Ce roi s'exhibait tout nu au bord du Léman
A partir de 1868, Guillaume III séjourne régulièrement en Suisse où il réside incognito sous le pseudonyme de comte von Büren. Il partage l’air pur, la clarté des eaux et la beauté des paysages helvétiques avec sa maîtresse.
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En 1875, Guillaume III décide de passer l’été au bord du lac Léman où il a loué pour une durée de cinq ans la Villa Richelieu, située entre Clarens et Vernex. Le royal locataire y dispose des 15 chambres meublées de la villa, d’une dépendance et du jardin. Le bail stipulait que le propriétaire des lieux, Henri Mayor, devait faire aménager un lieu propice à la conservation des vins. On ignore si la dive bouteille fut la cause des frasques qui s’ensuivirent.
Bains de minuit et scènes du balcon
Quelques semaines après son arrivée au mois de juin, les premiers bruits commencent à courir sur les frasques du roi. Posté sur le balcon de la villa, il aurait à plusieurs reprises exhibé ses attributs sexuels à la vue des passagers naviguant sur les bateaux et barques du lac Léman.
Une agence de presse parisienne s’empare de la rumeur, bientôt relayée par plusieurs journaux en Suisse et à l’étranger. «Le roi de Hollande, qui séjourne en ce moment à Montreux, où il vient chaque année passer une partie de la saison, est en conflit avec l’autorité vaudoise.»
Le journal hollandais Asmodée se montre encore plus précis: «Il semble que le comte von Büren a pris l’habitude de se baigner tous les jours entièrement nu dans le lac Léman [...]. On prétend aussi qu’après son bain, il passe du temps sur la terrasse de sa villa dans le même appareil, suscitant la colère des passants [...].»
Les journaux intimes de l’ex-ministre de la guerre August Willem Philip Weitzel révèleront ultérieurement qu’il ne s’agissait pas d’une simple rumeur:
Les procès-verbaux du Conseil communal font état de nombreuses plaintes, à la suite desquelles le comte von Büren fut informé par écrit du règlement de police et des règles de la décence.
Guillaume III tente alors d’invoquer son impunité royale – mais son pseudonyme l’en empêchera car les autorités ne le considèrent que comme un comte et l’affaire remonte jusqu’au Conseil d’Etat vaudois. Les Archives cantonales vaudoises et les Archives fédérales suisses font état de l’intervention du Conseil fédéral et des autorités néerlandaises.
Le roi veut d’abord révéler sa véritable identité afin d’être traité avec tous les égards dus à son rang. Mais l’ambassadeur des Pays-Bas évoque les questions délicates que cela pourrait soulever, à la suite de quoi les autorités néerlandaises informent le Conseil fédéral du maintien de l’incognito de Guillaume III.
Les deux parties n’avaient en effet rien à gagner d’une révélation qui aurait mis en péril un traité commercial qui sera signé au mois d’août 1875 entre la Suisse et les Pays-Bas.
Le «roi gorille»
L’affaire du lac Léman n’était pas un cas isolé pour Guillaume III, un homme dont on connaissait les tendances sadiques. Il était impulsif et son premier mariage fut une catastrophe. Il semble que le président du Conseil des ministres néerlandais avait toujours en sa possession deux plumes pour les séances de signature royale.
Guillaume III avait en effet l’habitude d’exprimer sa colère en jetant la première plume à travers la pièce et d’utiliser la seconde pour signer les documents après s’être calmé. Son caractère instable lui valut le surnom de «roi gorille» dans les milieux opposés à la monarchie.
Les autorités suisses le faisaient aussi enrager, comme on le constatera après son retour au royaume. Lors d’une rencontre avec son ministre de la marine, tout juste revenu d’une guerre dans les colonies, il lui intime l’ordre de se rendre en Suisse au printemps suivant à la tête de quelques centaines de soldats et des canons, invoquant le fait qu’il avait été traité «un peu trop familièrement» dans ce pays et que cela ne devait pas se reproduire lors de son prochain voyage.
Le ministre lui conseille de revenir sur ce sujet ultérieurement – après tout, cela équivaut à une déclaration de guerre – et fort heureusement, Guillaume III ne poursuivra pas ce projet.
Avec la publication du pamphlet «Scènes de la vie du roi gorille» en 1887 à l’occasion du 70e anniversaire de Guillaume III, la popularité du roi touche le fond. Cette brochure éditée par les milieux socialistes évoque, entre autres, ses tendances exhibitionnistes. Coauteur du pamphlet, Sicco Roorda van Eysinga vivait lui-même au bord du lac Léman et disposait certainement d’informations de première main.
Un gorille dans un magasin de porcelaine
Bien que Guillaume III eût loué la Villa Richelieu pour une durée de cinq ans, le bail fut résilié avant terme. Le propriétaire de la villa avait reçu de nombreuses plaintes mentionnant le bruit du verre brisé et de meubles malmenés. Un inventaire révéla l’étendue des dégâts. Le mobilier était en majeure partie endommagé, détruit ou avait disparu, comme trois des six tables de jardin en métal vraisemblablement jetées au fond du lac Léman. Il ne restait en outre que 5 des 36 verres à vin du vaisselier.
La résiliation du bail à loyer conclu avec le roi Guillaume III permit d’accueillir une autre célébrité à la Villa Richelieu. À compter de 1877, le compositeur Piotr Ilitch Tchaïkovski séjourna trois fois dans la villa où il composa une partie de son concerto pour violon et de son opéra «Eugène Onéguine». La musique avait désormais remplacé le fracas du verre brisé dans les salons de la Villa Richelieu.
Musée national Zurich
Bien que la Suisse n’ait jamais eu de tradition monarchique, les histoires des maisons royales ont toujours suscité la fascination dans notre pays. Qu’il s’agisse d’impératrices, de reines ou de princesses : peu importe que les visites royales aient été motivées par des raisons politiques, économiques ou privées. À l’époque comme aujourd’hui, elles avaient en commun la capacité de susciter un enthousiasme et une fascination immenses au sein de la population suisse. C’est ce que montre l’exposition à travers d’innombrables tableaux et objets exclusifs ayant appartenu aux membres des familles royales.
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