Fantasmé par les étrangers, le passeport suisse peut toutefois s'avérer être un boulet pour les personnes naturalisées. C'est ce qu'a appris un homme originaire du Sri Lanka qui, il y a quelques années, a voulu faire venir ses parents, alors âgés de 72 et 76 ans, du Sri Lanka chez lui, dans le canton de Soleure. Après un refus, il s'est battu jusqu'au Tribunal fédéral pour qu'ils puissent passer leurs vieux jours chez lui. En vain.
Une pilule bien amère, car s'il était citoyen de l'Union européenne, ses parents seraient probablement en Suisse depuis longtemps. En matière de regroupement familial, les citoyens de l'UE bénéficient en effet de réglementations bien plus complaisantes que les citoyens suisses. En vertu de l'accord sur la libre circulation des personnes, les Européens peuvent faire venir leur conjoint, leurs parents et leurs enfants, sous certaines conditions, peu importe où ils vivent.
En revanche, les Suisses n'ont pas droit au regroupement familial si les parents vivent en dehors de l'Union européenne. De plus, des délais pour les regroupements s'appliquent aux Suisses, mais pas aux citoyens de l'UE.
Ce désavantage pour les nationaux existe depuis de nombreuses années déjà, en raison d'une décision de la Cour de justice de l'Union européenne. Et elle ne sera pas abolie de sitôt. Après des années de délibérations, le Conseil national a décidé lundi d'enterrer le projet d'élimination de cette discrimination pour les nationaux. Il ne s'agit pas de la première tentative qui échoue.
Il y a quelques mois, le Conseil national avait pourtant voté à une nette majorité en faveur d'une modification de la loi qui aurait permis d'éliminer, du moins en partie, l'inégalité de traitement. Le Conseil fédéral y était également favorable. Mais le Conseil des Etats s'est opposé à une proposition du Parti socialiste en ce sens. Le National a alors fait marche arrière.
L'UDC surtout, mais aussi le PLR et le Centre, ont posé leur véto. L'un de leurs arguments était que l'assouplissement des règles du regroupement familial entraînerait l'arrivée de plus d'étrangers dans le pays, et une augmentation des coûts de l'aide sociale. Benjamin Fischer (UDC/ZH) a déclaré que son parti «combattrait résolument toute nouvelle immigration de masse incontrôlée».
La gauche, elle, s'est opposée au maintien de cette inégalité de traitement. Céline Widmer (PS/ZH) a souligné que le Parlement devrait veiller à ce que «les familles puissent à nouveau vivre ensemble». Beat Flach (PVL/AG) est monté au créneau:
Le conseiller fédéral Beat Jans a aussi fait la promotion du projet: «Nous aidons ainsi les Suisses», a-t-il déclaré. Mais, au final, le Conseil national a rejeté la proposition par 113 voix contre 71 et 2 abstentions. Les règles restent donc inchangées.
Avocat et professeur en droit des migrations, Marc Spescha critique vertement le Parlement:
Il est très difficile d'estimer le nombre de personnes supplémentaires qui auraient bénéficié du regroupement familial facilité. La Confédération ne souhaite pas s'aventurer dans de telles projections. Marc Spescha estime que cela aurait représenté environ 4000 regroupements familiaux supplémentaires. A titre de comparaison, 43 000 personnes ont bénéficié d'un regroupement familial en 2022.
L'UDC s'oppose à cet assouplissement, car elle estime qu'il contreviendrait à la mise en œuvre de son initiative sur l'immigration de masse. Le parti a même brandi la carte du référendum. L'Office fédéral de la justice conclut toutefois dans une expertise que cela ne serait pas le cas, dans la mesure où l'assouplissement ne concernerait «qu'un nombre négligeable de personnes».
La décision du Conseil national ne clôt pas le sujet. Car le Soleurois, qui ne peut pas faire venir ses parents du Sri Lanka en Suisse, a porté l'affaire devant la Cour européenne des droits de l'homme. Une décision est attendue prochainement. Ce jugement pourrait faire date si la Suisse était condamnée par la cour de Strasbourg, au motif qu'elle aurait désavantagé ses propres citoyens.
Traduit de l'allemand par Joel Espi