups: simplement toutes.
Ces dernières années, le capital – c’est-à-dire les entreprises – a été fortement allégé, mais la TVA et les cotisations aux assurances sociales ont augmenté pour les personnes. Est-ce que cela va dans votre sens?
Les citoyens ont également vu leur charge fiscale diminuer. Ces dernières années, la plupart des cantons ont baissé les impôts des personnes physiques. D'autre part, les dividendes sont plus fortement imposés. De plus, les réductions de primes ont été augmentées ou les déductions fiscales pour la garde des enfants par des tiers ont été augmentées. Pour les personnes physiques, le compte est bon.
Ce n'est pas l'avis de beaucoup de personnes.
Le problème, c'est que les exigences augmentent. On souhaite un logement plus spacieux ou on dépense plus d'argent pour les loisirs. L'Etat ne peut rien faire pour ces coûts de vie plus élevés. Et regardez l'AVS: environ 90% des retraités en profitent parce que les personnes qui gagnent bien leur vie cotisent davantage.
Nous avons pu lire que vous souhaitiez réduire les impôts pour les hauts revenus en raison de l'introduction d'un impôt minimum global. C'est vrai?
J'ai dit qu'il n'était pas exclu que les cantons envisagent de telles baisses d'impôts. Mais la Confédération ne le fera pas. J'ai été étonné par le titre de la NZZ am Sonntag. Il faut toutefois tenir compte d'une chose...
... quoi donc?
1% des contribuables paie 40% des impôts fédéraux directs. En revanche, 40% des contribuables ayant des enfants ne paient pas d'impôt fédéral direct du tout, mais peuvent souvent demander une aide de l'Etat, par exemple sous la forme de réductions de primes.
Serait-il donc juste que les cantons diminuent les impôts pour les grands revenus?
Je peux imaginer que les cantons réévaluent de plus près leur progression fiscale. L'impôt sur le revenu peut être une raison pour laquelle un top manager ne choisit pas son domicile fiscal en Suisse, où il est résident à la semaine. Celui qui gagne autant optimise ses impôts dans le cadre de la légalité.
Certains cantons sont «pris en otage» par une poignée d’individus ayant des hauts revenus. Ne faudrait-il pas un impôt minimum fédéral pour les super-riches afin de les mettre au pas?
Les salaires élevés de quelques managers démesurés sont perçus comme un problème. Il faudrait penser à plafonner ces salaires car la compréhension des préoccupations légitimes de l'économie en pâtit fortement.
Avez-vous déjà envisagé d'optimiser vos impôts en changeant de lieu de résidence?
La commune de Hinwil (ZH) n'est effectivement pas attractive sur le plan fiscal. Mais l’attachement avec le lieu de résidence est nécessaire. Où irions-nous si tout le monde optimisait ses impôts en fonction de son lieu de résidence?
La Suisse a acheté l'avion de combat américain F-35 au lieu du Rafale, un accord fiscal avec les Français est tombé à l'eau. La France aurait versé 3,5 milliards de francs supplémentaires à la Suisse au cours des prochaines années. Compte tenu de la montagne de dettes due au Covid, vous auriez sans doute eu besoin de cet argent?
Le Conseil fédéral estimait que les éventuelles concessions de la France ne compensaient pas la supériorité technique du F-35. La Suisse a-t-elle besoin d'un jet à haute performance comme le F-35 ? A l’époque, j’aurais voulu le Gripen et je continue de penser qu’il aurait été parfait pour la Suisse. Mais le peuple a dit non. Maintenant, nous allons voir s'il veut le F-35.
Le Conseil fédéral n'aurait-il pas dû tenir compte d'autres critères que le rapport qualité-prix dans sa décision?
Il a respecté les règles de l'appel d'offres selon lesquelles le meilleur rapport qualité-prix était déterminant et les aspects politiques n'étaient pas pris en compte.
C'est une mentalité de comptable. Les dirigeants politiques de ce pays se privent de toute marge de manœuvre pour prendre une décision politique.
Faites attention à ce que vous supposez sur le Conseil fédéral (rires).
On a l'impression que vous ne regrettez pas le temps où vous étiez à la tête du Département de la défense (DDPS).
Le DDPS est un département sous-estimé. Je m'y sentais très à l'aise. Avec le Gripen, j'ai essayé d'encadrer les exigences maximales de l'armée. Elle a tendance à penser que seul le meilleur des meilleurs avions est assez bon. Pourtant, le Gripen aurait suffi à la Suisse.
Traduit de l'allemand par Charlotte Donzallaz