Quel est le point commun entre Robbie Williams, Fred Astaire, les Leningrad Cowboys, Ella Fitzgerald et Neil Diamond? Tous ont interprété ou repris le tube planétaire Puttin’ on the Ritz. En revanche, beaucoup ignorent que le titre de ce standard de jazz a des origines suisses. Signifiant «se mettre sur son trente-et-un», l’expression Puttin’ on the Ritz se réfère en effet à la réputation légendaire de la chaîne d’hôtels fondée par le Suisse César Ritz.
Quelques extraits (traduits) de cette chanson à succès:
«Avez-vous vu les nantis
Se pavaner sur Park Avenue?
(...)
Si vous avez le cafard
et que vous ne savez pas où aller
Pourquoi ne pas vous rendre
là où règne la mode?
Mettez-vous sur votre trente-et-un!»
La chanson incite les auditrices et auditeurs tristes à revêtir leurs plus beaux atours et à sortir en ville:
«Pantalons rayés,
manteaux et redingotes,
tout leur va à merveille.»
Elle donne aussi du courage:
«Vous verrez qu’il est fabuleux
de se mêler à eux et de les écouter
échanger des anecdotes croustillantes
Mettez-vous sur votre trente-et-un!»
La chanson a été écrite et composée par le musicien et parolier russo-américain Irving Berlin (1888–1989) en 1927. Publiée deux ans plus tard, elle devient célèbre en 1930 à travers le film éponyme Puttin’ on the Ritz. Toutefois, les origines de l’expression anglaise commune «on the Ritz» sont plus anciennes et nous mènent en Suisse, plus précisément en Valais.
En 1850, le petit César Ritz, dernier d’une fratrie de treize enfants, voit le jour dans le village de Niederwald, dans la vallée de Conches. Renvoyé de l’école pour cause de paresse, César Ritz suit une trajectoire classique: cireur de chaussures à ses débuts, il devient ensuite apprenti serveur, puis serveur. Après avoir gravi les échelons jusqu’à devenir directeur d’hôtel, il prend la tête de plusieurs établissements à Lucerne, Londres, Cannes, Monte-Carlo, Aix-les-Bains, Rome, Biarritz et Francfort.
En 1898, il inaugure à Paris le premier grand hôtel qui porte son nom sur la très chic place Vendôme. Le «Ritz» devient synonyme de glamour et d’opulence, ainsi que l’un des hôtels les plus célèbres et les plus prestigieux au monde. Il s’agit alors du premier établissement de tourisme où chaque chambre dispose du chauffage, d’une salle de bains et, dans les salons-fumoirs, d’un téléphone. Les affaires marchent si bien que César Ritz ouvre bientôt, dans une dizaine de métropoles, une chaîne d’hôtels de luxe qui portent tous son nom.
Parmi ses habitués figure le roi Edouard VII d’Angleterre, qui ira jusqu’à qualifier César Ritz de «roi des hôteliers et hôtelier des rois», une formule fréquemment reprise. Plus tard, le «Ritz» accueille les Rothschild, les Rockefeller, Charlie Chaplin, Marlene Dietrich et Marcel Proust, qui y puise son inspiration pour ses personnages. Ernest Hemingway sera un client du bar de l’hôtel parisien si fidèle et si porté sur la boisson que celui-ci porte encore son nom aujourd’hui.
C’est ce glamour que le compositeur Irving Berlin a à l’esprit en écrivant Puttin’ on the Ritz. Pourtant, le fondateur de l’établissement n'a alors pas le cœur à s’adonner au faste évoqué dans cette chanson. César Ritz connait en effet une fin tragique: se dévouant corps et âme à la gestion de tous ses hôtels, il est victime en 1903, à l’âge de 53 ans, d’un épuisement physique généralisé qui met brusquement fin à son ascension. L’hôtelier fait sa dernière apparition publique en 1905, avant de se retirer définitivement dans des cliniques à partir de l’année suivante. De nos jours, on parlerait de burn-out chronique.
Il séjourne d’abord dans une clinique psychiatrique à Lausanne avant d’intégrer la petite clinique privée du dr. Gottfried Egli à Küssnacht (SZ). Ritz, hôtelier de la royauté et de la haute société, souffre d’une profonde dépression dont il ne parvient pas à se défaire jusqu’à sa mort en 1918.
Sa tristesse est telle que même l’appel à Puttin’ on the Ritz n’aurait pas pu lui remonter le moral. En mettre plein la vue relève pour lui de l’impossible durant la dernière phase de sa vie. Le fait qu’aujourd’hui encore, l’adjectif anglais «ritzy» renvoie à César Ritz et signifie «noble», «élégant» et «moderne», est une ironie de l’histoire presque cruelle compte tenu de la triste fin du roi de l’hôtellerie.