L’avantage des produits M-Budget? Leur prix. Même pas dix balles pour un kilo de poulet reconstitué, pané, frit, congelé et prêt à réchauffer dans une poêle en deux minutes, c’est un gros câlin pour les petits porte-monnaie. Pour les nutriments, en revanche, il faudra bien sûr passer son tour, on ne peut pas avoir l’argent et le beurre de l’argent.
Cette semaine, Migros a dévoilé les meilleures ventes de la gamme M-Budget en Suisse. Et il y a quelques surprises.
On s’est donc dit que, si ces produits rencontraient autant de succès auprès de la clientèle suisse, ils devaient forcément squatter en permanence dans les placards de la cuisine. Par une association d’idées un poil farfelue, on en a conclu qu’il était donc théoriquement possible de les dégainer d’un même geste et de les inclure (tous) dans une recette créée pour l’occasion.
Imaginons une seconde qu’une bande de potes débarque à l’improviste et qu’il faille la nourrir sans possibilité d’envisager un saut de puce à la supérette du coin pour combler le garde-manger. Qui a dit qu’un plat composé de beef jerky, de banane, de poulet brésilien déjà pané, de cottage cheese ou encore de Red Bull fabriqué en Hongrie ne pouvait pas contenter des convives sans les faire mourir?
Bien sûr, la solution de facilité aurait été de lancer tous ces produits sur la table et que tout le monde se démerde, dans un joyeux dîner canadien improbable. Mais un défi est un défi et, à l’heure des arnaques citadines sur la «cuisine fusion» poussée à l’extrême, nous étions persuadés qu’il y avait de quoi bricoler un truc fancy armé d’un caddie tout droit débarqué de chez Desigual.
Même ChatGPT a fait mine d’afficher sa confiance:
L’autre solution de facilité aurait consisté à ne lâcher que quelques gouttes homéopathiques d’Energy Drink dans une sauce, pour dire qu’on avait utilisé cet ennemi juré de l’intestin humain. Mais puisque les jeunes arrimés à TikTok rivalisent d’insolence pour tester des mariages aux confins du comestible, on n’allait pas se montrer moins courageux.
Là, on ne va pas se mentir, c’est chaud. Alors que ça manque déjà cruellement d’élégance dans un verre de vodka de fond de boîte de nuit, cuisiner de l’acide citrique, du dioxyde de carbone, de la taurine et du citrate de sodium, sans porter de combinaison, relève de la mauvaise parodie de Breaking Bad.
Qu’à cela ne tienne, et comme maman disait toujours: dans le doute, toujours porter à ébullition. C’est ce qu’on fera de la moitié d’une canette, en y ajoutant une grosse flaque de jus d’orange, histoire d’en tirer une sorte de réduction digne des enfers. Pour cacher la merde au chat, sachez qu’une pincée de sel, beaucoup de poivre, une belle poignée de flocons de piment et une cuillère à café de miel feront tout à fait l’affaire.
La banane. Dans un milkshake ou sous un large duvet de chocolat noir préalablement fondu, on en redemande. Mais n’étant pas les porte-parole consentants des accidents culinaires suisses alémaniques, on aura toutes les peines du monde à défendre le riz Casimir.
Alors quoi? On abandonne? Of course, not! Bien décidé à réduire cette banane en rondelles, l’huile d’olive s’est soudain sacrifiée pour nous filer un coup de gras. Une poêle dans une main, un bon vieux reste de panko dans l’autre, on a fait rôtir ce challenge exotique en toute confiance. Comme disent les Québécois pour exprimer le fait qu’ils sont tombés dans leur propre piège, il n’ y a pas de honte à «s’autopeluredebananiser».
Que nous reste-t-il à torturer? Un œuf, du cottage cheese et (l’excellente) salade iceberg? Franchement, après le dioxyde de carbone porté à ébullition, plus rien n’est susceptible d’effrayer l’aventurier volontaire des prix bas de la Migros.
Une fois en photo et bien présentée, une petite crotte de chihuahua au beau milieu d’une belle assiette pourrait faire saliver les groupies du Michelin. Aucune raison, donc, de foirer la dernière étape de cette bêtise gastronomique (foutrement) inclusive. Il suffit sans doute d’empiler ces petites œuvres d’art afin d’un faire quelque chose d’appétissant.
Dans l’ordre? Un bol pas trop moche, un lit de salade iceberg, le conglomérat poulet-mozza-beef-jerky, les rondelles de bananes rôties, l’œuf poché, un petit monticule de cottage cheese sur le côté et une grosse giclée de réduction de citrate de sodium pour noyer le tout.
Surprise: ça se mange. Et les préjugés sont tenaces, puisque l’Energy Drink n’a de loin pas été l’ingrédient le plus pénible à avaler. Pour tout dire, cette réduction sucrée-sodiomisée, agrémentée de piment et de miel, fut plutôt très ragoûtante.
Les problèmes? L’accumulation de saveurs différentes, déjà. Trop de tout et de son contraire (oui, c’était prévisible). Mais, alors que le poulet bionique nous avait suffisamment préparés à bouffer des déchets de cadavre et que la banane rôtie donne envie d’envoyer nos orteils sous les palmiers, l’œuf a littéralement tout gâché. Se farcir un jaune qui coule le long de tous ces prix attractifs, c’était too much.
En résumé, ce plat pourrait tout à fait tirer ses origines de l’esprit d’un vieux mâle allemand bedonnant expatrié en Papouasie-Nouvelle-Guinée. Une «expérience culinaire exotique et sophistiquée» comme le promettait ChatGPT? Presque: fusionnelle et abracadabrante.
Prochain épisode: une recette avec les dix produits les moins populaires de la Migros? Chiche.
* Pour ceux qui se demandent, ce plat nous a coûté un peu plus de 30 balles, avec un sachet de poulet plané et du cottage cheese pour les deux prochains mois.