Une équipe de police débarque dans une maison, troublant la quiétude d'un quartier anglais. Les cris, l'incompréhension qui se lit sur les visages de la famille Miller, qui va ensuite se stopper net lorsque les forces de l’ordre annoncent:
Catapulté dans cette tourmente, Jamie (incroyable Owen Cooper) mouille son pyjama. Il n'a que 13 ans.
A l'étage du bas, le père Eddie (Stephen Graham) continue de hurler que c'est une grossière erreur. Mais impossible de stopper la machine, tout s'emballe pour enfin saisir la portée de l'accusation: Jamie aurait tué sa camarade de classe.
Ce premier épisode, en plan-séquence, est d'une précision diabolique, à en faire pâlir un parterre de chirurgiens.
Dans la même veine que Defending Jacob sur Apple TV+, excellente série parue en 2021, cette production Netflix se démarque par une mise en scène d'une tout autre ampleur: quatre épisodes en quatre plans-séquence.
L'entrée en matière se révèle fracassante, avec ce soin apporté dans sa réalisation, dans ces silences pesants et surtout avec un souci de coucher le spectateur dans une réalité glaçante. Philipp Barantini, le réalisateur connu et reconnu pour sa série The Chef (2022), établit habilement le protocole lorsque cet ado de 13 ans se retrouve dans l'œil du cyclone des autorités. Eblouissant, d'une grande radicalité et sans la moindre fioriture. Le tout est savamment torché par le duo Stephen Graham (qui joue également le père) et Jack Thorne, pour façonner une première heure d'immersion totale, frappante de réalisme.
Dans cette chorégraphie des corps et des sentiments (de dégoût et de désolation), les petits détails font du show un drame judiciaire anodin, une cartographie sociétale de notre ère. Avec ce postulat: il n'est pas question de chercher si Jamie est bel et bien l'assassin, mais plutôt pourquoi il est passé à l'acte. Dès la fin de cette merveille de premier épisode, la messe est dite: le gamin de 13 ans a ôté la vie de sa camarade de classe de sept coups de couteau ravageurs.
L'appareil judiciaire s'emballe et Jamie est avalé par une brouette de questions qui lui courbe le dos sur la table de la salle d'interrogatoire. Un père qui s'écroule, un enfant qui pleure. Et nous, de nous demander: comment peut-on en arriver là, bon sang? Est-ce la faute des parents? D'où vient cette violence inouïe?
Les conséquences, de près ou de loin, d'une telle fureur sont explicitées, amenées à sonder de manière holistique notre époque, les penchants d'une génération qui peine à refroidir une rage qui semble incontrôlable.
Ce choc générationnel est représenté dans différentes couches de la série. Il est incarné entre autres par le lieutenant Bascombe (Ashley Walters) et la sergente Frank (Faye Marsay), un duo de flics confronté à cette fracture béante et ses codes inconnus, découvrant une masculinité sous-jacente dans les préaux. Elle se nourrit et se cultive à travers Instagram et ne cesse de grandir pour enfin exploser à la face de parents et de policiers hébétés.
Après un deuxième épisode plus calme, le troisième, un huis clos étouffant, et le quatrième qui dézoome sur la globalité des enjeux, Adolescence extrait les chamboulements multiples à partir de cette violente agression. C'est tout un processus intime qui s'enclenche, mais il est surtout question du gouffre numérique entre les adultes et les adolescents. Car tout se joue dans ce monde (digital) souterrain, incertain, sous les yeux de parents désarçonnés.
Pour déclencher les flots de la violence et déterrer un mal enfoui, il suffit d'un vulgaire émoji pour faire vriller un adolescent, alors en pleine construction. La psyché de ces gosses biberonnés aux réseaux sociaux les pousse à adopter un comportement d'adulte (qu'ils ne sont pas), de laisser libre cours à leurs pulsions vengeresses sans recul.
En ça, la série Netflix frappe si juste, si profondément, qu'on a les poils qui s'hérissent à l'idée de penser que la réalité n'est pas si loin.
«Adolescence» est à découvrir sur Netflix depuis le 13 mars.