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A l'EPFL, des rêves brisés à cause de Poutine

Students take a lunch break outside the Learning Center the first day of university schools at the Swiss Federal Institute of Technology (EPFL) during the coronavirus disease (COVID-19) outbreak, in L ...
A l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), des dizaines d'étudiants russes s'inscrivent chaque année.Image: sda

Comment Poutine a brisé les rêves de futurs étudiants russes à l'EPFL

Devoir renoncer à l'EPFL pour 150 francs? C'est la question qu'ont dû se poser au moins une dizaine de Russes voulant s'inscrire à la haute école cette année. En cause: le paiement, depuis la Russie, des frais d'inscription pour clore leur dossier de candidature, impossible à cause des sanctions. De son côté, l'EPFL assure avoir été réglo.
25.07.2022, 05:5026.07.2022, 10:36
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Dans les semaines suivant l'invasion de l'Ukraine par les forces armées russes, le gouvernement de Vladimir Poutine a vu une pluie de sanctions tomber sur ses institutions. Exportations, importations, gaz et pétrole, systèmes de paiement... Tous les citoyens russes sont touchés, y compris ceux dont l'activité professionnelle ne nourrit pas l'effort de guerre de leur gouvernement.

La formation scolaire scientifique et technique russe est réputée. La Russie compte une douzaine de Prix Nobel scientifiques dans son histoire et de nombreuses médailles Fields, qui récompensent les meilleurs mathématiciens. Si la plupart des étudiants russes font leurs classes dans des universités techniques moscovites ou pétersbourgeoises, une partie d'entre eux se décide pour venir étudier dans les hautes écoles suisses. A l'Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), des dizaines d'étudiants russes s'inscrivent chaque année.

Cette année, un accroc d'ampleur s'est présenté pour l'inscription au prochain semestre d'automne: comment s'inscrire à la haute école alors que tous les systèmes de paiement internationaux occidentaux sont bloqués à cause des sanctions?

Voici où les sanctions sont réellement utiles 👇

C'est le problème auquel se sont confrontés au moins deux d'entre eux, Illnur et Alexeï* (prénom d'emprunt). Le premier n'a tout simplement pas réussi à s'inscrire à l'école polytechnique fédérale. Quant au deuxième, il a dû user de moyens détournés et ingénieux — mais peu recommandés — pour arriver à ses fins.

Paiement: impossible

Revenons quelques mois en arrière. Illnur, natif d'une ville de l'Oural, s'était décidé depuis plus d'une année pour un Master à l'EPFL. Il a lancé sa demande d'inscription en mars, quelques semaines après le début de l'invasion russe par l'Ukraine.

Il ne peut, toutefois, pas terminer le processus: le paiement des frais pour la présentation du dossier de candidature, d'une valeur de 150 francs, ne peut pas être effectué. En cause, les moyens proposés pour payer. Que ce soit par Mastercard, Visa ou PayPal, impossible de régler depuis la Russie à cause des sanctions appliquées par la Suisse, notamment via le blocage du système interbancaire Swift.

D'autres informations à propos du fameux système Swift 👇

Une réponse en forme de cul-de-sac

Illnur décide de contacter le Service aux étudiants de l'EPFL. Les échanges prennent du temps et celui-ci finit par lui répondre:

«Nous sommes désolés de vous informer que le paiement des frais d'inscription est obligatoire. Il n'est pas possible de valider votre candidature sans ce paiement.»
Message de l'EPFL à Illnur

Une réponse en forme de cul-de-sac, sans aucune alternative de paiement proposée. Illnur propose à l'EPFL d'utiliser des applications de paiement non-occidentales, telles que Unionpay (chinois) ou Webmoney (russe). A nouveau, c'est un refus:

«Nous sommes vraiment navrés, mais les seules options de paiement disponibles sont celles présentes sur notre page web. Nous ne pouvons pas ajouter d'autre moyen de paiement»
Message de l'EPFL à Illnur

L'association russophone le redirige vers un alumni

Le temps continue de passer. Sur demande, l'EPFL dirige Illnur vers l'Aerus, l'Association des étudiants russophones de l'EPFL, dont le canal Telegram compte plus de 250 membres.

«Je pense que l'EPFL est la meilleure université du monde. Je suis sûr que j'arriverai à étudier là-bas un jour»
Illnur, étudiant russe

Celle-ci lui donne les mêmes réponses que l'administration, mais lui envoie cependant l'adresse d'un alumni qui pourrait répondre à ses questions et serait prêt à payer ses frais de dossier. Malheureusement pour Illnur, le temps d'effectuer ces prises de contact et se mettre en relation avec celui-ci, le délai est passé.

Illnur a prévu de retenter sa chance une prochaine fois. Entre-temps, les difficultés économiques l'ont frappé de plein fouet. Ses économies sont gelées à cause des sanctions et la chute du rouble l'a impacté.

«Le rouble s'est effondré de 60% et désormais, 150 francs, c'est l'équivalent de mon salaire»
Message d'Illnur à l'EPFL

L'Aerus aurait-elle pu en faire plus et mettre sur place un système d'aide ou de soutien pour les étudiants en difficulté? Contactée, celle-ci indique ne pas vouloir partager plus d'informations sur ce sujet. Elle nous a, cependant, confirmé avoir redirigé au moins un étudiant en difficulté vers un tiers.

L'EPFL conseille de se tourner vers un tiers à l'étranger

Alexeï* a, lui aussi, décidé de s'inscrire à l'EPFL. Quand il pose son dossier, en avril, le paiement avec Visa, Mastercard ou PayPal n'était déjà plus possible. «J'ai demandé de l'aide à l'EPFL, mais ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire», explique-t-il.

En effet, l'université lui répond, tout comme à Illnur, que «les frais d'inscription sont obligatoires» et qu'«aucune exception ne peut être faite».

«L'EPFL m'a conseillé de me tourner vers un tiers à l'étranger pour effectuer le paiement à ma place»
Alexeï, étudiant russe

La suite de la réponse est surprenante. L'EPFL lui conseille en effet de... trouver quelqu'un hors de Russie pour l'aider à payer. Comment? Vers qui? Ce sera à lui de se débrouiller.

Il se fait aider par un ami en Israël

Les contacts entre le jeune homme et l'EPFL auront été brefs, et l'aide fournie inexistante. L'étudiant moscovite décide de se tourner vers une connaissance en Israël. «Mon ami a pu effectuer le paiement pour moi», précise Alexeï.

L'Etat hébreu est, d'ailleurs, un des seuls pays occidentaux ayant refusé d'appliquer les sanctions contre Moscou. Mais l'étudiant connaît des difficultés pour envoyer l'argent, même en Israël:

«Pour envoyer l'argent à mon ami en Israël, j'ai dû passer par une "personne spécialisée" qui a pu "m'aider" à envoyer l'argent en cash, avec des frais supplémentaires»
Alexeï, étudiant russe

L'étudiant indique ne pas pouvoir nous en dire plus, laissant entendre qu'il a été forcé de faire usage de moyens peu légaux. Une situation aberrante pour celui qui aurait pu devenir un des futurs étudiants de l'EPFL.

Car au final, Alexeï ne sera pas présent sur les bords du Léman cet automne, pour des raisons financières strictes: «J'étais sur le point de toucher une bourse, mais cela n'a pas eu lieu. La vie est trop chère en Suisse, je ne pouvais pas me le permettre.» Si la situation politique s'améliore à l'automne, peut-être, dit-il, qu'il changera d'avis.

L'EPFL se dit ouverte aux questions et demandes

Un accompagnement pour ces étudiants russes en difficulté est-il mis en place au sein de l'institution fédérale? L'EPFL nous répond que «le guichet des étudiants peut être sollicité pour toute question et demande». Il convient toutefois de se demander à quoi sert celui-ci si la réponse donnée est invariablement la même et ne mène à aucune solution pratique.

«Pour que la candidature soit évaluée, l’EPFL doit recevoir le paiement de la finance d’inscription»
Corinne Feuz, porte-parole de l'EPFL

La porte-parole de l'EPFL Corinne Feuz nous explique, en confirmant une partie des informations fournies par Illnur et Alexeï, que:

«Des étudiants venant de toutes les régions du monde annoncent parfois avoir des problèmes pour payer leurs frais d'inscription. L’EPFL ne peut pas gérer l'ensemble de ces situations qui peuvent avoir différentes causes. Plusieurs personnes résidant en Russie ont, du reste, trouvé des moyens pour s'acquitter de cet émolument, comme passer par une personne externe.»
Corinne Feuz, porte-parole de l'EPFL
L'EPFL en a-t-elle fait assez pour ces étudiants?

Pas de baisse des inscriptions en provenance de Russie

Selon l'EPFL, une dizaine d'étudiants en provenance de Russie ont contacté l'établissement à propos de problèmes de paiement liés aux sanctions. Combien d'autres n'auront même pas pris la peine de contacter l'établissement et auront préféré passer outre?

L'école polytechnique assure dans tous les cas ne pas discriminer les étudiants à cause de leur nationalité:

«L’EPFL distingue l’individu de son gouvernement et les candidats russes ne sont en conséquence pas traités différemment des autres»
Corinne Feuz, porte-parole de l'EPFL

Le nombre de candidatures d'étudiants russes cette année ne varie pas des chiffres des années dernières, selon les informations fournies par l'EPFL: 90 contre 96 en 2021, et 41 en 2020, nous explique-t-on.

Pour l'instant, le régime de Poutine s'en fiche de mes vidéos YouTube»
Video: watson
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