On pourrait s’attendre à plus de faste. Après tout, il s’agit d’une entreprise réalisant des centaines de millions de francs de chiffre d’affaires en Suisse et qui fait régulièrement la une des journaux:
D’après les estimations du cabinet de conseil Carpathia, Temu a généré 350 millions de francs en Suisse en 2023. En 2024, ce chiffre devrait avoir dépassé les 700 millions. Pourtant, rien de cette fortune ne transparaît au 6e étage du bâtiment situé au 29 Aeschengraben à Bâle. C’est là que se trouve Whaleco Switzerland, la filiale suisse de la société exploitant la plateforme chinoise.
Pas de marbre, pas de parquet luxueux, mais du simple stratifié au sol. Et hormis une belle vue sur Bâle, rien n’impressionne ici. L’ambiance aseptisée rappelle l’intérieur d’une voiture de location. Quelques fauteuils bleus, deux plantes en pot, et au centre, un bureau d’accueil en plastique blanc. Derrière celui-ci, une employée arborant des sourcils dessinés et un sourire poli.
«Nous n’avons qu’une adresse e-mail pour Temu», confie-t-elle. Lorsqu’un courrier arrive, il est scanné et envoyé à la plateforme. Rien ici ne laisse penser que nous sommes au siège de la boutique en ligne la plus utilisée de Suisse. En réalité, il ne s’agit que d’une des quatre agences d’OBC Suisse, une entreprise spécialisée dans la domiciliation de sociétés étrangères.
Le problème principal, c’est que Temu, avec ses prix cassés, cause du tort aux commerçants suisses. La plateforme est également accusée de qualité médiocre, de rabais trompeurs, et surtout d’échapper largement à la TVA en Suisse. Mais que répond Temu à ces critiques? Existe-t-il un porte-parole capable d’expliquer leur modèle économique et de calmer la polémique?
Sur son site officiel, l’entreprise ne fournit qu’une adresse e-mail pour les demandes. Quant au registre du commerce suisse, il répertorie l’adresse de Whaleco ainsi que deux noms: Qin Sun, de nationalité chinoise, qui vit à Boston, aux Etats-Unis. Et Florian Müller, citoyen suisse, domicilié à Zoug.
Florian Müller travaille pour MLL Legal, le cabinet d’avocats représentant Temu en Suisse. Mais il reste injoignable: aucune réponse aux e-mails, appels ou messages vocaux. Quant à Qin Sun, son profil LinkedIn indique qu’il est cofondateur de Whaleco et qu’il fait partie de la direction mondiale de Temu, selon Fortune. Lui non plus ne répond pas aux sollicitations.
Peut-être une association professionnelle pourrait-elle éclairer la situation? Temu a déjà contacté la Swiss Retail Federation, une fédération suisse du commerce de détail. Celle-ci avait déposé une plainte auprès du Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco) contre la plateforme chinoise.
Temu a proposé un arrangement, que la directrice de la fédération a refusé afin de protéger les commerçants suisses. La plateforme a également tenté de rejoindre la Fédération suisse du commerce, sans succès. Une fois encore, aucun représentant de Temu ne s’est déplacé: tout s’est fait par e-mail depuis Shanghai. L’objectif de ce rapprochement? Obtenir un label de qualité suisse. Mais la demande a été rejetée.
En septembre dernier, le Seco a convoqué deux employés de Temu à Berne dans le cadre de la plainte de la Swiss Retail Federation. D’après le Secrétariat d’Etat, ils étaient basés à Dublin, où Temu possède son seul véritable bureau en Europe. C’est là que se trouve Whaleco Technology Ltd., la maison mère de Whaleco Switzerland. Et comme en Suisse, seuls un représentant légal et Qin Sun y sont officiellement inscrits.
Si l’on tente de joindre Temu via son adresse presse, la réponse est systématiquement la même:
Ce message provient d’une agence de relations publiques basée à Berlin. Si celle-ci répond aux accusations, elle se contente de donner des réponses toutes faites. Ainsi, la sécurité des produits est bien évidemment «une priorité absolue pour Temu» et l'agence le confirme, l'entreprise paie la TVA suisse depuis 1er janvier. Toutefois, aucune réponse n'est apportée lorsque le sujet des rabais trompeurs est abordé.
Mais une question reste en suspens: qui paie réellement ces taxes? Est-ce Florian Müller, l’avocat suisse de Temu? Ou bien Qin Sun, le mystérieux dirigeant basé aux Etats-Unis? Une chose est sûre, ce n’est certainement pas la réceptionniste du 6ᵉ étage des bureaux situés à Bâle.
(Traduit et adapté par Chiara Lecca)