La mort de ce roi en Suisse a eu de lourdes conséquences
Le 9 septembre 1933, les drapeaux du Palais fédéral furent mis en berne. La nuit précédente, le roi Fayçal Iᵉʳ d’Irak avait succombé à une crise cardiaque à l’Hôtel Bellevue Palace. A 18 h, le vice-président du Conseil fédéral Marcel Pilet-Golaz et le chef du Département politique, le conseiller fédéral Giuseppe Motta, se rendirent à cet hôtel de luxe situé à proximité afin de présenter leurs condoléances au frère aîné du défunt, Ali, ex-roi du Hedjaz, ainsi qu’au ministre irakien des Affaires étrangères Nuri Pacha, tous deux présents sur place.
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La dépouille mortelle de Fayçal fut embaumée le jour même. Le célèbre photographe bernois Carl Jost prit une photo du roi après la mise en bière. Le 10 septembre, un wagon funéraire transportant le cercueil fut attelé au train express international qui quitta Berne à 8h48 pour atteindre Gênes par le tunnel du Simplon.
A Gênes, le navire de guerre britannique HMS Despatch prit en charge la dépouille mortelle de Fayçal et l’achemina jusqu’à Haïfa. Enfin, un avion militaire transporta le cercueil à Bagdad, où les funérailles eurent lieu le 16 septembre. Sept jours auparavant, Ghazi, fils de Fayçal, âgé de 21 ans, avait déjà été proclamé nouveau roi d’Irak.
Ce n’était pas la première fois que le roi Fayçal venait en Suisse. En 1930 et 1931, le monarque s’était déjà rendu à Berne pendant quelques semaines pour suivre un traitement médical dans la clinique privée du chirurgien Albert Kocher, qui était le fils et l’un des élèves de Theodor Kocher. Kocher père était un pionnier de la chirurgie physiologique et avait reçu le prix Nobel de médecine en 1909.
Quand Fayçal arriva en Suisse en juillet 1933, il était encore une fois épuisé. Le journal anglais Evening News rapporta plus tard que les journées de travail du monarque duraient généralement une quinzaine d’heures. Cette fois-ci, son séjour à la clinique privée d’Albert Kocher ne se présentait vraiment pas sous les meilleurs auspices.
Fayçal dut interrompre sa cure en juillet et rentrer précipitamment dans son pays pour se consacrer à la «crise assyrienne». Dans le nord du pays, l’armée gouvernementale, de concert avec des francs-tireurs kurdes, avait massacré des centaines d’Assyriennes et d’Assyriens chrétiens qui représentaient prétendument une menace pour «l’unité nationale» du pays. Fayçal ne put poursuivre son séjour à Berne qu’à la fin du mois d’août.
Un chemin vers le trône semé d’embûches
Ce massacre d’une minorité religieuse mettait en lumière la situation confuse qui régnait dans l’État irakien moderne, qui avait été créé de toutes pièces sur une planche à dessin par la tutelle coloniale britannique.
En 1920, les Britanniques avaient détaché du défunt Empire ottoman trois provinces ethniquement et religieusement très différentes, celle de Bagdad, à majorité sunnite, la province kurde de Mossoul et la province chiite de Bassorah, et les avaient réunies sous leur contrôle pour former un territoire sous mandat de la Société des Nations. En 1921, une révolte des chiites et des Kurdes fut brutalement réprimée par les troupes britanniques, qui recoururent à des gaz toxiques.
En mars 1921, le ministre des Colonies Winston Churchill réunit au Caire des experts britanniques du Proche-Orient afin de discuter de l’avenir de l’Irak. Au grand amusement de Churchill, ce groupe d’experts, parmi lesquels figuraient Gertrude Bell, la «mère de l’Irak», et le légendaire T. E. Lawrence «d’Arabie», fut très vite surnommé «les quarante voleurs».
La conférence confirma la nomination du prince hachémite Fayçal ben el-Hussein ben Ali comme roi d’Irak. Fayçal était le troisième fils du chérif Hussein ben Ali de La Mecque, issu de la famille des Hachémites, qui descendait directement du mariage de Fatima, fille du prophète Mahomet, et d’Ali.
La correspondance entre le père de Fayçal et le haut-commissaire britannique Henry MacMahon au Caire pendant la Première Guerre mondiale révèle qu’en 1916, ce dernier avait promis à Hussein la création d’une monarchie arabe au Proche-Orient si les Arabes venaient à se soulever contre les Turcs. Or la même année, les Britanniques et les Français, anticipant la victoire de l’Entente sur les puissances centrales et leur allié, l’Empire ottoman, se partagèrent le même territoire dans le cadre de l’accord Sykes-Picot.
En 1918, la révolte arabe contre la domination turque conduisit Fayçal, accompagné de son officier de liaison britannique T. E. Lawrence, à Damas, où il fut proclamé «malik al-arab», roi des Arabes – fonction qui ne resta pas longtemps la sienne. En 1920, les Français, auxquels l’accord Sykes-Picot avait attribué la Syrie, chassèrent Fayçal de Damas. C’est grâce à l’archéologue Gertrude Bell que Fayçal fut choisi par les Britanniques comme futur roi d’Irak. Ainsi, le prince hachémite fut à la fois victime et bénéficiaire de la politique coloniale européenne.
Le pouvoir de Fayçal s’appuyait sur les Britanniques, les grands propriétaires terriens locaux et un petit groupe de vétérans d’origine irakienne de la révolte arabe contre les Turcs, qui jouaient désormais un rôle central dans l’administration étatique, l’éducation et le corps des officiers. La population se montrait quant à elle très sceptique envers ce roi, notamment les militants kurdes et les érudits chiites.
Descendant de la famille hachémite, Fayçal était considéré en Irak comme un souverain étranger, mis en place par la grâce des Britanniques. L’indépendance officielle de l’Irak en 1932 ne changea finalement pas grand-chose aux rapports de force. Les troupes et les entreprises britanniques restèrent en Mésopotamie.
Les successeurs malheureux de Fayçal
La mort de Fayçal à Berne fut un présage funeste pour la monarchie hachémite en Irak. Pour ses jeunes successeurs sur le trône irakien, la chance ne serait guère au rendez-vous. Le roi Ghazi Ier décéda en 1939, à l’âge d’à peine 30 ans, des suites d’un accident de voiture. Comme lors du décès de son père six ans plus tôt, des rumeurs d’assassinat circulèrent à nouveau en Irak. Le successeur de Ghazi fut son fils Fayçal II, alors âgé de quatre ans, dont le prince Abdelilah ben Ali, un oncle maternel, assuma la régence.
Après la Seconde Guerre mondiale, les tensions sociales au sein de la société irakienne s’exacerbèrent. Les revendications de réforme agraire et d’extension du droit de vote ne pouvaient plus être ignorées. La révolte kurde contre l’Etat central reprit de plus belle et la résistance chiite contre la domination sunnite persistante s’intensifia. Les recettes croissantes tirées des exportations de pétrole servirent en grande partie à entretenir le système clientéliste qui permettait à la monarchie de se maintenir au pouvoir.
En juillet 1958, un groupe d’officiers nationalistes emmené par le général Abdel Karim Kassem renversa le pouvoir par un coup d’État. La famille royale et les principaux dirigeants politiques de la période hachémite furent exécutés. La République fut proclamée et les liens politiques avec l’Occident rompus au profit de relations étroites avec l’Union soviétique.
Côté chronique mondaine helvétique, deux anecdotes complèteront cette histoire. Le jour même de la mort de Fayçal, le directeur du Bellevue Palace de Berne, Fritz Eggimann, décéda lui aussi. Des journaux anglo-saxons rapportèrent que le directeur de l’hôtel avait été l’un des premiers à découvrir le roi mort dans son lit. Sous le choc, Eggimann aurait fait un malaise et serait décédé trois heures plus tard.
La presse suisse se montra plus circonspecte. Selon le Journal du Jura, par exemple, Eggimann serait lui aussi décédé le 8 septembre, mais des suites d’une «bronchopneumonie». Enfin, dans son article «Ein transatlantischer Blick auf die Berner Ärzte» (Un regard transatlantique sur les médecins bernois), l’historienne Madeleine Herren écrit que le New York Times publia une nécrologie à l’occasion du décès du privat-docent Albert Kocher en 1941, qui faisait explicitement référence à son patient le plus célèbre, le roi Fayçal Ier d’Irak.
Musée national Zurich
Bien que la Suisse n’ait jamais eu de tradition monarchique, les histoires des maisons royales ont toujours suscité la fascination dans notre pays. Qu’il s’agisse d’impératrices, de reines ou de princesses : peu importe que les visites royales aient été motivées par des raisons politiques, économiques ou privées. À l’époque comme aujourd’hui, elles avaient en commun la capacité de susciter un enthousiasme et une fascination immenses au sein de la population suisse. C’est ce que montre l’exposition à travers d’innombrables tableaux et objets exclusifs ayant appartenu aux membres des familles royales.
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