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Biathlon: Elisa Gasparin revient sur son anorexie

Aujourd'hui, Elisa Gasparin est une femme et athlète épanouie.
Aujourd'hui, Elisa Gasparin est une femme et athlète épanouie. IMAGE: INSTAGRAM
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Cette star suisse du biathlon a guéri d’une terrible maladie

La Grisonne Elisa Gasparin (32 ans) a lutté pendant sa carrière contre une anorexie qui a duré plusieurs années. Elle raconte cette période difficile et son chemin vers la guérison. Interview.
21.04.2024, 06:57
Rainer Sommerhalder / ch media
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Nous rencontrons Elisa Gasparin dans l'hôtel-restaurant de son lieu de résidence, Lenz (GR). Elle commande un coca. «Boire un coca aurait été impossible pour moi à l'époque», confie-t-elle. C'est justement de cette époque que nous allons parler.

Quelle place a la nourriture dans votre vie de sportive d'élite?
ELISA GASPARIN: La nourriture, c'est notre carburant. Si on fait cet apport d'énergie correctement, on peut en tirer un petit pourcentage de puissance supplémentaire. Mais il y a tellement de théories différentes sur la bonne alimentation. C'est comme pour les philosophies d'entraînement: tu ne sais jamais laquelle est la bonne. Tu dois simplement te sentir à l'aise dans ce que tu fais.

«De mon point de vue, deux choses sont importantes: manger suffisamment et de manière équilibrée, c'est-à-dire normalement»

En fin de compte, l'entraînement et la tête sont les facteurs les plus importants pour la performance. Manger, ça vient comme un élément supplémentaire. La nutrition doit être adaptée à long terme, surtout si l'on s'entraîne beaucoup. A court terme, une athlète peut survivre à une semaine de course dans un hôtel où la nourriture est mauvaise. Le corps peut être très simple tant qu'on lui donne quelque chose. Je pense que tu peux manger des Snickers pendant toute une journée et gagner une course après! (rires)

Elisa Gasparin a réussi à surmonter l'anorexie dont elle a été victime au début de sa carrière.
Elisa Gasparin a réussi à surmonter l'anorexie dont elle a été victime au début de sa carrière. image: keystone

Mais parfois, l'alimentation devient un casse-tête.
C'est exactement ça! C'est surtout dangereux dans les jeunes années, entre 16 et 22 ans. Là, le comportement alimentaire a une frontière très étroite. Tu es en pleine puberté, ton corps change. En même temps, tu vois sur les réseaux sociaux des athlètes avec des corps bien musclés et des six-packs, mais qui se sont entraînées durement pendant 15 ans. Et tu te dis: «Pourquoi je ne ressemble pas à ça? Peut-être que je dois manger un peu moins pour me débarrasser de mes bourrelets.» C'est pourtant tout à fait normal à cet âge. On a même besoin de ces réserves d'énergie pour faire face plus tard à un volume d'entraînement aussi important. Les athlètes doivent apprendre à reconnaître et à comprendre ces relations.

«Les entraîneurs devraient également être davantage sensibilisés à ce sujet. Je pense notamment aux remarques blessantes qui peuvent être adressées aux jeunes athlètes. De cette manière, le comportement alimentaire peut basculer dans le négatif en l'espace d'une semaine»

Vous en avez fait vous-même l'expérience, vous avez souffert d'anorexie. Quel âge aviez-vous à l'époque?
Tout a commencé en 2013, j'avais alors 22 ans.

Comment êtes-vous tombée dans ce trouble alimentaire?
Les Jeux olympiques de Sotchi approchaient. On nous a dit que le parcours était incroyablement difficile, qu'on avait l'impression qu'il n'y avait que des montées. A court terme, plus on est léger, plus on est rapide dans les montées. C'était une époque où la plupart des concurrentes de mon âge devaient faire une pause parce qu'elles étaient trop maigres. Il y avait une dynamique malsaine dans ce sens. Dans notre équipe aussi, c'était vraiment mauvais pendant un certain temps. Nous observions mutuellement nos assiettes: qui mangeait quand, quoi et en quelle quantité. C'était presque une compétition pour savoir qui avait le moins de nourriture dans son assiette.

Une compétition malsaine!
On s'implique de plus en plus. À un moment donné, cela commence à être présent dans ta tête 24 heures sur 24. Tu ne penses qu'à manger toute la journée, toujours dans le but de minimiser encore plus les quantités. La faim était alors mon plus grand ennemi. Lorsque j'avais faim à l'entraînement, je me disais que je devais manger, mais je ne voulais pas le faire. Ce n'est que plus tard que j'ai appris que la faim est notre plus grande amie.

«A un moment donné, je n'avais plus du tout faim. Je n'étais ni rassasiée ni affamée, quelle que soit la quantité que j'avais mangée. C'est assez incroyable»

Dans la phase initiale d'une anorexie, on est probablement récompensé dans le sport en réalisant de meilleures performances.
Oui, bien sûr! Aux Jeux olympiques de Sotchi, j'ai remporté un diplôme de manière tout à fait inattendue. Le même hiver, j'ai réalisé la meilleure saison de ma carrière.

Elisa Gasparin en mars 2015, alors amaigrie à cause de son trouble alimentaire.
Elisa Gasparin en mars 2015, alors amaigrie à cause de son trouble alimentaire. image: epa

Comment la tête réagit-elle à cette contradiction?
Je savais que j'étais trop maigre. Je savais que cela pouvait très mal tourner. Mais je me suis dit que ça ne m'atteindrait pas, que j'avais en quelque sorte la situation en main. C'est l'erreur de jugement que font beaucoup de femmes concernées.

Est-ce que cela vous fait vous sentir mal ou même malade?
Non, je n'avais pas un tel sentiment à l'époque. C'est plutôt une question de contrôle. J'avais l'impression de pouvoir contrôler, puisque je pouvais décider moi-même de ce que je mangeais. C'était rassurant.

Mais c'est une croyance erronée.
Oui, on a simplement l'impression qu'il y a un sentiment de contrôle. Alors que c'est le contraire: la situation est devenue totalement incontrôlable. En principe, il est possible de perdre volontairement deux ou trois kilos pour un grand événement. Mais pour cela, il faut établir un plan qui implique aussi de manger davantage ensuite. Je n'avais pas ce plan. J'ai continué à m'affamer pendant presque deux ans. Le corps a suivi, et même très bien suivi. À un moment donné, ma perception personnelle a changé.

A quel niveau?
J'avais l'impression que mon corps paraissait normal dans le miroir. Mais aujourd'hui, lorsque je regarde des photos de l'époque, je tombe presque de ma chaise. Je n'étais plus qu'un bâton.

Quand avez-vous eu le signal d'alarme?
J'ai commencé à remarquer que je manquais d'énergie pour m'entraîner. En automne 2015, j'étais en camp d'entraînement en Croatie avec mes sœurs et notre entraîneur privé. J'étais incroyablement fatiguée. Le coach m'a ordonné de ne rien faire pendant quatre jours, à part me reposer. Même après, j'étais complètement épuisée. J'ai interrompu le camp d'entraînement et suis restée au lit pendant deux semaines à la maison.

«Il m'a fallu une heure pour trouver l'énergie nécessaire pour aller à la salle de bains. C'est là que j'ai réalisé que j'avais fait une connerie»
Elisa Gasparin en été 2015, souffrant alors d'anorexie.
Elisa Gasparin en été 2015, souffrant alors d'anorexie. image: instagram

Mais vous avez quand même commencé la saison.
Oui, après cet effondrement, j'ai établi un plan d'entraînement avec le médecin, en ne m'entraînant au début que 20 minutes tous les deux jours. Cet hiver-là, les championnats du monde n'avaient lieu qu'en mars. Je me suis dit que j'aurais rattrapé mon retard d'ici là. Mais après trois ou quatre courses, j'ai dû me rendre à l'évidence: ce n'était pas possible. J'ai mis un terme à ma saison!

«Avec le recul, j'aurais aimé que la fédération réagisse plus rapidement à mon évolution. Cela devrait se faire dès que les premiers signes indiquent que quelque chose ne va pas»

Comme en Scandinavie, où les athlètes sont retirées des courses et des entraînements et ne peuvent reprendre que lorsqu'elles sont en bonne santé. Cela peut paraître radical, mais le sport de haut niveau exige du professionnalisme. Tu dois tout donner, pas seulement à l'entraînement, mais aussi en te nourrissant correctement.

Comment avez-vous surmonté ce trouble alimentaire?
Je ne me suis pas fait aider. Après avoir interrompu la saison en février, je suis allée dans une agence de voyages et j'ai dit que je voulais aller quelque part au bord de la mer, où il fait chaud et où il y a beaucoup de monde. Je suis donc partie à Cancun, au Mexique, en me fixant comme objectif de prendre le plus de poids possible en un mois, afin d'avoir l'air normale à mon retour. J'ai pris conscience cet hiver-là que toute ma carrière en dépendait.

C'est grâce à un voyage qu'Elisa Gasparin s'est mise sur la voie de la guérison.
C'est grâce à un voyage qu'Elisa Gasparin s'est mise sur la voie de la guérison. image: instagram

Et ça a porté ses fruits sur le long terme, ce voyage?
Oui. Je suis sortie complètement de mon environnement habituel. Au Mexique, j'ai aussi réalisé dans quelle bulle je vivais. Et à Cancun, cette bulle était tout à coup tellement inutile et futile. Personne là-bas ne connaît quoi que ce soit au biathlon. Pourquoi devrais-je faire quelque chose qui ne peut t'aider que dans cette bulle?

«Cette prise de conscience m'a fait énormément de bien. Ce mois a sans doute été l'un des moments les plus passionnants de ma vie. Et j'ai réussi!»

Ça paraît simple.
Tout ne s'est pas fait d'un jour à l'autre. Il m'est arrivé de devoir me forcer à finir toute mon assiette au restaurant. Il m'arrivait aussi de rester assise à table devant mon assiette pendant plus de deux heures.

Et comment s'est passé le retour à la vie quotidienne, dans cette bulle du biathlon d'élite?
J'étais consciente du défi que cela représentait. Mais je suis revenue et je n'ai reçu que des compliments. Ma sœur Selina m'a dit que j'avais l'air beaucoup plus en forme. J'avais enfin l'air en bonne santé. Mais bien sûr, je devais persévérer. Je savais que j'avais fait quelque chose de faux auparavant. Je voulais savoir comment faire les choses correctement. Celui qui ne le fait pas dans cette situation est vraiment stupide... ou très malade.

Les cyclistes aussi sont concernés par les troubles alimentaires👇

Qu'avez-vous fait concrètement?
A mon retour, je suis allée chez «erpse», un institut de diagnostic nutritionnel à Winterthour. J'y ai fait un test à vélo et, au bout d'une petite demi-heure, on m'a dit que je venais de brûler une assiette entière de pâtes.

«J'ai compris pour la première fois ce que signifie pour le corps la pratique d'un sport de haut niveau et pourquoi le corps peut fournir une meilleure performance avec trois ou quatre kilos de plus»

En quelques mois, j'ai réussi à passer d'un état où je ne pensais qu'à manger 24 heures sur 24 à un quotidien où je ne sais plus le soir ce que j'ai mangé le matin. J'ai appris à remettre mes fourneaux en marche. Aujourd'hui, j'ai faim très rapidement, je dois manger presque toutes les deux ou trois heures pour maintenir mon niveau d'énergie.

Aujourd'hui, Elisa Gasparin ne fait plus de fixation sur son alimentation.
Aujourd'hui, Elisa Gasparin ne fait plus de fixation sur son alimentation. image: instagram

Êtes-vous fière de votre parcours?
Oui, très! Même quand je parle avec d'autres personnes concernées. Elles ont toutes eu besoin d'aide et ont mis du temps à surmonter la maladie. Leur parcours était aussi parsemé de rechutes.

Les troubles alimentaires sont-ils mieux abordés aujourd'hui qu'il y a dix ans?
Je pense que oui. Le savoir-faire en matière de nutrition est également beaucoup plus important. Et en biathlon, la tendance est plutôt aux athlètes puissants.

«Je constate aussi que les jeunes athlètes sont beaucoup plus professionnelles. Le sujet est abordé beaucoup plus tôt dans la carrière»

Mais il est également clair que les troubles alimentaires resteront toujours présents dans le sport de haut niveau.

Vous aidez les autres grâce à votre expérience personnelle?
C'est bien qu'il y ait aujourd'hui beaucoup moins de sujets tabous dans la société. Même dans le sport, il n'y a plus de honte à dire qu'une personne a une autre orientation sexuelle, un trouble alimentaire ou qu'elle a actuellement ses règles. Cet environnement facilite aussi l'ouverture d'esprit. Je prends toujours le temps quand quelqu'un me demande conseil. Une carrière dans le sport de haut niveau est si courte. Si l'on perd deux ou trois ans à cause d'un trouble alimentaire, on détruit un quart de son temps. Cela n'en vaut tout simplement pas la peine!

Adaptation en français: Yoann Graber

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