L'an neuf s'est levé. Et son lot de conneries avec. Suivez mon regard. Les Anglo-saxons (qui d'autres?) vous présentent leur nouvelle invention: la carte anti-grossophobie. Les gros, je traduis, souffriraient d'une pression énorme exercée par «la société» qui les jugerait pour leur poids. Ainsi, nous apprend complaisamment le média français Madmoizelle, une société américaine a eu la bonne idée de produire une carte pour personne grosse afin de se sentir tranquille en consultation. On peut y lire ceci:
«Parce que nous vivons dans une société (sic) grossophobe, être pesée, parler de son poids entraîne un sentiment de stress et de honte pour beaucoup de personnes. Beaucoup de gens ressentent de l’anxiété en allant chez le docteur et éviteront de consulter pour éviter la balance», explique la créatrice de la carte au site précité. Qui par ailleurs fait état de «témoignages de grossophobie en milieu médical». Certains professionnels de santé auraient mis le poids de ces patients au centre d’un diagnostic, alors que ce n’était pas l’objet de la consultation.
Ah, «la société», cette fameuse instance abstraite, qui s'est appelée la «bourgeoisie», puis les «structures de pouvoir», ou le «système», ou le «patriarcat»... S'ajoutent maintenant à la liste les scientifiques et les médecins. Faut-il donner du crédit à des gens qui prennent au sérieux l'idée d'une «grossophobie» générale, comme si un complot avait cours pour tourner en ridicule les «minorités»?
Attendez, comme moi, vous considérez qu'aucun médecin n'a en principe intérêt à peser une personne pour rien? Vous êtes d'avis que prêter une grande envergure à ce phénomène supposé est un peu aventureux, voire malhonnête? C'est que vous devez être grossophobe! Supposons donc, pour avancer, que ces témoignages soient authentiques, et leur nombre significatif.
Une question tout d'abord: en quoi une carte aurait-elle plus de chance de succès qu’une discussion d'adulte? Un tel objet, typique de l'enfant qui veut paraître sérieux («J'ai étudié mes cartes de voc allemand maman»), de trentenaire chiant fan de jeux de société («t'as le droit de poser deux cartes de la même couleur mais pas du même chiffre, sauf si t'es à ton troisième tour, mais que tu t'es pas fait bouffer par le joker mystère») ou d'alcoolique anonyme («Bonjour Arthuuuuur»), a sans doute une efficacité de 100% pour briser le lien de confiance entre le patient et le médecin. Ça, oui!
Cette méthode de cartes me fait d'ailleurs furieusement penser aux étiquettes dites de «trigger waning» (ou «traumavertissement»), que je m'étais fait une joie de critiquer dans une précédente chronique. Ces bandeaux en début de livre servent à avertir le lecteur qu'il pourrait être choqué 👇
C'est que les wokes, ou les tenants de la culture de l'offense, ou les obsédés de la victimisation (vous voyez très bien de qui je veux parler) témoignent d'un esprit grégaire et même sectaire – obscurantiste, dirait le ministre de l'éducation français Jean-Michel Blanquer. Une dimension spirituelle et sociale qui favorise un certain mimétisme dans les objets, les références, le langage qu'ils utilisent.
Il n'y a donc rien d'étonnant à ce que chacune de leurs pratiques nous fourgue une drôle d'impression de déjà-vu. Il se pourrait d'ailleurs, perspective terrifiante mais paraissant de plus en plus probable, que le 20e siècle, avec ses poussées totalitaires et son procès de la raison, n'ait été que la répétition générale du siècle à venir.
Mais passons sur ces considérations historico-philosophico-politiques. Car ce sketch américain-crétin a des conséquences très concrètes sur les gens. A commencer par les femmes et les hommes en surpoids. Quel sort réservera aux personnes fragiles une société de la peur où un médecin devra faire attention au moindre geste pouvant être perçu comme offensant?
Qu'une personne pas très fine se pèse est plutôt recommandé pour sa santé. Et pour que le médecin puisse suivre son dossier. Mais qu'en sera-t-il quand la trouille de froisser prendra le dessus, à tous les échelons de la société? Quand tout homme «de pouvoir» sera perçu comme une menace et qu'il n'exercera plus son métier naturellement? Non, décidément, je ne veux pas d'un tel monde. Ça me pèse.