J’ai regardé Emily in Paris pour que vous n’ayez pas à le faire
Regarder cette cinquième saison d’Emily in Paris, c’est un peu comme jouer au jeu du cadavre exquis. Chacun écrit un bout d'histoire, replie la feuille, passe au suivant, et à la fin on déplie le tout avec un rire gêné: la phrase est grammaticalement correcte, mais elle ne veut strictement rien dire. Le scénario de cette saison pousse l’exercice à son paroxysme. Et c’en est presque fascinant.
Le principe ne change pas. On prend les mêmes personnages, on les fait papoter, picoler, se jauger, se juger, se jalouser, coucher ensemble et se retrouver dans des soirées improbables où tout le monde porte des vêtements de créateurs comme si c’était un mardi parfaitement normal.
Paris, Rome, même combat
Et quand la capitale française commence à lasser, on déplace le décor. Direction l’Italie, où les mêmes situations se rejouent encore et encore, avec les mêmes ficelles grosses comme des cordes de paquebots, les mêmes coïncidences absurdes, simplement baignées d’une nouvelle lumière dorée. On pourrait croire que les scénaristes se sont dit «plus c’est gros, plus ça passe».
Les dingueries parisiennes deviennent romaines, mais le fond reste identique: un monde où les agences de marketing fonctionnent comme des cours royales, où les idées improvisées par l’agaçante Emily changent des destins professionnels en dix minutes, et où la réalité économique semble avoir été bannie du script. L’Américaine, fidèle à elle-même, continue d’avoir réponse à tout. Elle improvise, elle corrige, elle sauve des situations que personne n’aurait pu anticiper, sauf elle obviouslyyy.
Une ou deux fois, on la fait trébucher, juste assez pour transformer l’échec en leçon de vie de cinq minutes. «On ne peut pas réussir tout le temps, mais rassurez-vous, la fois d’après, tout ira mieux.» Cette mécanique, déjà usée jusqu’à la corde, est rejouée sans la moindre vergogne.
Le plouf-plouf-plouf du scénario
Côté écriture, cette saison donne parfois l’impression que les scénaristes ont tiré au sort les interactions restantes, du genre:
Il n’y en avait déjà pas beaucoup par le passé, mais dans cette saison, il n’y a plus aucune logique humaine, encore moins professionnelle. Les relations apparaissent, disparaissent, se transforment sans autre justification que la nécessité de relancer la machine.
Et paradoxalement, c’est peut-être ce qui donne ce petit goût de reviens-y à cette série: comme elle n’obéit pas à une règle identifiable, tout devient possible. The sky is the limit.
Etre invitée à une petite sauterie à l'ambassade américaine pile le jour de la fête nationale américaine? Go. Donner une activité pétée à Gabriel juste pour justifier pourquoi le beau gosse de la première saison est toujours là? Allez.
Recevoir une invitation à participer à une émission de télé italienne du genre Danse avec les Stars par hasard? Ça arrive même aux meilleurs. Faire s'allumer deux personnages qui ne vont absolument pas ensemble juste pour varier les scènes olé-olé? Mmmhhh. Faire des allers-retours entre Paris et Rome comme s'il s'agissait d'un trajet en métro d'un petit quart d'heure? Vendu. J'arrête là? D'accord.
L’accumulation des clichés, elle, devient presque un personnage à part entière. Les Français boivent du vin, fument des clopes et philosophent sur l’amour après avoir fait l’amour. Les Italiens font pareil, mais en parlant avec les mains et en mangeant des pâtes. Les Américains, eux, surgissent avec des hot-dogs, des feux d'artifice et une bonne humeur obligatoire. C’est gros, c’est flemmard, c’est parfois franchement scandaleux… et pourtant, on rit. Pas là où c’est prévu par le scénario, mais on rit quand même.
C’est vide, mais c’est joli
Visuellement, la série continue de compenser ses faiblesses par un vernis luxueux: des palaces à Paris, des palazzi en Italie, des gondoles, un yacht, des soirées mondaines, des paysages de carte postale, des fringues de créateurs (sauf Ashley Park, encore et toujours sapée comme un sac).
Rien n’a grand-chose à voir avec la vraie vie à Paris ou à Rome, mais ça n'est toujours pas le principe de la série. On espère toutefois que les Américains débarquant dans ces deux capitales européennes après avoir vu le show Netflix en sont conscients, sinon, ils risquent d’être déçus.
Quant à la fin… Elle résume à elle seule l’état d’esprit de cette série. Une conclusion si abrupte que je me suis demandé si un épisode n'avait pas disparu en route. Je relance, vérifie, recule: non, c’est bel et bien terminé. Une image finale qui surgit de nulle part, sans véritable résolution, comme une promesse molle qui flotte, et une impression qu’il y aura une saison 6 pour expliquer le pourquoi du comment. En tout cas, la porte est grande ouverte.
Alors oui, c’est plutôt mal écrit. Oui, ça n’a pas beaucoup de sens. Oui, c’est (trrrrrès) souvent mal joué (on salue toutefois les interactions entre Philippine Leroy-Beaulieu et Michèle Laroque, qui relèvent un peu le niveau).
Mais à force d’assumer son absurdité, Emily in Paris finit presque par devenir honnête. Ce n’est pas une série sur Paris, ou Rome, ni sur l’univers impitoyable des agences de marketing, ni même sur l’amour. C’est une usine à clichés, le fantasme d’une vie qui n’existe pas, un grand n’importe quoi esthétique.
Parfois, aussi, on se surprend à rire (même si c'est nerveux). Et en cette fin d’année où on est tous sur les rotules, quelques fous rires gratuits, on ne va pas cracher dessus. Bonus: la série n'a pas été coupée en trois parties par Netflix et ça, c'est un gros soulagement pour nos nerfs.
Emily in Paris, saison 5, sur Netflix dès le 18 décembre.
