Ce mercredi, la marque Victoria's Secret a saisi son compte Instagram pour faire une grosse annonce: son show de lingerie aussi sexy que spectaculaire est bel et bien de retour, après cinq ans d'absence. L'événement devrait se dérouler en automne. On n'en sait pas plus sur la date exacte, le lieu, ni sur les participants.
Pour moi, comme pour bon nombre d'internautes, cette nouvelle est aussi excitante que peu rassurante. Il faut dire que les attentes sont énormes; j'ai passé une partie de mon adolescence à me réjouir de cet événement en fin d'année, un peu comme un pré-Noël. Sur mon écran, je regardais avec admiration les «Anges» (leur surnom) défiler en petite tenue, aux côtés des plus grosses stars de la pop.
Année après année, l'on attendait la liste de «new faces» avec impatience. On dévorait la bio des nouvelles venues, l'on recherchait leurs profils sur le site de l'agence Elite ou de Wilhelmina. Et bien entendu, l'on trépignait de joie en apprenant que notre artiste préféré allait enflammer le runway, sous un quintal de plumes volantes et de paillettes.
Impossible de se sortir de la tête la performance de Rihanna en 2012, la complicité de Taylor Swift avec sa bestie, le mannequin Karlie Kloss, en 2014, ou encore la douceur rose bonbon de Halsey sur Without me, en 2018.
Les plumes, les costumes glamourissimes dignes du Carnaval de Rio, les sourires et les petits gestes au bout du catwalk, les démarches qu'on commentait sans pitié: Victoria's Secret, pour moi, c'était un rendez-vous incontournable.
Sans compter que l'on s'extasiait sur les programmes d'entrainement presque militaires, suivis scrupuleusement par ces dames. Gisele Bündchen, Tyra Banks, Heidi Klum, Adriana Lima, Cara Delevingne ou encore Naomi Campbell s'y sont astreintes. Plus récemment, Gigi et Bella Hadid ont obtenu leur sésame doré, tout comme Kendall Jenner.
Mais voilà, au fil du temps, Victoria's Secret a pris du plomb dans ses ailes emplumées. La faute à sa direction, qui n'a pas su prendre le virage au bon moment, alors que les codes de beauté se sont progressivement élargis dès le milieu des années 2010.
Petit à petit, les consommateurs ont rejeté les canons de beauté inatteignables qui s'étalaient sur les pages glacées des magazines. Le carcan esthétique promu par VS, qui castait des mannequins ultra-grandes et ultra-minces, mais munies de courbes généreuses, a fini par éloigner sa base, laquelle réclamait à grands cris plus d'inclusivité, et une plus large représentation ethnique. Le côté juvénile des tenues et des attitudes sur le runway ont commencé à faire grincer bien des dents et des claviers. Jugé sexiste et en contradiction avec le mouvement #metoo, le show a progressivement perdu de sa superbe, et a fini par être annulé en 2019.
Le coup de projecteur médiatique sur la relation entre l’homme d’affaires à la tête de l’empire Victoria’s Secret, Leslie Wexner, et Jeffrey Epstein, inculpé pour agressions sexuelles, et retrouvé mort dans sa cellule en 2019, a été le coup de grâce pour L Brands.
L'entreprise a donc entamé un tournant radical pour redorer son blason. Et le moins que l'on puisse dire, c'est que Victoria's Secret a fait un 180 degrés. Fini l'alignée de jambes interminables et les tailles zéro. Désormais, les campagnes promotionnelles mettent en avant des mannequins grande taille, de diverses couleurs de peau. Un modèle transgenre a même rejoint les rangs de la Angel-Army.
Malgré le progrès, de nombreux sourcils restent froncés. Le hic? Ce retournement complet a été perçu comme hypocrite. Surtout qu'en 2018, le chef marketing de la marque, Ed Razek, avait déclaré dans les colonnes de Vogue que les femmes rondes et les mannequins transgenres n'avaient pas leur place dans les défilés de Victoria's Secret.
Des excuses et une démission plus tard - celle du PDG Jan Singer - , les recettes des froufrous de luxe ont continué à piquer du nez.
Certains observateurs estiment tout de même que la marque s'est trop éloignée de son ADN, s'aliénant une autre partie de ses consommateurs. A l'instar de Chantal Fernandez, auteure et journaliste indépendante, qui déclarait dans La Presse en 2023:
Reste à savoir comment Victoria's Secret compte revenir en force en 2024. Brandir son incontournable «Fantasy bra», un soutien-gorge ultra-luxueux incrusté de pierres précieuses qui vaut des millions, pourrait provoquer un tollé monstre, dans une époque où les marques sont priées de faire preuve d'accountability, d'éthique et de transparence.
Victoria's Secret compte-t-elle tenir sa nouvelle ligne, sans injecter la petite dose de «spectaculaire» qui l'a rendue iconique? Remettra-t-elle le cap sur ses défilés extravagants, mais si peu inclusifs? Réponse en automne. Nous, on l'attend au tournant.