Suisse
ukraine

Comment la Suisse a été dépassé par la guerre en Ukraine

epa09791957 (L-R) Swiss Federal Councillor Viola Amherd (Federal Department of Defence, Civil Protection and Sport - DDPS), Swiss Federal President Ignazio Cassis and Federal Councillor Karin Keller S ...
Le 28 février 2022, Viola Amherd, Ignazio Cassis et Karin Keller-Sutter ont constitué le Comité de sécurité, qui n'avait pas anticipé le danger.photo: keystone

Comment le Conseil fédéral a été dépassé par la guerre en Ukraine

Au moment de l'invasion de l'Ukraine il y a un an, le Conseil fédéral a semblé complètement pris au dépourvu. Il avait pourtant reçu des avertissements des Etats-Unis — et les avait ignorés.
Cet article est également disponible en allemand. Vers l'article
21.02.2023, 12:1921.02.2023, 12:19
Peter Blunschi
Peter Blunschi
Plus de «Suisse»

Ignazio Cassis s'est confié. Le 1er février, le ministre des Affaires étrangères s'est exprimé lors d'une manifestation organisée par le journal bernois Der Bund sur le rôle de la Suisse face à la guerre en Ukraine. Il a raconté «avec une étonnante franchise» que la Suisse officielle avait fait la sourde oreille aux nombreuses mises en garde des Etats-Unis contre une attaque russe.

👉Suivez en direct l'évolution de la guerre en Ukraine👈

Depuis décembre 2021, les Américains auraient lancé des avertissements répétés en coulisses. Le déploiement des troupes russes à la frontière avec l'Ukraine battait son plein. Ils avaient également donné une date précise, selon Cassis. Lorsqu'il n'y a pas eu d'invasion, la Suisse et tous les Etats européens étaient convaincus qu'il ne se passerait rien, a-t-il ajouté.

Ignazio Cassis, qui était président de la Confédération il y a un an a admis:

«On est toujours beaucoup plus intelligent après coup»

Car dix jours plus tard, Vladimir Poutine donnait l'ordre d'attaquer l'Ukraine. Les Etats-Unis, qui disposaient manifestement de sources de premier ordre au sein de l'appareil du pouvoir russe, avaient vu juste avec leurs avertissements, dont certains avaient même été rendus publics.

Une portée «non anticipée»

Il est vrai que même en Ukraine, nombreux étaient ceux qui ne voulaient pas admettre la menace d'une invasion. Mais les Européens n'étaient pas aussi naïfs qu'Ignazio Cassis l'a décrit à Berne. Jusqu'à peu avant le début de la guerre, les efforts de médiation ont été intenses. Le chancelier allemand Olaf Scholz et le président Emmanuel Macron se sont rendus à Moscou pour rencontrer Poutine.

epa09736603 Russian President Vladimir Putin (R) listens during a joint press conference with French President Emmanuel Macron after their talks in the Kremlin in Moscow, Russia, 07 February2022. Inte ...
Macron et Poutine, le 7 février 2022.Image: EPA AP POOL

Mais le Conseil fédéral a semblé être pris complètement au dépourvu. La Délégation des Commissions de gestion du Conseil national et du Conseil des Etats est parvenue à la même conclusion dans son rapport annuel 2022 publié fin janvier. La portée des développements survenus au cours des mois précédant l'attaque n'aurait «pas été anticipée» par les services compétents de la Confédération.

Le chef de l'armée snobé

Le Comité de sécurité du Conseil fédéral, dont faisaient partie la ministre de la Défense Viola Amherd, le ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis et la ministre de la Justice de l'époque Karin Keller-Sutter, ainsi que le Security Core Group, sur les évaluations duquel s'appuient les décisions du gouvernement national, sont particulièrement critiqués.

Maya Graf, Staenderaetin GP-BL, spricht waehrend einer Medienkonferenz zur AHV-Reform AHV 21, am Montag, 22. August 2022 in Bern. Am 25. September kommt die AHV 21 zur Abstimmung. Die AHV-Reform beinh ...
La conseillère aux Etats de Bâle-Campagne Maya Graf (Verts) préside la Délégation des Commissions de gestion.photo: keystone

En font partie d'office, entre autres, la secrétaire d'Etat au Département des affaires étrangères ainsi que les chefs de l'Office fédéral de la police (Fedpol) et du Service de Renseignement de la Confédéral (SRC), mais pas le chef de l'armée Thomas Süssli, ce que la Délégation des Commissions de gestion avait critiqué, en mars, dernier dans une lettre inhabituellement virulente qui avait fuité dans plusieurs médias.

Une offensive de grande envergure peu probable

En effet, le 15 février – neuf jours avant l'invasion — une grande offensive de la Russie en vue d'une annexion (partielle) de l'Ukraine était encore considérée comme le moins probable des trois scénarios par le Groupe Sécurité de la Confédération dans une évaluation de la situation. Le scénario le plus probable était celui d'une action militaire limitée visant à déstabiliser l'Ukraine.

La situation s'est encore aggravée dans les jours qui ont suivi. Le 21 février, la Russie a reconnu l'«indépendance» des régions séparatistes du Donbass. Le lendemain, la commission de Sécurité a donc chargé le groupe restreint de procéder à des clarifications supplémentaires. Avant qu'il n'ait accompli sa mission, l'invasion russe de l'Ukraine a commencé.

Une avance pas assez exploitée

Dans la lettre mentionnée, la Délégation des Commissions de gestion rendait les deux organes responsables de manière décisive du fait que l'ensemble du Conseil fédéral «n'était à ce point pas préparé à cette crise». Le rapport annuel est plus diplomatique. La PBC a certes identifié le danger à temps, mais l'avance temporelle a été «trop peu utilisée pour renforcer la capacité d'action du Conseil fédéral».

Le 24 février, à 4 heures du matin, les Européens semblaient mieux préparés. L'Union européenne a rapidement adopté les premières sanctions visant en priorité la banque centrale russe et les oligarques. Ignazio Cassis a convoqué une séance spéciale du Conseil fédéral à 11 heures, mais il n'en a pas résulté grand-chose d'autre que de l'indignation.

Une maladroite tentative de sanction

Le président suisse d'alors a critiqué l'agression russe: «Aujourd'hui est un triste jour». Il a souligné que le Conseil fédéral n'avait, toutefois, pas l'intention de prendre des sanctions propres, mais seulement d'empêcher que les mesures de l'UE puissent être contournées via la Suisse. Le président de la Confédération a ensuite disparu, laissant la scène aux experts de la Confédération.

Mais ceux-ci ne savaient pas ce que le Conseil fédéral avait décidé. Leurs réponses aux questions des médias semblaient donc impuissantes. Ce fut un événement mémorable à bien des égards qui a donné une fois de plus l'impression que la Suisse voulait se retrancher derrière sa neutralité et laisser passer la crise.

Tentative de pression de la part de Washington

La réaction des partis a été en conséquence très vive. «Non-décision décevante et non-présentation du Conseil fédéral», a tweeté le président du centre Gerhard Pfister, qui s'est ensuite transformé en défenseur le plus véhément de l'Ukraine à Berne. Seule l'UDC a refusé, comme à son habitude, de reprendre les sanctions de l'UE contre la Russie.

A l'étranger, on avait bien pris note des tergiversations de la Suisse ce jeudi-là, il y a un an. Le samedi, la vice-secrétaire d'Etat américaine Wendy Sherman a téléphoné à la secrétaire d'Etat Livia Leu et a publié un bref communiqué à ce sujet. Il s'agissait manifestement d'un jeu de pouvoir de la part de Washington.

Keller-Sutter prend les devants

Le dimanche, Karin Keller-Sutter a participé à une réunion extraordinaire des ministres de la Justice et des Affaires intérieures de l'UE à Bruxelles en tant que représentante de la Suisse, membre de l'espace Schengen. Avant la réunion, elle a déclaré qu'elle était personnellement favorable à un durcissement des mesures suisses à l'encontre de la Russie. Apparemment, elle se doutait qu'elle subirait des pressions.

Bundespraesident Ignazio Cassis und Karin Keller Sutter, von links, verlassen eine Medienkonferenz ueber die Ukraine Krise, am Montag, 28. Februar 2022, in Bern. (KEYSTONE/Peter Schneider)
Le président de la Confédération Ignazio Cassis et Karin Keller Sutter quittent une conférence de presse sur la crise ukrainienne, lundi 28 février 2022.Image: KEYSTONE

Ce soir-là, finalement, le président de la Confédération Cassis a préparé l'opinion publique, lors du journal télévisé de la RTS, au fait que le Conseil fédéral déciderait probablement de mesures plus sévères lors d'une nouvelle séance lundi. Au final, il n'a pas eu d'autre choix que de reprendre intégralement les sanctions de l'UE.

Toujours pas à la hauteur

Une fois de plus, une conférence de presse a été organisée, à laquelle ont participé précisément les membres de la Délégation pour la sécurité (Amherd, Cassis, Keller-Sutter) qui, auparavant, ne voulaient pas reconnaître le danger. Par la suite, le Conseil fédéral n'a pas toujours donné l'impression d'être à la hauteur du défi, spécialement pour la neutralité suisse.

L'un des sujets sensibles est bien sûr le refus d'autoriser d'autres pays à transférer des armes et des munitions suisses à l'Ukraine. Mais Berne a aussi été pointée du doigt dans le cadre de la confiscation de biens russes pour la reconstruction de l'Ukraine. Cela violerait la Constitution et les obligations internationales, a affirmé le Conseil fédéral mercredi.

La neutralité n'est pas une excuse

D'un point de vue strictement formel et juridique, la position de la Suisse sur ces sujets peut être justifiée. Pourra-t-elle la tenir? Cela paraît plus discutable. Ignazio Cassis a admis en janvier, lors d'une interview en marge du WEF à Davos, qu'il y avait une «pression internationale» sur la question des avoirs russes pour que tous les Etats y participent, «nous y compris».

«La neutralité n'est pas l'indifférence», avait souligné le ministre des Affaires étrangères lors de son intervention à Berne. Il s'agit d'une formule bien connue qu'il a utilisée à maintes reprises au cours des douze derniers mois. Mais la neutralité ne doit pas non plus être une excuse pour que le Conseil fédéral se laisse toujours prendre au dépourvu par les crises internationales.

Le Leopard 2 livré à l'Ukraine peut aussi servir des bières
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
2 Commentaires
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
2
Les automobilistes patientent au Gothard
De longs bouchons ralentissent le trafic au tunnel du Gothard ce samedi, avec jusqu’à 1h30 d’attente vers le nord et 40 minutes vers le sud. Le TCS recommande des itinéraires alternatifs.

Des bouchons se sont formés aux deux entrées du tunnel du Gothard samedi matin. Une colonne de 10 kilomètres a été enregistrée en début d'après-midi en direction du nord, indique le TCS sur X. L'attente est estimée à 1h30.

L’article