Les Suisses doivent se prononcer ce dimanche sur l'octroi d'une 13ᵉ rente AVS aux retraités. Selon le deuxième sondage gfs.bern publié le 21 février dernier, l'initiative «Mieux vivre à la retraite» est plébiscitée par les actuels retraités, mais elle est rejetée par une majorité des jeunes.
Comment s'explique ce fossé générationnel? Et comment ces jeunes envisagent-ils leur retraite? Nous avons sondé neuf Romands. Ils sont âgés de 27 à 40 ans et nous racontent leurs difficultés à mettre de l'argent de côté tout en s'octroyant des loisirs. Ils nous parlent aussi de leur rapport à cette notion abstraite et lointaine pour eux qu'est la retraite, et nous expliquent encore s'ils pensent pouvoir rester en Suisse le moment venu.
Pour beaucoup de ces Vaudois, Fribourgeois, Neuchâtelois et Valaisans, la question n'est pas tant d'être pour ou contre la 13ᵉ rente, mais plutôt de réfléchir aux conditions de vie des bénéficiaires. Tous s'accordent à dire qu'il s'agirait avant tout d'un pansement sur une jambe cassée. C'est le cas de Patricia. Pour la Taveloise (FR) de 40 ans, mère célibataire de deux enfants en bas âge, «c'est mieux que rien», mais elle doute que cette rallonge permette aux retraités de réellement mieux vivre. Clément, un Lausannois de 28 ans, estime pour sa part que ça n'est pas une solution à long terme, et que les conditions auront de toute façon encore changé d'ici sa propre retraite. Il ironise:
A Saxon (VS), Francesca pense qu'on ne prend pas le problème dans le bon sens. Pour cette mère célibataire d'un enfant en bas âge, il faut revoir la méthode dans sa globalité: «A mon avis, la 13ᵉ rente est un sparadrap sur un problème bien plus large!»
La proposition séduit en revanche Mathieu, même s'il ne parle que d'un «répit». Il vit à Orbe (VD) avec sa femme et leur quatre enfants. Pour le père de famille âgé de 39 ans, cette 13e rente peut aider les grands-parents à souffler:
Il est rejoint par Joseph. Pour le Lausannois de 32 ans, la 13e rente est «sur le fond, une bonne idée». Il se demande toutefois s'il s'agit d'une solution viable. «Je ne sais pas quel pourcentage des retraités a de la peine à vivre, et si les prestations complémentaires suffisent. Je suis perdu.»
Quid du financement d'une éventuelle 13e rente, et plus généralement des retraites? «Je pense qu'on ne devrait pas se poser cette question», répond Mathieu. Un point de vue partagé par Nicolas, qui «n'en peut plus d'entendre parler de gros sous» plutôt que de conditions de vie.
«C’est assez injuste qu’on cotise toute notre vie et qu’on se retrouve quand même à sec à la retraite. La 13e rente, c'est de l'argent de poche, ça n'est pas une vraie solution. Ils ont intérêt à faire bouger les choses sérieusement!», s'énerve le Neuchâtelois. Habitant de Cully (VD), Sam est plus fataliste. L'état des finances de l'AVS l'inquiète:
Certains s'inquiètent de leurs futures conditions de vie à la retraite et prennent aujourd'hui le taureau par les cornes. Mais nos Romands peinent à se projeter. «J'ai un peu de mal à envisager ma retraite. Je crois que je suis dans le déni de l'âge», poursuit Sam, qui dit espérer survivre avec son AVS et ses éventuelles économies le jour venu. Prévoyant, le Vaudois de 39 ans possède trois 3ᵉ piliers, et avait un peu d'argent de côté. Jusqu'à ce que sa situation personnelle ne se complique ces derniers mois:
Il n'est pas le seul. Francesca doit jongler entre ses dépenses courantes, sa récente séparation et l'augmentation du coût de la vie. Du jour au lendemain, la Valaisanne s'est retrouvée endettée. «Aujourd'hui, je ne peux plus mettre d'argent de côté. En plus, la vie est trop chère: mes courses de nourritures pour la semaine ont augmenté de 10 à 20 francs...» Même chose pour Sam, qui rappelle que les charges fixes ont pris l'ascenseur ces dernières années, rendant difficile la possibilité de mettre de l'argent de côté avec un salaire moyen, elle ajoute que la retraite lui semble «loin, voire inaccessible».
Nicolas, lui, vire sur un autre compte en fin d'année ce qui lui reste, mais ne s'attend pas réellement à ce que cette somme lui permette de mieux vivre à la retraite. Une «utopie» pour le Neuchâtelois:
Même s'ils ne pensent pas avoir «un retraite de dingue», comme le dit Clément, ils sont plusieurs, comme le jeune Lausannois, à avoir souscrit des 3e piliers auprès de banques ou d'assurances. Mathieu en a plusieurs: «Au moins, je sais que j’aurai un petit quelque chose plus tard». Joseph, lui, est partagé: «Je n'ai pas de 3e pilier. Peut-être un jour, mais pour l'instant, j'ai des comptes épargne. J'économise plutôt pour des projets ou des dépenses à venir à moyen terme. A vrai dire, je ne pense pas encore à la retraite».
Pour certains, l'idée même de devoir se soucier de la retraite à leurs âges est compliquée, et même contradictoire. Philippe, un Lausannois de 37 ans, explique avoir une aversion pour ce principe, et préfère «parler du choix du bois de mon cercueil que du 3e pilier».
Nos Romands disent être parfois coincés financièrement. Alors faut-il profiter de l'instant présent, ou se serrer la ceinture, quitte à renoncer aux loisirs pour tenter de s'assurer une retraite plus confortable? Un choix cornélien. Avant d'avoir des dettes, Francesca dit s'être bien amusée. «J'aime vivre au jour le jour», assure la Valaisanne. Elle est rejointe par Patricia. Pour la Fribourgeoise, il faut malheureusement choisir entre bien vivre et mettre de côté:
Même les plus prévoyants des Romands interrogés clament qu'il faut d'abord profiter de la vie: «La retraite est encore relativement loin, et je pense qu'il faut avant tout vivre le moment présent», assure Sam. Il est rejoint par Mathieu. Le père de quatre enfants a beau avoir plusieurs 3ᵉ piliers, il reconnaît être également un peu dépensier:
Profiter ou épargner, la question taraude aussi Louise. L'Yverdonnoise de 34 ans a grandi en entendant parler des «caisses vides de l'AVS» et a toujours mis de l'argent de côté, même lorsqu'elle était étudiante.
Ils sont plusieurs à envisager une retraite à l'étranger. Pour trouver une météo plus clémente? C'est surtout l'argument financier qui revient en priorité.
Sam, passionné de pêche, espère pouvoir continuer à vivre chez lui, au bord du Léman. «Je suis inquiet à l'idée de devoir partir de mon pays parce que je n'ai pas les moyens d'y vivre de manière décente... À moins d'aller au paradis de la pêche!», renchérit-il, dans un sourire qui masque son malaise.
Pour Clément, l'idée de devoir partir n'est pas un problème. Ce qui le tourmente, c'est davantage le niveau de vie qui l'attend, un point qu'il a du mal à anticiper à 28 ans: «Je n’imagine pas vraiment avoir une retraite de dingue, même si j’ai un salaire moyen».
Louise, l'Yverdonnoise de 34 ans, craint que même si elle économise aujourd'hui, ça ne sera pas assez pour demain: «J’ai un peu peur de devoir aller vivre à l’étranger quand ça sera mon tour, parce que je refuse de devoir compter au franc près…».
Vivre en Suisse avec sa retraite? Francesca a envie d'y croire, mais elle sait qu'il lui faudra faire des ajustements: «Je pense que je pourrai vivre normalement ici, mais je vais devoir changer mon fonctionnement et refaire comme ma grand-mère: aller dans des commerces de proximités, ou me faire un petit jardin par exemple».
Philipe, le Vaudois qui préfère «parler du choix de son cercueil que du 3e pilier», pense pouvoir être heureux plus tard avec très peu de chose. «Je trouverais juste de baisser mon niveau de vie au profit de ceux qui doivent faire le monde: les jeunes», assure ce papa de deux enfants. En attendant, à défaut de vouloir se projeter, ce Lausannois, philosophe à ses heures perdues, emprunte déjà le chemin de la sagesse:
Les doutes du Vaudois restent en suspens. Lui et le reste de la Suisse sont invités à se prononcer sur cette question, ou du moins, sur l'octroi d'une 13e rente AVS, ce dimanche dans les urnes.