Il s'est passé un événement oublié à Neuchâtel le jour de l'élection de Kennedy
Née dans le quartier neuchâtelois de Serrières en 1826, la chocolaterie Suchard a ravi les palais du monde entier grâce à ses pralinés, ses tablettes et ses célèbres bonbons Sugus. Symbole d’une success story neuchâteloise, l’entreprise a marqué l’histoire industrielle suisse bien au-delà de ses frontières. Cette épopée s’inscrit aussi dans les pages d’un objet singulier et emblématique: son livre d’or, qui retrace les nombreuses personnalités ayant défilé dans les couloirs de cette entreprise connue partout dans le monde.
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Témoignage précieux de la vie de l’usine, ce livre d’or a disparu à jamais dans l’incendie de la fabrique «L’Orientale», dans la nuit du 19 octobre 1957. Ce drame a laissé une empreinte profonde dans la mémoire de l’entreprise. Consciente de la fragilité des traces matérielles, Suchard a très tôt conceptualisé l’importance du livre d’or comme témoin de son histoire.
En 1960, tel un phénix, le livre d’or Suchard renaît de ses cendres sous la forme d’un deuxième volume. Rédigé avec soin, il témoigne d’une ambition renouvelée et de la volonté de préserver «la mémoire et le cœur d’une maison» comme on le lit dans sa première page. Aujourd’hui encore, il incarne la fierté de la région neuchâteloise. Plus qu’un simple registre, il devient un important document historique.
Parmi les personnalités immortalisées dans le livre d’or figurent, outre les membres de l’équipe nationale suisse de ski de 1966, aussi bien des membres du Rotary Club que des représentants de maisons royales comme l’ambassadeur de Sa Majesté la reine du Royaume-Uni. Chaque nom inscrit dans le registre dit quelque chose de Suchard et de son époque: des alliances industrielles, des amitiés culturelles. A travers ces pages, c’est tout un monde qui reprend vie, entre dédicaces solennelles ou plus légères, et calligraphies soigneusement tracées.
Visite princière
Un couple princier a particulièrement retenu l’attention de la presse et de la communauté locale le 9 novembre 1960: le prince Rainier III de Monaco et – peut-être surtout – son épouse la princesse Grace Kelly. En visite officielle en Suisse du 8 au 11 novembre 1960, le couple fait une halte très attendue à Neuchâtel.
Accueillis dans la matinée à la chocolaterie Suchard de Serrières par le président de la Confédération Max Petitpierre, les souverains poursuivent leur visite au Château de Neuchâtel, où ils sont reçus par le gouvernement cantonal, avant de partager un dîner officiel au Château de Boudry. La journée s’achève par une dernière étape au Locle, avec la découverte de l’entreprise horlogère Tissot, autre fleuron de l’industrie régionale.
Leur passage dans l’entreprise Suchard est marqué par une réception officielle soigneusement organisée où, comme le veut la tradition, Leurs Altesses apposent leur signature dans le livre d’or de la chocolaterie. Si la visite peut sembler brève, elle est largement saluée par la presse locale qui souligne l’élégance de la princesse, la précision du protocole et la fierté visible des hôtes.
Cette visite incarne, au-delà du cérémonial, un moment de rayonnement international pour la Suisse, alors présidée par le conseiller fédéral neuchâtelois Max Petitpierre. Nul doute que c’est grâce à lui que Suchard, une des entreprises phares de l’économie helvétique, constitue l’une des étapes de la visite d’Etat monégasque.
La venue du couple princier à Neuchâtel ne relève pas uniquement du protocole officiel: elle cristallise une série d’enjeux politiques, culturels et médiatiques. L’ancienne principauté de Neuchâtel accueille une principauté moderne et bien vivante, incarnée par un duo mêlant charme et prestige.
A travers Grace Kelly, l’égérie du réalisateur et scénariste Alfred Hitchcock, Monaco se pare d’un éclat nouveau. L’actrice devenue princesse insuffle une aura glamour et contemporaine à une monarchie longtemps perçue comme vieillissante. L’événement partageait même la une de plusieurs quotidiens avec l’élection de John F. Kennedy à la tête des Etats-Unis: princier ou présidentiel, les deux couples étaient des symboles scrutés dans le monde entier.
L’euphorie entourant la visite de Grace Kelly et du prince Rainier III ne fait cependant pas l’unanimité. On lit ainsi dans la Feuille d’Avis de Neuchâtel du 9 novembre 1960:
Notons qu’en 1960, le souvenir alors à peine centenaire de l’abolition de la monarchie à Neuchâtel est encore vif, et que les accusations de «royalisme» peuvent facilement retentir.
Le livre d’or de la chocolaterie Suchard conserve la mémoire du passage des invités monégasques, mais aussi de centaines d’autres visiteuses et visiteurs, célèbres ou non. Cet objet illustre toute la richesse symbolique que peut contenir un simple registre. Trop souvent relégué au rang d’objet anecdotique, le livre d’or offre pourtant, à travers une signature, un petit dessin ou quelques phrases, une plongée unique dans des récits collectifs et des fragments d’intimité, précieux témoins sociaux, culturels ou politiques d’une époque.
Archives de la Ville de Neuchâtel
Entre la signature de l’empereur du Japon et celle de J.R.R. Tolkien, de nombreux livres d’or, issus de divers milieux et institutions, sont à découvrir dans l’exposition «Livres d’or», présentée aux Archives de la Ville de Neuchâtel.
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