Comment se fait-il que chalet rime avec suissitude? Après tout, les générations passées n’affectionnaient pas particulièrement ce type d’habitation. Aujourd’hui encore, la majeure partie de la population suisse vit en milieu urbain. Or, c’est dans les campagnes qu’on trouve généralement ces constructions typiques. Vedettes des blogs de voyage et des campagnes de promotion touristique, les chalets incarnent l’image d’une Suisse en harmonie avec la nature et proche de ses traditions.
D’un point de vue historique, cette mise en scène n’a rien de surprenant. En effet, le chalet a toujours été étroitement lié au tourisme. Il aura, toutefois, fallu un regard extérieur pour ériger cette coquette maison de bois au rang de cliché suisse.
Le chalet n’est ni plus ni moins qu’un sous-produit de l’industrialisation. Au 19e siècle, une population toujours plus importante se mit à quitter la campagne pour la ville, les champs pour le travail à l’usine. Les bouleversements économiques et sociaux qui s’ensuivirent donnèrent lieu à une mobilité grandissante. La Suisse suscita l’engouement de nombreux voyageurs, en particulier anglais et allemands, qui tombèrent sous le charme des Alpes et de leur nature en apparence intacte.
Ils y découvrirent un mode de vie sain dans sa rusticité, loin des villes modernes et de la fumée des usines. Johanna Spyri immortalisa cette vision avec l’histoire de Heidi, devenue un best-seller mondial. Le chalet, célébré dans le monde entier, constituait le cadre tout trouvé pour son roman.
Les cabanes et granges rustiques, mais aussi les habitations plus élaborées construites en bois local, véhiculèrent l’image d’une vie proche de la nature au cœur des Alpes, même une fois transplantées dans les villes du nord de l’Europe. Car c’est bien dans les parcs paysagers de la haute société que l’industrie du chalet prit son essor: les voyageurs fortunés, désireux de ramener un bout de montagne de leurs escapades alpines, se mirent à installer ces «maisons suisses» dans les vastes jardins de leurs propriétés. Sous sa forme de modèle réduit d’un bâtiment typique des Alpes, le chalet devint chic.
Ce succès ne passa pas inaperçu en Suisse. Très vite, des usines suisses se mirent à envoyer des catalogues à une clientèle internationale, permettant aux lecteurs de commander le chalet préfabriqué de leur choix en pièces détachées, agrémenté d’ornements, balustrades et pignons personnalisés. Avant que l’avènement du ciment et du béton armé ne transforme radicalement l’architecture au tournant du 20ᵉ siècle, l’artisanat alpin trouva dans le bois la matière première idéale pour une production semi-industrielle.
C’est ainsi que la petite maison en madriers, avec ses éléments en bois préfabriqués en Suisse, s’imposa dans le monde entier. Comme l’explique l’historienne de l’architecture Marion Sauter, le chalet incarna pendant plusieurs décennies une culture du bâti des plus innovantes.
Si l’image stéréotypée du chalet se popularisa à l’étranger, la Suisse ne manqua pas de se la réapproprier. En 1900, à l’occasion de l’Exposition universelle, elle fit ériger à Paris un rocher artificiel entouré de chalets au format légèrement réduit. Les visiteurs se délectèrent du spectacle de ces charmantes petites maisons en bois.
Par la suite, on commença à reproduire ces constructions dans leur environnement réel, notamment dans les régions alpines à vocation touristique. La Suisse des chalets doit donc son existence à la capacité de tirer profit des clichés étrangers dont a su faire preuve sa population.
La remarquable mise en scène lors de l’Exposition universelle de 1900 marque également une rupture dans l’histoire du chalet. La fin du 19ᵉ siècle est aussi celle d’une époque où les constructions en bois incarnaient l’innovation. Tandis que l’avènement du béton se profilait à l’horizon, le chalet devint un élément folklorique. S’il continua à faire le bonheur des autochtones comme des voyageurs, il disparut peu à peu des devants de la scène architecturale. Là où la protection des sites imposait la structure du chalet, il n’était pas rare désormais de bâtir des maisons conventionnelles en béton, puis de les recouvrir de lattes de bois purement décoratives.
Ce n’est qu’à l’aube des années 1990 que le bois connut un regain d’intérêt comme matériau de construction. Ressource renouvelable et durable, il regagna ses lettres de noblesse dans le contexte de la crise climatique. Les nouvelles technologies ouvrirent en outre la voie à des approches innovantes, comme la construction d’immeubles en bois. Au 21ᵉ siècle, le bois s’impose à nouveau comme le matériau de demain.
Alors, qu’en est-il du chalet aujourd’hui? Les «maisons suisses» conventionnelles ont elles aussi connu un nouvel élan au cours des dernières années, à l’instar de la commune grisonne de Vrin, titulaire du prix Wakker 1998 pour avoir donné un nouveau souffle à la construction en bois traditionnelle. Parce qu’il invite à réfléchir sur une manière durable de construire ou le mitage du territoire, le chalet soulève aujourd’hui des questions importantes. Ce qui ne l’empêche pas de rester un refuge douillet, empreint de nostalgie. Et de perpétuer ainsi l’idéal de ses inventeurs européens.