«C'est une histoire vraie, basée sur un mensonge.» Et l'histoire de Belle Gibson inaugure l'engrenage dans lequel des millions d'influenceuses trébuchent encore à notre époque. Tout a commencé il y a 15 ans. A l'époque, gorger son compte Instagram de recettes miracles et échanger des larmes de crocodile contre des likes, c'était plutôt inédit.
Dans le même ordre d'idée, personne n'osait encore exposer aux algorithmes la réalité crue de son cancer en phase terminale. Alors, forcément, les foules ont mordu à l'hameçon. D'autant que l’Australienne avait tout pour susciter la sympathie: optimisme, courage, générosité, charisme. A la fin des années 2000, cette jeune australienne réalisait avant tout le monde que raconter des bobards en ligne pouvait lui attirer attention, applaudissements et richesse.
Jusqu'à la vérité, dévoilée par une paire de journalistes chevronnés, en 2015: Belle Gibson n'a jamais eu de tumeur au cerveau et son empire du bien-être n'est rien d'autre qu'une phénoménale escroquerie. Mais pour elle, tout ne serait finalement qu'une histoire de perception: «J'ai aidé beaucoup de gens.»
Surfant sur le succès d'Inventing Anna, Netflix démoule cette semaine sa nouvelle arnaqueuse, avec la série Apple Cider Vinegar, une fiction qui revient sur le décollage et l'atterrissage en catastrophe de cette arnaqueuse qui deviendra la «femme la plus détestée d'Australie».
Mais comment Belle Gibson est-elle parvenue à «duper le monde» en quelques années? Allez, on rembobine. 📼👇
Deux petites années après la naissance d'Instagram, la jeune communauté virtuelle accueille une nouvelle utilisatrice. @healing_belle se présente alors comme une «game changer avec un cancer du cerveau et une obsession pour la nourriture». Tout y est: confessions poignantes, selfies, smoothies, superaliments, poké bowls, séances de sport, sourires Colgate. Un narcissisme 2.0 en avance sur son temps, qui va aimanter une jolie cargaison de groupies, fascinées par le quotidien inspirant d'une mourante.
Car le docteur de Belle est formel: «Tu es en train de mourir. Tu as six semaines. Quatre mois maximum».
Ses premiers récits de cancéreuse en phase terminale date de 2009. Et, dès le début, l'Australienne va se montrer généreuse en détail: «Je viens de me réveiller d’un coma. Le médecin est arrivé et m’a dit que le drainage avait échoué et que j’avais fait un arrêt cardiaque et que j’étais morte pendant un peu moins de trois minutes», dira-t-elle par exemple sur un forum dédié au skateboard.
Déjà, une plume, une évidence. Belle Gibson sait torcher des histoires. Quelques mois plus tard, sur une page cette fois réservée aux jeunes mamans, elle alimentera son journal intime comme une romancière déploie son intrigue. Nous sommes en 2010 et la jeune femme est aux portes de la gloire et enceinte de son petit garçon, Oliver.
Deux ans et 300 000 abonnés plus tard, la gourou du wellness va franchir une étape cruciale dans la monétisation de ses mensonges. Aidée d'une poignée d'amis, elle enregistre sa marque, «The Whole Pantry». Le garde-manger intégral, en français. Et la preuve qu'elle a compris que sa mise en scène pouvait lui rapporter plus que des petits cœurs sur des publications Instagram. Ses fans ne se doutent pas (encore) que ses mixtures alternatives contre le cancer n'en sont pas.
Coup sur coup, deux armes fatales vont sortir de son esprit d'entrepreneuse: une application lifestyle et un bouquin de recettes, dans lequel elle affirme avoir abandonné sa chimio pour se soigner «autrement». Le succès sera dévastateur. Aussi parce qu'il est propulsé par la société Apple et l'une des maisons d'édition les plus prestigieuses de la planète, Penguin. Résultats, les bouquins s'arrachent et son gadget numérique est sacré «meilleure application de cuisine et de boisson» sur l'Apple Store, en 2013.
Une revanche pour cette gamine qui a grandi dans un taudis, avec une génitrice bipolaire. C'est aussi le début de la fortune et des premières folies. Une maison en bord de mer à un million de dollars, une BMW, des fringues de créateur. Elle s'offrira même le luxe de redresser ses dents. Rien ne semble arrêter celle que beaucoup (trop) de jeunes femmes considèrent comme la papesse de la médecine alternative. Comme le fait remarquer Vanity Fair, «2014 a été la meilleure année de la vie de Belle Gibson».
Car si on en sait autant aujourd'hui, c'est surtout grâce au travail acharné de deux jeunes journalistes australiens, Beau Donelly et Nick Tascano. Au départ, un tuyau anonyme, glissé par téléphone: malgré la promesse faite bruyamment à son public, la gourou des réseaux ne reverse pas ses gains à des associations caritatives et un don pour soigner un pauvre enfant cancéreux n'arrivera jamais.
Un premier article paraîtra le 8 mars 2015, dans le Sydney Morning Herald. Deux petits jours plus tard, alors que le reste du monde finit de découvrir l'existence de l'influenceuse, les enquêteurs feront planer un premier doute sur son cancer du cerveau, aidée de quelques-uns de ses amis et du témoignage de plusieurs médecins. Ce deuxième article fait l'effet d'une bombe. Sa communauté tombe des nues. Elle engage un avocat.
Toujours en 2015, elle a alors 23 ans, sa mise à mort médiatique sera orchestrée par la terrible Tara Brown, journaliste star de l'émission «60 Minutes Australia».
On raconte qu'elle a reçu 70 000 dollars pour y participer. Une interview cruelle et malaisante qui, si elle confirme la fraude mondiale, fera naître un sentiment ambivalent chez le public: oui, elle a menti et arnaqué son audience. Mais pourquoi un tel acharnement? Et que dire de la responsabilité d'Apple et de Penguin? La maison d'édition sera condamnée à une amende pour ne pas avoir vérifié les faits avant publication. Belle, elle, va littéralement disparaître de la circulation. L'application est désactivée, son existence numérique effacée (du mieux qu'elle pourra) et ses livres sont retirés des rayons des librairies.
Alors qu'on la soupçonne de s'être planquée en banlieue de Melbourne vers 2017, c'est désormais le grand désert. Belle Gibson, qui aurait changé quatre fois de nom, avec deux actes de naissance différents, a été reniée par ses parents et ses amis, mais jamais jugée au pénal. En 2016, elle a été condamnée au civil à une amende de 410 000 dollars australiens pour conduite trompeuse, que jamais elle ne payera.
Dans un livre dont est tirée la série Netflix disponible dès ce jeudi, les deux enquêteurs avouent notamment qu'il a été compliqué de faire parler son entourage intime et ses anciens partenaires commerciaux. Après avoir incarné l'optimisme et le courage pendant quelques années, «tout le monde refuse aujourd'hui d'être associé publiquement à Annabelle Smillie».
Une affaire qui résonne bruyamment avec une autre, beaucoup plus récente: Haliey Welsh et son «Hawk Tuah», qui n'a plus donné signe de vie depuis le scandale de sa cryptomonnaie.