«Bon, là je vais faire un coup de gueule, parce que j'en ai marre, et il va bien falloir qu'on en parle à un moment donné». Nicolas a 23 ans, et il est à bout de nerfs. Nouvellement diplômé comme employé de commerce – un papier qu'il obtient au bout de trois ans de formation, en juillet 2022 – cet habitant de Crissier est confronté à l'impensable. Alors que cela fait des mois qu'il postule, parfois «10 à 15 fois par semaine» sans relâche, et malgré son inscription à des agences de placement, les portes des entreprises – et des postes qui le font tant rêver – restent désespérément closes. Au téléphone, le Romand détaille à watson ses derniers mois sous haute pression financière, entre petits jobs et postulations acharnées.
«Je me suis senti très seul, je devais vraiment trouver une solution, car ma maman, chez qui je loge et qui m'a beaucoup soutenu, est partie à la retraite», développe Nicolas, qui admet ne pas avoir eu le réflexe de s'inscrire au chômage dès la fin de sa formation. Pour vivre, et entre deux lettres de motivation, il enchaîne un temps partiel à Uber Eats, à 17.- de l'heure, parfois sous -5 degrés, et de serveur. Il vit alors avec 1000 francs par mois.
Après 5 mois coincé dans sa situation, Nicolas craque. Il saisit son compte TikTok et sa petite communauté de 2000 âmes, et se lâche dans un message qu'il dit avoir fait «à l'arrache», sur le coup du ras-le-bol.
Ce qui rend le jeune Vaudois furieux? Les exigences mentionnées dans les offres d'emploi, quasiment inaccessibles pour un junior faisant ses premières armes sur le marché du travail:
Et le jeune Crissirois de donner quelques exemples, preuves (capture d'écran) à l'appui:
Le cri du coeur ne reste pas sans écho. A peine postée, sa vidéo récolte quelque 150 000 vues, plus de 10k de likes, et moissonne 1500 commentaires. Un buzz que Nicolas décrit comme une vraie «surprise». Echantillon:
«Il faut dégonfler un peu l'image de paradis économique qu'on colle à la Suisse, car dès que j'ai posté mon TikTok, beaucoup de gens se sont reconnus dans mon expérience. J'ai reçu des centaines de messages privés, et de nombreux témoignages similaires au mien», raconte Nicolas. Et la liste des doléances est aussi hétéroclite que leurs auteurs: des jeunes sortant d'un apprentissage comme lui, des seniors, et même des étudiants des hautes écoles et des universités fraîchement diplômés; tous témoignent du même désarroi quant à leur intégration professionnelle.
D'autres, écoeurés par un château de cartes d'espoirs qui ne cesse de s'effondrer, ont entrepris une reconversion. «Mais il faut des moyens financiers suffisants pour avoir ce luxe», note Nicolas.
Ce que le Crissirois regrette le plus, comme il le glisse à watson, ce sont les promesses non tenues par sa formation. En effet, en cours tout comme en entreprise, le papier d'employé de commerce était littéralement «vendu» comme le Graal. Le jeune homme était donc loin de penser qu'il devrait patienter autant une fois son papier en poche. «A l'heure actuelle, nous sommes beaucoup à détenir le même titre», avance le jeune homme. Désormais, les entreprises «ont l'embarras du choix, et certains candidats se retrouvent temporairement sur le carreau».
Autre injustice énumérée par le Romand, le fait que nombre de recruteurs refusent de comptabiliser ses années d'apprentissage comme expérience légitime. Pourtant, le jeune estime avoir fait montre d'autant d'autonomie qu'un employé régulier, et ce dès sa deuxième année. De quoi mener à des interactions parfois frustrantes.
Enfin, le fait que le marché du travail requiert des employés de plus en plus spécialisés n'aide pas. «Mais qu'on sorte de formation ou qu'on change de travail, il y a de toute façon besoin d'un temps d'adaptation à la nouvelle activité», plaide Nicolas.
L'histoire aurait pu en finir là, mais elle a trouvé un heureux dénouement. Pour commencer, parmi la foule de commentaires, le jeune professionnel a carrément reçu...de véritables offres d'emploi.
Et cerise sur le gâteau, voici quelques jours, Nicolas s'est dégotté un CDI. Un comble: son futur employeur fait partie des annonces mentionnées dans sa publication. Le cœur de son sauveur aurait-il fondu devant son cri de détresse?
«C'est peu probable qu'ils soient sur TikTok», sourit le Romand, qui dit se sentir «soulagé» et «libéré» par la perspective d'un salaire fixe – 5000 francs brut – dont il n'a eu de cesse de rêver entre deux petits jobs. Malgré sa bonne fortune, le Crissirois n'en oublie ni ses revendications, ni ses pairs encore en quête de bonne fortune: «il est grand temps que les entreprises publient des annonces plus "junior-friendly". Nous les jeunes avons beaucoup à offrir».