Le mouvement de grève est à l'Helvète ce que le pas de loup est au Valaisan: un geste déplacé. Vu d'ici, personne ne devrait s'émouvoir que des joueurs de volley français, plutôt bien lotis et bien fournis, protestent contre leurs conditions de travail et refusent de disputer un match le 29 décembre, entre la poire et le fromage.
Georges-André Carrel ne blâme pas les grévistes. Bien au contraire. Ancien entraîneur emblématique du LUC, aujourd'hui conférencier et conseiller technique, le Lausannois (73 ans) a récemment travaillé avec l'équipe de France championne olympique. Ce qu'il a vu le conforte dans l'idée que son sport souffre.
Au-delà du volleyball, Georges-André Carrel pointe une dérive contemporaine, ce qu'il perçoit comme la gentrification du spectacle sportif. «Tout le monde veut la même chose: des sponsors et du temps d'antenne. La multiplication des matchs répond à une demande que tous ces sports cherchent à satisfaire. Mais les présidents sont sous pression, les joueurs surmenés.»
Explications: «Le sport de haut niveau s'articule autour du cycle entraînement-compétition-récupération. Peu à peu, la compétition accapare tout l'espace. On ne s'entraîne presque plus et les plages de repos sont sacrifiées. Après les clubs, il y a les compétitions des équipes nationales. Il y a des voyages, des matchs, et encore des voyages et des matchs.»
A l'image de Pep Guardiola, ils ne sont pas rares à penser que le sport d'élite touche aux limites de la résilience humaine. Le volley, pour jouir d'une aura planétaire, suit le mouvement. Georges-André Carrel cite l'exemple de la France championne olympique à Tokyo, récemment éliminée en huitième de finale de l'Euro «parce que ses joueurs étaient cuits, morts». Même problème à Milan: «Mon confrère doit mettre son meilleur joueur sur le banc parce qu'il est à bout. Les compétitions des équipes nationales veulent leur part du gâteau et grignotent toujours plus de temps sur les pauses. Les clubs en ont marre de récupérer leurs joueurs étrangers, qu'ils paient un saladier, dans des états déplorables.»
L'enchaînement des matchs calme l'envie, l'attente, cette fébrilité quasi animale, qui mêlent les papillons dans le ventre et les fourmis dans les jambes. «J'étais dans la pièce lorsqu'un journaliste a demandé à Magic Johnson, aux JO de Barcelone, ce que les Américains avaient de plus que les autres, pourquoi ils mettaient des trempes à tout le monde, sourit Georges-André Carrel. Johnson a répondu: «Les autres font du basket. Les Américains jouent au basket.» C'est exactement ce que nous vivons aujourd'hui: les joueurs font le job. Ils signent un contrat et donnent le maximum. Mais ce n'est plus du sport.»
A la résignation des athlètes las et à bout de nerfs, selon Carrel, s'ajoute la défiance du public lui-même, dont une partie se détourne de la sacralisation de l'Homme fort. «Les jeunes ont une approche différente, ils sont plutôt dans la préservation et l'épanouissement du corps. Ils n'ont pas envie de voir des sportifs à l'agonie, essorés et rachitiques.»
En un sens, l'ire du volleyeur français se réclame (comme le tir du chasseur valaisan) d'une certaine réalité du terrain, inaccessible aux idéalistes et aux ronds-de-cuir. «Je donne des cours aux entraîneurs à Macolin, des entraîneurs issus de différents sports, témoigne Georges-André Carrel. Certains constatent une nervosité extraordinaire autour d'eux: président, joueurs, staffs. Ils n'ont jamais ressenti cela auparavant. Je peux vous dire que tout le monde est très inquiet. On ne pourra pas presser les mêmes citrons à l'infini, et je comprends que certains, en France ou ailleurs, le fassent savoir.»