Avec De rock star à tueur: le cas Cantat, Netflix rouvre les plaies d'un homicide perpétré le 26 juillet 2003, dans la chambre 35 d'un hôtel de Vilnius, en Lituanie. Alors que Marie Trintignant tournait un téléfilm là-bas, Bertrand Cantat l'a frappée à mort.
«C'est du jamais vu en France», lâche Anne-Sophie Jahn, journaliste au magazine Le Point, co-réalisatrice et narratrice de cette série documentaire. Encore maintenant. Le nom de Bertrand Cantat résonne, divise; il nourrit des débats enflammés comme en 2017, lorsque le magazine Les Inrocks lui consacre sa Une. En mal ou en bien, le leader de Noir Désir ne laisse pas indifférent. «Bertrand Cantat, il avait un putain de charisme», clame Pascal Nègre, l'ancien PDG d'Universal France.
«Il avait une violence sur scène. Comme Jim Morrisson, c'était un écorché vif», reprend l'ancien tourneur de Noir Désir, Dominique Revert.
Et pour souligner le talent de la comédienne décédée, les proches ne manquent pas de mots: «Marie, c'est une immense star. Elle fait partie de la famille du cinéma», s'exclame la chanteuse Lio. «Il y a des gens qui sont très bons et il y a des gens qui ont la grâce», complète le cinéaste Bernie Bonvoisin.
On remonte, au milieu de ces multiples citations et interventions, le fil du cas Bertrand Cantat. On découvre alors un artiste possessif, une sangsue qui fonctionnait à l'exclusivité. Il était si envahissant, que Nadine Trintignant, la mère de Marie, n'en pouvait plus de sa présence quotidienne du chanteur sur le plateau de tournage, en Lituanie.
La série documentaire (en trois parties) revient heure par heure sur le drame. Et ce message, l'élément déclencheur de la furie de Cantat, celui de Samuel Benchetrit. Le chanteur explique: «Il y avait cette phrase que je qualifierais de tendre», alors que le contenu parlait avant tout de la promotion du film Janis et John, tourné par les deux comédiens.
Elle disait:
Sur les images de l'audition à Vilnius, on découvre un Bertrand Cantat à la voix tremblotante, les trémolos dans la voix, le dos courbé par la sauvagerie de son acte.
L'artiste français expose sa vision des choses face aux autorités lituaniennes. Il assure avoir été agressé par Marie Trintignant. C'est elle qui l'aurait poussé dans ses derniers retranchements. «Et là, j'attrape Marie par le col. J'ai voulu l'attraper pour la jeter sur le canapé», explique Cantat.
Il y a ensuite une forme de désinvolture qui interloque à un passage: dans la foulée de sa description, celle qui cadre l'éclatement de la dispute: «Je vous assure que s'il m'arrive quelque chose comme ça, je prendrai tous les détails», lâche le chanteur, les yeux mouillés et en faisant référence aux explications nébuleuses, avant de dire que c'est «affreux» ce qu'il vit.
Bertrand Cantat, convaincant au cours de sa déposition, va faire valider la thèse de l'accident, qui est retenue comme hypothèse principale. Il l'a poussée et elle s'est cognée la tête contre un radiateur du salon. Basta. Tout le monde y croit, à cette querelle qui a mal tourné: la presse, la population, les fans, l'opinion publique.
Or, ce n'est qu'une seule et unique vérité qui compose cet accident: celle de Bertrand Cantat. «Mais on n'a pas la vérité de Marie Trintignant», coupe la journaliste Michelle Fines. A cet instant, deux visions de l'histoire s'opposent: les défenseurs de Cantat et ceux de Marie Trintignant.
Mais où se trouve la véritable vérité? Le rapport d'autopsie révèle alors des coups d'une violence extrême. Par le biais de Bernard Marc, le médecin légiste, on apprend que les lésions sont ««trop importantes pour qu'il y ait une simple chute».
Il enchaîne:
L'autopsie révèle une autre facette de la dispute.
L'accident fait place au crime passionnel, qu'on qualifie désormais de féminicide. Les évocations d'une fracture ouverte du nez et même des marques sur le larynx, possiblement occasionnées par une personne qui chevauche la victime. Michelle Fines parle d'«un massacre» et reprend les médecins légistes: «Elle a eu le syndrome du bébé secoué», tant le corps de la jeune femme a été martyrisé.
De rock star à tueur: le cas Cantat, à travers ces archives, montre un Cantat capable d'entrer dans des colères noires et de porter des coups dévastateurs à la comédienne. «C'étaient des grosses baffes, avec mes bagues. j'étais hors de mois, je n'étais pas dans mon état normal à ce moment», confesse l'auteur de l'album Des Visages et des Figures (2001).
Outre le déroulement de l'accident, la guerre clanique, c'est le traitement de l'affaire qui devient intéressant: ce combat dans la presse et la défense qui s'amorce autour de Cantat et les attaques (de l'intelligentsia parisienne) répétées sur Trintignant. On (re)découvre cette apparition télévisée du journaliste Arnaud Viviant, qui demande un peu de compassion pour Cantat: «Il ne s'est pas marié trois fois, lui». Et de poursuivre son monologue, malgré les remous sur le plateau: «Si je devais plaider en faveur de Bertrand Cantat, c'est d'abord un drame avant d'être un crime».
On entend même cette phrase de l'avocat de Cantat, Olivier Metzner, qu'on vous laisse juger:
La passion a fracassé le visage de la comédienne, selon les défenseurs du leader de Noir Désir. On entend que «c'est au coeur même de la passion que l'acte tragique a eu lieu», une phrase distribuée sur un (énième) plateau télévisé.
A force de défendre Bertrand Cantat, il y a une autre voix qui s'élève, et qui résonne comme celle de la raison: Krisztina Rady. L'ex-femme de Cantat subissait les foudres de son mari, depuis de longues années. Un message enregistré, adressé à ses parents, est diffusé dans la série lors du troisième épisode. On entend une femme qui a peur pour sa vie, terrifiée par les accès de colère du rockeur.
Pire, on découvre qu'elle s'était rendue à l'hôpital, qu'elle était couverte d'ecchymoses et de blessures. La série rapporte qu'elle a refusé de porter plainte pour protéger ses enfants. Elle se suicidera le 10 janvier 2010, par pendaison.
Une nouvelle femme détruite par un homme qui fait souffler les vents de la violence et les brasiers de la colère. Mais encore une fois, Bertrand Cantat est présenté comme un victime, un homme qui traverse des drames à répétition.
Anne-Sophie Jahn va tout de même continuer à creuser, pour brosser la face (très sombre) de Cantat. Un ancien membre du groupe Noir Désir reconnaît alors que le chanteur aurait battu deux petites amies, avant la mort de Marie Trintignant et de Krisztina Rády.
A force de visionner les deux heures de la série, le regard qu'on porte sur Bertrand Cantat ressemble à cette phrase dégoisée par Richard Kolinka, père d'un des fils de Marie Trintignant: «C'est un mec méprisant».
«De rock star à tueur: le cas Cantat» est disponible depuis le 27 mars sur Netflix.