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Voici pourquoi l'affaire Jacques Baud agite la Suisse

Jacques Baud$ est coincé à Bruxelles et dans l'incapacité d'accéder à ses comptes bancaires.
Jacques Baud est coincé à Bruxelles et dans l'incapacité d'accéder à ses comptes bancaires.Image: ALEX SPICHALE

Cet ex-colonel met la Suisse dans une position délicate

L'Union européenne accuse un ancien responsable du renseignement suisse d’avoir relayé de la propagande russe et mené des opérations de manipulation. En réponse, elle l’a inscrit sur une liste de sanctions. Jacques Baud conteste ces accusations publiquement et dénonce le manque de soutien de la Confédération.
26.12.2025, 05:3126.12.2025, 05:31
Doris Kleck / Ch Media

Jacques Baud est un économiste genevois de 70 ans. Il a été colonel dans l'armée suisse et a travaillé entre 1982 et 1990 pour le service de renseignement, où il s'occupait notamment des Etats du Pacte de Varsovie et a appris le russe.

Il a ensuite travaillé pour l'ONU, où il a notamment dirigé le service de renseignement de la mission de maintien de la paix au Soudan. En 2011, il a rejoint l'Otan.

D'où proviennent les controverses?

Après la fin de sa carrière active, il s'est de plus en plus fait connaître comme auteur et commentateur de conflits géopolitiques. Il est devenu particulièrement célèbre pour ses analyses de la guerre en Ukraine, qui s'écartent fortement des positions des gouvernements occidentaux.

Parmi ses déclarations les plus controversées figure l'affirmation selon laquelle l'Ukraine aurait provoqué l'attaque russe. Il remet également en question la responsabilité des troupes russes dans le massacre de Boutcha.

Déjà auparavant, Baud s'était fait remarquer par des prises de position controversées mettant en doute les récits officiels et les enquêtes internationales. Il conteste notamment le fait qu'Oussama ben Laden ait été responsable de la planification et de l'exécution des attentats du 11 septembre 2001. Concernant la guerre en Syrie, Baud a à plusieurs reprises remis en question la responsabilité du régime Assad dans l'usage d'armes chimiques et mis en cause la crédibilité des investigations internationales.

Ses détracteurs l'accusent de relativiser des crimes de guerre largement documentés et de diffuser des récits qui tendent à dédouaner des régimes autoritaires.

Pourquoi l'UE a-t-elle sanctionné Baud?

Le 15 décembre 2025, l'Union européenne a inscrit Jacques Baud sur sa liste de personnes sanctionnées dans le cadre de ses mesures visant les activités durables et déstabilisatrices liées à la Russie. Selon l'UE, Baud est un invité régulier de programmes télévisés et radiophoniques pro-russes, agit comme relais de la propagande russe et diffuse des théories complotistes, notamment en accusant l'Ukraine d'avoir mis en scène sa propre invasion pour rejoindre l'Otan.

Il serait responsable de la mise en œuvre ou du soutien à des actions attribuables au gouvernement russe qui menacent la stabilité et la sécurité de l'Ukraine, recourant à la manipulation de l'information et à l'ingérence.

Quelles conséquences pour Baud?

Il n'a plus accès à ses comptes bancaires ni à ses autres avoirs. Les citoyens et entreprises de l'UE ont également l'interdiction de lui apporter un soutien financier. Cette mesure est particulièrement contraignante pour Baud, dont l'éditeur est basé en France. Par ailleurs, il ne peut ni entrer dans l'espace européen ni le traverser: il est donc bloqué à Bruxelles.

En Suisse, il ne serait pas poursuivi, car le Conseil fédéral n'a pas adopté le paquet de sanctions relatif à la «menace hybride».

Que répond Baud à ces accusations?

Jacques Baud s'est longuement exprimé dans le Weltwoche. Il affirme que les sanctions sont «pire qu'une peine de prison». Le ton général de l'entretien: il aurait été sanctionné par l'UE non pour des actes répréhensibles, mais uniquement en raison de ses opinions divergentes. Il s'agit donc, selon lui, avant tout d'une question de liberté d'expression.

Baud précise qu'il n'a aucun lien avec les médias ou les autorités russes et réfute l'accusation de propagande. Il se considère comme un analyste neutre et conteste:

«Je ne reçois aucun rouble de Russie. Qu'est-ce que j'y gagnerais?»

L'ex-fonctionnaite explique qu’il n’est sciemment jamais apparu sur «Russia Today»; il est toutefois possible que la chaîne russe ait utilisé des extraits d’interviews qu’il a accordées. Il est cependant indéniable qu'il est apparu dans des médias pro-russes.

Il précise également qu'il n'a jamais affirmé que l'Ukraine aurait provoqué la guerre elle-même: il se serait contenté de rapporter une déclaration d’Oleksiy Arestovytch, ancien conseiller de Zelensky, qui avait déclaré, en 2019, qu'une adhésion de l'Ukraine à l'Otan entraînerait une attaque russe.

Jacques Baud critique par ailleurs le fait de n’avoir jamais été entendu par l’UE.​

Baud bénéficie-t-il de la protection de la Suisse?

L'ancien agent du renseignement se plaint également du manque de soutien de la Suisse. La Confédération a été informée, le 12 décembre, de la sanction européenne le visant, soit le même jour que lui. Ce dernier dit avoir contacté l'ambassade à Bruxelles ce même jour, mais celle-ci ne lui a répondu que dix jours plus tard.

Le mardi 22 décembre, un entretien a eu lieu entre l’ambassadrice de Suisse aux Pays-Bas et Jacques Baud. Elle lui a proposé un soutien «dans la mesure du possible», écrit le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE). Celui-ci se renseignera également auprès des autorités compétentes de l’UE sur les voies de droit dont dispose l'ex-fonctionnaire pour contester cette décision. Il faut savoir que l’ambassade de Suisse à Bruxelles ne dispose pas de section consulaire; celle d’Amsterdam assume cette tâche pour l’ensemble des pays du Benelux.

Actuellement, la Confédération examine si Jacques Baud peut bénéficier d'une protection consulaire, qui s'applique lorsque des citoyens suisses se trouvent en difficulté à l'étranger. Cette assistance n'intervient toutefois qu'après que les intéressés ont tenté par tous les moyens raisonnables de gérer eux-mêmes leur situation, sur le plan organisationnel ou financier. La responsabilité personnelle prime donc en premier lieu. Il n'existe aucun droit légal à l'assistance fédérale, qui peut être refusée ou limitée, notamment si son octroi risquerait de nuire aux intérêts de la politique étrangère de la Suisse.

Pourquoi cette affaire fait-elle autant de remous?

D'une part, il est rare que des particuliers suisses soient sanctionnés par l'UE. D'autre part, Jacques Baud recherche délibérément l'attention médiatique. Pour la Weltwoche, ce cas illustre de manière exemplaire la question de la liberté d'expression menacée au sein de l'UE.

D'un autre côté, certaines personnes au sein de l'administration reprochent à certains médias et journalistes critiques envers l'UE de transformer le coupable en victime. Selon elles, Jacques Baud n'est pas un innocent, et l'UE applique des critères clairs lorsqu'elle inscrit quelqu'un sur sa liste de sanctions. L'affaire Baud s'inscrit ainsi dans un contexte plus large: celui du bras de fer autour des nouveaux accords entre la Suisse et l’Union européenne.

Traduit et adapté par Noëline Flippe

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