Les nouvelles chansons de Green Day, comme «The American Dream Is Killing Me», crues et réfléchies, résonnent avec les expériences de vie en société. Nous devions rencontrer le groupe en personne à Londres, mais les trois musiciens ont attrapé le Covid. Nous nous sommes donc entretenus virtuellement avec Billie Joe Armstrong, Mike Dirnt et Tré Cool.
Vous vous êtes bien remis du Covid?
Billie Joe Armstrong: Oui, heureusement, nous sommes tous en bonne santé. Tout au plus encore un peu sonnés par la nuit dernière, car nous avons tourné notre vidéo pour la chanson «Dilemma» jusque tard. Mais ce qui doit être fait doit être fait.
Dans la vidéo en question, vous êtes allongés sur le sol, ivre, et vous chantez: «bienvenue à mes problèmes, ce n'est pas une invitation».
Billie Joe Armstrong: La chanson est très sérieuse.
Vous avez dû vous faire soigner en 2012 pour alcoolisme et abus de médicaments. Avez-vous réussi à maîtriser ces addictions depuis?
Billie Joe Armstrong: Oui, avec des hauts et des bas. «Dilemma» est en effet une chanson très personnelle. Mais en même temps, elle élargit le regard. Tant de gens sont confrontés à des dépendances, mais aussi à des problèmes d'ordre psychique et émotionnel. Cette lutte est souvent très douloureuse pour nous comme pour nos proches, mais nous ne pouvons pas l'éviter.
Le nouvel album montre également les meilleurs côtés de Green Day. Qui voulez-vous sauver dans la chanson «Saviors»?
Tré Cool: Le rock 'n' roll, nous-mêmes, le monde entier. (Rires) Lorsque nous avons écrit la chanson-titre «Saviors», la pandémie faisait encore rage, tout le monde était désespéré et cherchait en même temps quelque chose sur quoi s'appuyer.
Mike Dirnt: Nous n'étions pas à part, et heureusement, nous avions et avons toujours la musique. Dans un monde d'incertitude et au milieu d'un océan de folie qui semble plus profond que jamais, il faut se trouver de petites îles de sécurité. Sinon, on devient fous.
Vous vous soutenez entre vous?
Billie Joe Armstrong: Absolument. En fait, le groupe a été un peu notre canot de sauvetage pendant toutes ces années.
La chanson «The American Dream Is Killing Me» dresse un portrait très désabusé d'une société déchirée et injuste. Dans le clip qui l'accompagne, vous apparaissez sous la forme de zombies. Ne peut-on plus voir le monde extérieur qu'avec dérision?
Billie Joe Armstrong: Les films d'horreur ont toujours excellé dans l'art de pousser la réalité à son paroxysme. Chez nous, aux Etats-Unis, la peur, la haine et l'inconciliabilité font rage.
Il n'y a plus vraiment de voie intermédiaire ou, si c'est le cas, personne ne semble intéressé à l'emprunter. La colère et les armes sont omniprésentes. Nous vivons dans un pays dangereux qui n'autorise presque plus de véritables discussions et débats, alimentés bien sûr par les réseaux sociaux.
Cette chanson est-elle aussi une mise en garde contre un nouveau mandat de Donald Trump?
Billie Joe Armstrong: Indirectement, c'est certain. Nous avions écrit «The American Dream Is Killing Me» pour notre précédent album. A l'époque, Trump était au pouvoir et nous ne voulions pas le sortir parce qu'une énième chanson anti-Trump nous semblait un peu trop... évidente. C'était aussi trop facile de s'en prendre uniquement à Donald Trump et de ne pas tenir compte des maux bien plus profonds de notre pays.
Peut-il encore y avoir un candidat ou une candidate surprise?
Billie Joe Armstrong: Même s'il est encore trop tôt pour l'exclure, je n'y crois pas vraiment.
2024 ne sera pas seulement une année importante pour la politique mondiale, mais aussi une grande année pour vous. Billie Joe Armstrong s'est marié il y a 30 ans, l'année de la sortie de l'album Dookie.
Billie Joe Armstrong: 1994 était sacrément intense. C'est fou quand j'y pense aujourd'hui. Je me suis marié à 22 ans avec ma femme Adrienne, et je suis devenu père à 23 ans. Et soudain, nous ne jouions plus devant notre petit public fidèle, mais devant un public important, qui n'était plus seulement composé de fans de punk typiques. Nous avons dû grandir très vite et nous habituer à tout. Nous étions jeunes, nous étions fous. Tout d'un coup, nous avons eu ce succès et nous sommes rapidement tombés d'accord sur le fait que nous voulions faire de la musique pour le reste de notre vie.
Si l'on écoute «Fancy Sauce», il est clair que vous aimiez beaucoup les Beatles.
Billie Joe Armstrong: Les Beatles ont toujours été une influence marquante pour nous. Ils ont vécu le rêve que nous avons vécu plus tard, ils nous ont ouvert la voie. J'adore tous ces rockeurs britanniques, The Who, The Animals, The Kinks, et j'adore aussi le glam rock. The Sweet sont tout simplement géniaux, et je pourrais écouter David Bowie toute la journée.
La chanson acoustique et douce «Father To A Son», qui rappelle «Father and Son» de Cat Stevens, se distingue nettement des morceaux uptempo.
Billie Joe Armstrong: J'ai dédié cette chanson à mes deux fils, qui ont maintenant 28 et 25 ans. J'ai écrit «Wake Me Up When September Ends» il y a 20 ans, à propos de mon père. J'avais dix ans quand il est mort.
J'ai fait de mon mieux et j'étais là quand ces bébés sont devenus des garçons, puis des jeunes hommes.
Vous ne semblez pas souffrir de l'âge.
Billie Joe Armstrong: Tu rigoles? (il approche son visage de l'objectif de la caméra) Tu ne les vois pas, toutes ces rides? Non, t'as raison, l'âge nous va bien. Bien sûr, je me teins les cheveux, mais je le fais depuis que j'ai quinze ans. C'est le punk-rock, justement.
Je ne sais même pas si mes cheveux seraient gris, puisque je les ai toujours teints. (Rires)
Vous avez tous 51 ans aujourd'hui. Que pensez-vous lorsque vous vous comparez à des amis de votre âge qui ne jouent pas dans des groupes de rock?
Mike Dirnt (rit): Nous avons fait un très bon choix de vie. Le rock est une forme d'art qui invite à la mobilité. Tu es toujours en mouvement, dans ta tête comme sur scène. Notre groupe est un programme de fitness naturel.
Billie Joe Armstrong: Il est intéressant de noter que beaucoup de mes amis punk rock d'autrefois travaillent aujourd'hui comme enseignants. Certains sont aussi activistes. En tout cas, la plupart d'entre eux ont exercé des métiers honorables.
Et vous, Billie Joe, en tant que poète politiquement engagé, êtes-vous aussi un activiste?
Billie Joe Armstrong: Ce serait un peu trop d'honneur.
Pour moi, un activiste est plutôt quelqu'un comme un de mes amis proches. Il a fondé un refuge pour les chimpanzés qui ont vécu des années dans des laboratoires et qui peuvent maintenant, pour la première fois, sentir la vraie terre sous leurs pieds. Je pleure de joie quand je vois ces animaux sauter entre les arbres et à quel point ils ont l'air heureux.
(Traduit et adapté de l'allemand par Tanja Maeder)