Quand on goûte de la raclette à l'étranger, on a tendance à prendre ça beaucoup trop au sérieux. Comme si, en tant que Suisse, le fromage coulait dans nos veines. C'est donc avec cette énorme responsabilité, ce lourd fardeau sur mes épaules, que je suis allée mercredi soir à La Ville, à Dubaï. Et ce n'est pas n'importe quelle raclette qui est proposée dans cet hôtel. C'est «Raclette Reverie» (à prononcer comme Dexter).
En arrivant devant l'établissement cinq étoiles, je donne ma voiture au valet, on m'ouvre la porte, je traverse un hall d'entrée gigantesque qui sent bon l'hôtel cher, on m'ouvre une autre porte et on me conduit au restaurant qui se situe dans une cour intérieure. Pour l'ambiance cabane de montagne, on repassera.
Le restaurant s'avère être davantage un bar à vin. Le ton est donné dès l'entrée avec un panneau qui dit:
Les Valaisans s'y sentiraient bien.
On y vient pour des afterworks et pour fumer la chicha, l'hôtel ayant principalement une clientèle de travail. Sur les tables, des verres de vin, des burgers, des calamars frits, mais nulle trace de raclette. Personne ne semble intéressé par ce mets. Pourtant, la température est idéale. Il fait 20 degrés, c'est-à-dire glacial pour Dubaï. Il fait si froid qu'il y a des chauffages extérieurs à chaque table.
Une serveuse vient prendre notre commande. Ce sera Raclette Reverie avec un verre de Bordeaux pour mon mari et moi. Mais je veux savoir à quel type de fromage on va être mangé alors je lui pose la question. Son visage se décompose. Personne ne semble lui avoir demandé auparavant. Elle est pétrifiée alors j'essaie de la relancer:
Elle reprend ses esprits et me dit qu'elle va demander au chef. Je le savais déjà, mais à partir de là, mes espoirs de manger une demi-meule s'évanouissent.
En attendant que notre serveuse se montre à nouveau, on analyse le menu sur lequel une page est dédiée à la Raclette Reverie. Il y a même des petits dessins pour expliquer comment profiter de ce moment. D'abord, il y a l'illustration de deux mains trinquant avec un verre de vin. Jusque-là, c'est juste. La tradition veut qu'on picole en mangeant de la raclette, parce qu'attention, l'eau va te faire une boule de fromage dans le ventre et tu risques de mourir. Ensuite, il faut faire cuire le fromage «sélectionné minutieusement par le chef» sur la party-raclette et l'accompagner de patates, de pickles ou de viande séchée. C'est plus ou moins ça, même si les puristes diront qu'il faut manger la viande séchée en entrée. Sur le dessin, il y a une party-raclette avec deux grill.
Mais quand le plat arrive, la rêverie s'arrête net. Il n'y a qu'un grill pour deux, le fromage est coupé en fines lamelles et les patates, au lieu d'être entières et bouillies, sont coupées en cubes et assaisonnées. Ce sont en fait des Batata Harra, plat d'origine libanaise. La viande séchée promise est un assortiment de charcuterie non identifiable. Le plus décevant dans tout ça: la quantité. «Tu crois que c'est à volonté?», je demande à mon mari qui boude, m'en voulant de l'avoir trainé ici alors qu'on aurait pu manger un canard laqué pour le Nouvel An chinois qui a lieu le même soir.
Bonne nouvelle tout de même, la serveuse a eu une réponse du chef, celui qui a «minutieusement sélectionné le fromage». Une réponse qui fend mon petit cœur mais qui ne me surprend pas:
Ok, mais encore?
Ou «Pompadour». Je ne suis pas sûr d'avoir compris. Je ne veux pas la faire répéter, j'ai trop peur qu'elle se fige à nouveau. J'ai beau avoir cherché sur internet, je n'ai trouvé que des articles sur Madame de Pomtabour ou la pomme de terre Pompadour (excellente d'ailleurs avec du fromage à raclette.)
En tout cas, ça a le goût de la raclette. Mais ça n'en a pas l'âme. D'abord, on est obligé de mettre quatre tranches dans la coupelle pour sentir quelque chose sous notre palais. Ensuite, les patates sont bonnes, bien qu'assaisonnées et donc salées, mais on a été obligé d'en commander quatre assiettes parce que le fromage fondait trop lentement et qu'on n'était pas venu ici pour grignoter.
Au final, je crois comprendre que cette Raclette Reverie n'est pas vraiment un repas, mais un accompagnement pour l'apéro, d'où la quantité.
Le prix? 200 dirhams pour deux, soit 50 francs par personne. Avec une bouteille d'eau, deux verres de vin, une bruschetta, une salade, un thé à la menthe et une crème brûlée: 555 dirhams, soit 136 francs. C'est raisonnable pour Dubaï quand on sait que certains restaurants exigent une dépense minimum de 500 dirhams par personne.
Ce fut une expérience intéressante, mais pas forcément délicieuse. Dubaï est capable de grandes choses en matière de cuisine du monde. Visiblement, elle n'est pas prête pour la noblesse de la raclette suisse.