«Tu fais toute la semaine? Rhôô courage, allez bisous, on se croise devant Hoshi.» Oui, c'est vrai qu'il en faut du courage pour bosser sur la terrasse de l'espace presse, une bière à la main, sur fond de sound checks. Etre un journaliste qui couvre les festivals, va voir des concerts gratos, passe son temps à lever le coude, ne paie pas sa bouffe (il faut que je fasse mes notes de frais, tiens): en voilà un métier difficile.
Pendant que mes amis (les vrais, pas ceux avec qui je fais santé au bar des artistes) se saignent pour acheter leurs billets, avec un confrère, on se balade, une accréditation au poignet. Sorte de bracelet magique, gratuit (et nominatif, pas la peine de demander, je prête pas) qui permet d'aller se réfugier au bar du Cosmo, derrière le Club Tent, quand on en a marre de la foule. Le Cosmo, non...?
Posée à l'espace presse avec une bière, car il est tout de même déjà 16 heures 10, je bosse sur un montage vidéo pour montrer à tous ceux qui n'ont pas réussi à avoir de billets à quoi ressemble le festival cette année.
Ce lieu fourmille de journalistes mi-excités, mi-crevés, dans un incertain fumet de transpiration et de cigarettes. On y croise aussi des ingés son, des stagiaires maltraités et quelques pontes des médias venus se montrer. Certains d'entre eux n'ont d'ailleurs absolument pas envie d'être là, et viennent uniquement pour se refaire inviter l'année suivante. On aime les paradoxes ici.
«En même temps, c'est le fils de Bob...» Oui, voilà, faisons comme si on avait personnellement connu Bob. D'ailleurs, n'hésitons pas à appeler les morts qui ont vendu des millions de disques par leur prénom, tiens.
Celui avec qui je partage une table a fini sa bière. «Faut qu’on aille au bar à champagne, il y a trop de monde ici, ça me saoule.» A la louche, on est à peu près six sur une terrasse de 100 mètres carrés. J'hésite. «Vas-y meuf, je fais une note de frais.» Bon d'accord. Journaliste ascendant pique-assiette.
On y croise quelques têtes connues, mais on ne citera pas de nom, car elles sont là «pour le plaisir, pas pour le boulot». C'est bien vu d'aller errer du côté du bar à champagne pour passer incognito.
Une bouteille en note de frais et quelques affirmations hors-sol plus tard (un «rien n’a de sens, c’est ce qui fait la beauté et la vanité de cette vie» a notamment été balancé comme s'il s'agissait d'une phrase normale à dire à Paléo), il est temps de se remettre au travail. «On se croise devant Hoshi? A toute.»
Il est 18 heures et des poussières (comme celle qui orne mes godasses et mon œil gauche), les festivaliers, dont quelques-uns de mes amis, arrivent en nombre.
Non, je dois travailler pour de vrai, je suis sur un sujet dans le camping. Là encore, il s'agira de montrer à ceux qui n'ont pas pu venir à Paléo comment ça se passe à Paléo. Comment le sauraient-ils, sinon, sans ces reportages vidéo de qualité qui n'apporteront rien au débat public et nous feront gagner environ zéro Prix Pulitzer?
Allez, on a bien bossé, bien cramé au soleil (c'est dur d'être journaliste, je vous l'ai dit ou pas?) c'est fini pour aujourd'hui. «Vous êtes toujours à La Ruche? On se retrouve devant Hoshi?»
Après un passage à Hoshi pour retrouver à peu près toute la Terre (sauf ceux qui n'ont pas eu de billets, encore eux), il est re-re-re-re temps de boire une mousse entre collègues. «Viens, on va se poser cinq minutes à l'espace presse, flemme de trimballer mon sac dans la foule à Calogero. Et flemme d'aller dans la foule tout court.» Un endroit où collègues et confrères se croisent en se filant des coups de main et des coups de pute.
Siroter une bière au milieu de cette fourmilière, c'est aussi l'occasion de se tenir informés des derniers scandales. «Rhôôô ça m'étonne pas, on a toujours dit qu'il était chelou...» Bonne ambiance. Les journalistes, ces grandes gueules un brin fragiles. Et pragmatiques. «Je vais me reprendre une bière avant d'écrire l'interview de Julian Marley, tu veux quelque chose?»