«Vous vous souvenez de votre premier porno?» Rires. Dès les premières secondes, Netflix dédramatise. Oui, on va parler d'un sujet tabou, but make it fun! Les intervenants, acteurs, anciens employés de la plateforme, journalistes, etc, nous racontent leurs premiers émois érotiques. Des anecdotes drôles, empreintes de nostalgie, donnant un ton léger sur l'industrie et l'avènement de l'entreprise canadienne PornHub. Le tout sur une musique entraînante, pour mieux endormir la vigilance du spectateur.
Car après le mignon, Netflix, comme la plateforme de streaming sait si bien le faire dans ses documentaires, embraie. Très vite, il est question de viols, de trafic, d'exploitation sexuelle. Voilà, le vrai ton est donné. Mais Money Shot, (en français PornHub - gros plan sur le géant du sexe) va vous retourner le cerveau plus d'une fois.
Après une plongée historique dans la pornographie, où on nous rappelle qu'avant les vidéos, le commun des mortels s'excitait avec des photos sur papier glacé, puis plus tard sur des DVD à 90 dollars pour quatre scènes de sexe, le docu nous rappelle que cet univers s'est construit en même temps qu'internet. Et même qu'internet a su évoluer et s'adapter grâce à la pornographie. Avec toutes les dérives qu'on peut imaginer.
Il est notamment question de la sécurité des travailleurs du sexe. On fait la connaissance de Gwen Adora, une créatrice de contenu qui tourne ses vidéos chez elle, les monte, fait elle-même sa promotion. Elle est libre, pas à la botte d'un studio glauque aux conditions douteuses. PornHub, pour elle, c'est un bon gagne-pain, sécurisé.
Un autre acteur raconte qu'il peut gagner plus de 10 000 dollars par mois, bien plus qu'avant de pouvoir monétiser ses vidéos sur la plateforme. Sauf que tous n'ont pas la chance d'avoir pu faire ce choix. Comme le rappelle Money Shot, de nombreuses victimes de viols - qui plus est filmés - voient leur peine alourdie, car les vidéos de leurs agressions sexuelles sont disponibles sur PornHub. Parfois, les victimes sont mineures. Un pendant de la plateforme moins reluisant, qu'elle tente tant bien que mal de justifier.
Pour gérer ce contenu, on découvre que les modérateurs ne sont qu'une trentaine à travailler pour la plateforme (quand Facebook en comptait 15'000 qui peinaient à honorer leur mission). Ils étaient principalement basés à Chypre, quelques-uns au Canada. L'un d'eux témoigne anonymement, après avoir travaillé pendant trois ans (on ne sait pas quand exactement) pour PornHub. Il raconte qu'il était tenu de vérifier 700 vidéos par jour. Mais dans les faits, ce sont jusqu'à 1000 vidéos que l'ex-modérateur devait évaluer. En accéléré et sans le son. Et comment déterminer si une personne était majeure ou non? À l’œil.
Des victimes défendues notamment par l'avocat new-yorkais Michael Bowe. Dans ses dossiers, les accusations contre la plateforme sont nombreuses. Et lourdes: trafic d'humains, pédopornographie, piratage de droit d'auteur, hacking, harcèlement, révélations d'informations privées, chantage et extorsion, fraude postale, détournement de fonds, fraude bancaire et fiscale, blanchiment d'argent... Pour l'avocat, PornHub, c'est le «Monsanto du porn». Il compare encore l'entreprise «aux trafics gérés façon Soprano».
Si on peut regretter que la plateforme de streaming ne dévie pas de sa formule magique habituelle, de sa manière si spécifique et un brin (trop) sensationnaliste de raconter des scandales, on peut au moins lui reconnaître que les rebondissements arrivent pile quand on commence à s'ennuyer. Après quelques longueurs d'associations de défense des victimes, nouveau twist: on découvre que leurs projets ne sont pas réellement mus par la volonté de protéger les femmes et les enfants. Derrière, il y a des velléités... religieuses, et l'envie de faire taire l'industrie du sexe dans sa globalité. L'Amérique du Nord et ses immuables clichés.
Finalement assez bien fichu, ce docu choc nous plonge dans un univers parfois très sombre lorsqu'il touche aux victimes, et parfois très avenant et très rose, avec des créateurs de contenus qui trinquent et festoient ensemble, notamment lorsque Gwen Adora remporte le prix de BBW (pour Big Beautiful Women) de l'année. Un documentaire qui ne culpabilise ni les travailleurs du sexe, ni les consommateurs, mais qui risque de faire mal à PornHub, dont l'image a déjà été bien écornée par de précédents scandales.
«Money Shot - The Pornhub Story» (en français «PornHub - gros plan sur le géant du sexe»), disponible dès aujourd’hui sur Netflix.