L'ascension des commerçants en ligne chinois est remarquable: les enquêtes montrent qu'une personne sur deux en Suisse a déjà commandé chez Temu, Shein et autres.
Ce qui est nouveau, c'est que Temu a détrôné Digitec Galaxus sur le podium des commerçants en ligne le plus utilisé. C'est ce qu'a récemment découvert le portail de comparaison Comparis.
Cette situation inquiète les commerçants en ligne comme Digitec Galaxus, qui appartient à Migros et qui était autrefois le numéro un incontesté des commandes en ligne en Suisse. Les commerçants suisses craignent de devoir réduire leurs marges et de ne pas pouvoir résister à la pression sur les prix qu'exercent Temu et les autres géants du commerce en ligne.
Au final, ce sont effectivement les prix plus bas qui incitent les consommateurs à acheter sur les plateformes chinoises:
Avec des prix extrêmement bas, il est difficile pour les détaillants suisses de rivaliser avec les plateformes chinoises. Pour se différencier, ils misent sur la qualité, la transparence et la durabilité, mais cela ne semble pas suffire. De nombreux consommateurs ayant acheté sur des sites chinois justifient leur choix en estimant que les commerçants suisses, comme Digitec Galaxus, ne sont pas forcément plus durables ou éthiques.
Pour vérifier cette affirmation nous avons contacté, Public Eye. Cette organisation suisse indépendante s'engage, par le biais d'enquêtes journalistiques, pour une mondialisation équitable et le respect des droits de l'homme par les entreprises ayant leur siège en Suisse.
Prenons pour exemple les deux commerçants en ligne les plus populaires: Temu et Digitec Galaxus. La filiale suisse de Migros est-elle vraiment beaucoup plus durable? David Hachfeld, expert en textile chez Public Eye, répond:
Temu peut être considéré comme une plateforme qui permet aux micro-entreprises chinoises informelles, initialement destinées au marché national, de jouer un rôle sur le marché mondial. Si Temu n'agit qu'en tant que plateforme, c'est néanmoins elle qui détermine les prix. Entre les entreprises de production et Temu, il y a enfin les intermédiaires qui passent les commandes aux micro-entreprises.
Chez Digitec Galaxus, il existe en revanche deux modèles différents.
Les différences de modèles commerciaux entre la plateforme chinoise et la plateforme suisse font que les choses se passent de manière nettement plus formelle chez Digitec Galaxus. Pour David Hachfeld:
C'est-à-dire une petite entreprise chinoise inconnue ou un producteur «établi», connu, qui respecte certains standards.
Selon Public Eye, dans le domaine de l'habillement, environ 70% des marchandises proviennent de Chine, y compris chez Digitec Galaxus. En tant que consommateur, ne puis-je pas faire mes achats chez Temu, qui est beaucoup moins cher?
David Hachfeld affirme que la filiale de Migros n'a effectivement guère d'exigences de base en matière de développement durable lors de la sélection des commerçants.
Cependant, les fournisseurs de Digitec Galaxus ou ceux qui vendent via la plateforme sont généralement des détaillants de mode classiques, respectant certains standards minimaux. David Hachfeld assure que ce sont les mêmes produits que l'on trouverait dans les boutiques physiques.
Mais pour Temu et Shein, le deuxième commerçant en ligne chinois le plus populaire en Suisse, il faut avant tout être conscient d'une chose:
Les courts délais de livraison ne seraient pas possibles autrement. Public Eye estime que, chaque jour, l'équivalent d'un avion cargo entier rempli de marchandises chinoises de Temu et Shein atterrit ainsi en Suisse.
La situation est certainement différente chez Digitec Galaxus, mais là aussi, il n'y a aucune garantie que les produits n'arrivent pas par avion. L'entreprise assure:
Et si une livraison arrive directement d'Asie, «elle se fait en fait toujours par bateau ou par train. Et pour les derniers kilomètres, par camion».
Il existe des différences importantes en ce qui concerne les conditions de travail lors de la production: chez Digitec Galaxus, les produits en provenance de Chine devraient également avoir été fabriqués en majorité par des entreprises réglementées. David Hachfeld explique:
Il y a tout de même de grandes différences avec les fabricants qui fournissent Temu. Dans le cadre d'une enquête, Public Eye a fait état des conditions de travail des ouvriers travaillant pour un fournisseur de Shein, le concurrent de Temu. Les semaines de 75 heures étaient la norme, avec des journées de travail de dix à douze heures.
D'après David Hachfeld, plusieurs éléments laissent penser que c'est également le cas pour Temu. Son organisation aurait, de plus, découvert que de petites entreprises en Chine qui produisent, entre autres pour Temu, travaillent aussi pour d'autres commerçants en ligne.
Le fait que Temu détermine le prix des produits qui sont vendus sur la plateforme est inhabituel. Cette stratégie permet de les maintenir à un niveau aussi bas. Selon Public Eye, il existe des indices sur la manière dont Temu monte les différents producteurs les uns contre les autres.
Les fabricants vendent leurs marchandises à Temu à un prix fixe, qui diffère ensuite du prix sur la plate-forme. Temu est extrêmement discret sur la fixation des prix. L'année dernière, ce manque de transparence a donné lieu à de grandes protestations publiques devant le siège de Temu. «Ils se sont sentis trompés, car il y avait des indications selon lesquelles, lorsqu'un produit marchait bien, Temu faisait encore plus pression sur les prix au lieu de les augmenter», explique David Hachfeld.
Le revers de la médaille du modèle de prix bas: «Il y a une lutte de pouvoir permanente pour les marges entre les trois acteurs: Temu, les intermédiaires et les fabricants». Au final, ce sont surtout les employés des usines qui risquent d'en faire les frais.
Concernant le respect des dispositions légales des marchandises, Digitec Galaxus a un net avantage. En principe, tous les biens proposées sur la plateforme suisse répondent aux normes européennes de sécurité, aux normes chimiques, etc. Si ce n'est pas le cas, les commerçants doivent en répondre. Pour les retours ou les garanties, le site suisse est un gage de sécurité.
Qu'en est-il de Temu?
On voit une sorte de stratégie par «tâtonnements»: les produits sont distribués et s'il y a des plaintes, ils sont retirés de l'assortiment.
Selon David Hachfeld, les deux entreprises communiquent «vraiment mal». Chez Digitec Galaxus, on sait au moins de quel pays proviennent les marchandises, mais généralement pas de quelles entreprises. Tout comme chez Temu, on ne trouve aucune information à ce sujet et donc rien non plus sur les conditions de travail des fabricants.
Les consommateurs trouvent tout de même auprès de la filiale de Migros des indications sur la quantité de CO₂ émise par la fabrication d'un produit. Il est en outre possible de compenser cette consommation. Mais «au final, tout est laissé à l'appréciation des consommateurs», déplore David Hachfeld.
Digitec Galaxus conteste cette affirmation et renvoie à sa stratégie de durabilité, qui doit lui permettre d'atteindre l'objectif déclaré de zéro net d'ici 2050. Un porte-parole déclare:
Il en irait de même pour les marchandises en provenance de Chine, un sujet sur lequel l'entreprise communique de manière «ouverte et transparent », par exemple à l'aide d'un rapport sur la visite d'un fabricant chinois ou avec un article sur les dangers des commandes Temu.
David Hachfeld estime que l'entreprise pourrait pré-trier son assortiment ou faire sa propre sélection de commerçants, et ainsi se démarquer réellement des autres plateformes.
Pour les consommateurs, il faut retenir ceci: commander chez Temu n'est certainement pas une bonne alternative en termes de durabilité sociale et environnementale.
Traduit et adapté de l'allemand par Léa Krejci