«Y a pas de quoi en faire un foin», m'a dit un collègue ce lundi 17 janvier quand j'ai relevé, taquin, que cette journée qui s'ouvrait était le «Blue Monday», soit le jour le plus déprimant de l'année, et que les médias, heureusement, nous en avaient informés. Comme ils n'ont pas manqué ensuite de nous indiquer que le 21 janvier, aujourd'hui, est la Journée mondiale des câlins. Et ainsi de suite. Toute l'année. Les gens de bonne volonté qui n'arrivent jamais à obtenir ne serait-ce qu'un accusé de réception quand ils envoient leur actualité originale à la presse en sont sans doute ravis.
Alors, vous avez déjà compris, je vais moi aussi vous parler ici de journées internationales. Mais en pratiquant l'art jouissif de la généralisation – et en relevant le caractère farfelu de ces étiquettes collées à des dates ou à des périodes.
Des journées internationales, l'Organisation des Nations unies (ONU) en recense officiellement un peu plus de 140. Mais en ajoutant toutes les «nuits de», les «semaines de», les «mois de» de toutes les échelles géographiques – monde, continent, pays, région, canton, district, vallée, commune... – cela commence à en faire un sacré nombre. Suivant où vous habitez, il se pourrait bien que vous ayez à vous taper plus de journées internationales que de jours dans l'année.
Tiens, pas plus tard que cette semaine, j'ai appris grâce à la Radio télévision suisse (RTS) qu'une association romande de défense de la langue française proposait d'introduire «une journée nationale sans anglicisme». Bien qu'hostile à l'anglais dans nos contrées quand il est utilisé à tort et à travers et au détriment du français, je n'ai pas pu m'empêcher, en pleine séance de rédaction, de réagir en sortant ma mine très naturelle qu'on voit sur l'image de cette chronique – ou plutôt celle-ci: 🙄
C'est qu'à force de se multiplier, les jours consacrés à telle ou telle cause, tel ou tel phénomène, tel ou tel groupe, ne ressortent plus du tout comme des moments extraordinaires. A la limite, si j'avais vécu à l'époque où la première Journée internationale a été créée, celle des droits de l'homme (en 1950), j'aurais peut-être applaudi des deux mains, étant sensible au respect de ceux-ci et convaincu de leur universalité. Surtout que nous étions alors à peine sortis de la guerre.
Or, après réflexion, j'aurais eu tort. Il importe davantage de faire connaître et faire honneur à ses convictions concrètement, autour de soi, selon ses possibilités, que de s'aligner sur une symbolique qui fait fi des évolutions quotidiennes. Oui, le symbole ça compte, mais qui est encore sensible à des symboles dont l'existence ne tient qu'à la visibilité que veulent bien leur donner les médias, année après année, en reprenant les éléments de langage des communicants?
N'est-ce pas, si ce n'est un aveu de défaite, du moins un moyen de se donner bonne conscience pour ensuite tout oublier le lendemain? En plus, un symbole fort, c'est censé marquer, positivement comme négativement. Qu'une seule âme vienne me dire qu'elle n'est pas blasée (ou qu'elle ne ricane pas) en lisant que nous fêterons le 7 septembre la «Journée internationale de l’air pur pour des ciels bleus».
Enfin, n'est-il pas absurde que les femmes se retrouvent dans la même liste que la bicyclette, le thé et les zones humides – et j'en passe et des meilleurs? Voilà le signe de certaines des pires tendances de notre époque, à savoir le relativisme, le suivisme, l'officialisation de tout (et donc de rien) et la démocratisation démente des heureuses hiérarchies.
La réflexion vaut plus largement. Dans son excellente chronique du 5 novembre dernier, la journaliste romande Delphine Gendre osait ce raisonnement sur les ondes du service public à propos de la Session des femmes 2021:
On ne saurait mieux dire. Finalement, que chacun s'organise ses propres rituels journaliers, hebdomadaires, mensuels. La «semaine de Delphine Gendre» est, en ce qui me concerne, un rendez-vous officiel. Et il a lieu toutes les semaines de l'an.