A l'international, la liste des sanctions contre la Russie s'allonge. En France, les restaurateurs russes se font insulter, et en Suisse, les touristes russes sont expulsés. Au quotidien, et même à l'étranger, les Russes font face aux conséquences d'une guerre qu'ils n'ont pas choisie. watson est allé à leur rencontre.👇
Elena Lups est gérante de l'épicerie slave «Doushka» à Lausanne, et la guerre en Ukraine, c'est un sujet dont elle parle du matin au soir: «nous aussi, on se demande comment on va vivre. Dans mon magasin, les employés viennent d’Ukraine, de Russie, et on travaille tous ensemble. On partage la même douleur.»
Si Elena explique ne pas porter la responsabilité politique de son pays et affirme qu'elle ne rougira pas de dire qu'elle est Russe, elle avoue cependant avoir fait des ajustements dans sa vie quotidienne.
«J’avais l’habitude de vendre des ravioles à la russe, et aujourd’hui je n’arrive plus à prononcer le mot russe.» Même chose pour les célèbres concombres russes: «aujourd’hui je m’arrête, et je dis simplement qu’ils sont très bons. C’était un tel choc qu’il nous faudra encore du temps pour nous ajuster.»
Avec l'aide de bénévoles, Elena organise aujourd'hui une récolte à destination de l'Ukraine. Une cinquantaine de cartons, remplis de produits de première nécessité, s'empilent tous les jours devant l'entrée de l'épicerie: «Une camionnette pleine est déjà partie hier, et aujourd’hui, il y en aura une autre. On a déposé le tout à l’ambassade d’Ukraine, à Berne.»
Elle confie avoir demandé à ses parents, actuellement en Russie, d'arrêter de regarder la télévision et de regarder aussi ce qu'il se passe sur Internet: «En Russie, si vous prononcez le mot «guerre» vous risquez d'aller en prison. Selon le gouvernement, ce n’est pas une guerre, mais une opération de défense.»
Olga, jeune trentenaire d'origine russe, est bénévole à l'épicerie Doushka à Lausanne et aide à trier ce que les gens apportent: «s'il y a quelque chose, même de petit, que je peux faire pour changer la situation, je suis heureuse de le faire.»
Personnellement, elle ne se sent pas stigmatisée et n'a eu aucune expérience de ce genre en Suisse. Elle avoue quand même avoir eu quelques différends avec ses amies suisses: «mes amies me disent que ce sont les Russes qui devraient sortir dans la rue et changer la situation, mais en réalité, ils ne peuvent pas la changer, s'ils descendent dans la rue pour manifester, ils se font arrêter.» Elle poursuit:
Si elle aime son pays, Olga avoue, émue, qu'elle souhaite que la paix revienne en Ukraine: «J'aime la Russie, je suis Russe, mais en même temps, je suis triste de ne rien pouvoir changer dans mon pays. Qu'est-ce que je peux vous dire de plus? Nous devons agir, nous devons faire quelque chose, mais quoi?»
Pour Svetlana, la situation est délicate: «les Européens mettent de plus en plus l'accent sur notre origine, sur notre nationalité, et j'ai peur de l'impact que cette guerre peut avoir sur la vie professionnelle et personnelle des Russes à l'étranger.»
Elle explique que certaines de ses connaissances lui ont déjà tourné le dos: «mes amies m'ont dit qu’il fallait qu’on se réveille, car on est responsable du leader que l’on a choisi.»
«Pour l'instant, je n'ai pas eu besoin de me justifier quant à mes origines, et j'espère que ça n'arrivera pas», confie Nadia Sikorsky, éditrice en chef du quotidien russophone «Nasha Gazeta». Elle affirme:
Dans un blog qu'elle écrit régulièrement pour Le Temps, Nadia se livre sur le fait d'être russe et résidente en Suisse. Sa position est évidente: «je ne suis pas contre la Russie, mais contre la guerre qu'elle a déclenchée. Et je prends cette position précisément pour que mes enfants n’aient pas honte de parler le russe et de se considérer russes».
A travers ses écrits, elle appelle ses lecteurs à ne pas confondre les otages et les complices, et souligne également la «guerre de l'information» que se livrent actuellement l'Ukraine et la Russie.
Selon elle, les Russes qui habitent loin des grandes villes, qui n'ont pas accès à Internet et qui ne regardent que la télévision d'état, subissent un lavage de cerveau terrifiant: «les deux dernières chaines plus ou moins libérales ont été fermées à Moscou. Il y a eu plus de 6 000 personnes arrêtées pour avoir manifesté contre la guerre, c’est vraiment terrible ce qu’il se passe.»
Nadia met en garde le public: «faites attention à ne pas vous comporter comme ceux que vous accusez de discriminer. Parler le russe n’est pas un crime, et cela ne veut pas dire qu’on soutient la guerre.»