Brian Warner est Marilyn Manson, ou le contraire. C'est en filigrane la substance du documentaire Marilyn Manson: derrière le masque qui sonde l'homme empêtré dans plusieurs affaires d'abus sexuels.
Dans cette série produite par la chaîne britannique Channel 4, en association avec Rolling Stone Films, Marilyn Manson est égratigné, bousculé, décrit sous son pire jour par des femmes qui ont porté plainte contre lui, provoquant une tempête judiciaire et médiatique en février 2021. Pour rappel, plusieurs victimes présumées ont saisi la justice, dont l'actrice Evan Rachel Wood, son ex petite amie.
Marilyn Manson: derrière le masque narre les débuts de l'«Antéchrist Superstar», l'artiste qui a propulsé le style gothique au plus haut des charts grâce à son look et ses déclarations provocatrices. Affublé de son nom de scène Marilyn Manson, contraction de Marilyn Monroe et Charles Manson, son personnage est une représentation de la culture des sixties, un liant entre le glamour et l'enfer des Etats-Unis.
Ses débuts dans les années 1990 sont traversés et racontés par des fans de la première heure, des anciens membres de son groupe, des amis d'enfance, des imprésarios, des assistantes, des dirigeants de label (Interscope concernant la superstar américaine), jusqu'aux victimes présumées.
On découvre alors un jeune artiste sans la moindre culture musicale à ses débuts, qui sera épaulé par Trent Reznor par le biais de son label, avant que les deux ne se brouillent - plus tard, il qualifiera Manson de «type malveillant [qui] marcherait sur le visage de n'importe qui pour réussir et franchirait toutes les limites de la décence.»
Marylin Manson a façonné un culte autour de son personnage. Il voulait transcender la moralité et la sexualité; il voulait être un héros et l'ennemi public numéro 1. Il voulait être délibérément offensant et adopter une posture qui lui a permis de feindre une personnalité aux fantasmes déviants.
Créer un mythe était son obsession, et il prendra une ampleur inattendue avec la tuerie de Columbine. En avril 1999, les deux tueurs au long manteau noir auraient été influencés par l'univers du chanteur selon des groupes religieux.
Si le bad buzz le frappe de plein fouet en première instance, il profite de l'affaire nationale pour nourrir ses pulsions messianiques et mégalomaniaques.
L'une de ses victimes, Bianca Allaine, concède que le personnage de Marilyn Manson n'est pas très éloigné de Brian Warner. «Il ne sait que blesser et séduire».
Un ancien responsable d'Interscope Records décrit l'Antéchrist Superstar comme un individu qui sait «où appuyer pour mettre les gens mal à l'aise».
Icône gothique, rockeur de l'épouvante, il est, comme entendu dans ce documentaire, l'incarnation du «Scary Monster in the Corner». Une personne très intelligente, pétrifiée et mal à l'aise face au silence, mais surtout consciente de ce que veut son public.
Au fond, il touillait ses fractures et ses fantasmes les plus crades pour les déverser sur scène, dans les médias, comme le sous-entendent les nombreuses femmes devant la caméra - car la frontière entre le personnage et la personne n'est pas si éloignée.
Pour mieux cerner le bonhomme, Evan Rachel Wood revient sur une période glauque. Elle parle d'un moment pivot: le clip «Heart Shaped Glasses», une vidéo inspirée du film Lolita, le film de Stanley Kubrick, dont la situation a rapidement dérapé. «Il a littéralement commencé à me dévorer le visage», se remémore l'actrice de Westworld, qui s'est sentie «tellement salie» après le tournage.
Elle confie que Marylin Manson avait une idée romantique du suicide. Il lui a fait vivre des horreurs, physiquement et psychologiquement.
C'est l'effet pervers de l'icône du shock rock. Il se plaît même à rappeler avoir lu un manuel de la CIA et s'est rendu compte qu'il s'adressait de la même manière aux gens. Il disait même peut-être «avoir raté sa vocation».
Evan Rachel Wood glisse une autre anecdote glaçante lorsque le couple se trouvait dans leur maison à Glencoe (Californie). Ils n'avaient pas dormi depuis 3 jours, dopés à la drogue, le cerveau désaxé et une suite d'hallucinations avec. Alors que Marylin Manson était dans une chambre, le morceau de Radiohead Exit Music (For a film) résonnait: «Il disait toujours que s'il devait se suicider, c'était sur ce morceau», souffle Evan Rachel Wood.
Elle grimpe à l'étage et tambourine à la porte, en pleurs, avant qu'il n'ouvre:
Avant de reprendre ses esprits, le chanteur lui demande de faire croire à tout le monde qu'ils ont commis l'irréparable.
Leur relation prendra fin en 2010, un an après cette séquence pour le moins étrange.
Le bonhomme devient plus inquiétant lorsque l'ancien rédacteur en chef adjoint du magazine Rolling Stone, Nathan Brackett, diffuse un entretien (en 2015) encore gardé secret, entre confession sur son sexisme et son plaisir à faire céder les femmes mentalement - pour qu'elles n'aient que «d'autres choix que de se soumettre à moi».
«Il aimait dépasser les limites, comme son père», selon l'un de ses plus proches amis d'enfance.
Durant cette interview gardée secrète, Marilyn Manson disait de son père qu'il lui faisait «penser au personnage de Martin Sheen dans Apocalypse Now». Le paternel lui disait que «les soldats qui revenaient de la guerre, ce n'était pas un stress post-traumatique qu'ils ressentaient, mais un manque d'excitation». Ambiance.
Brian Warner enchaîne:
Le maquillage de la rockstar a dégouliné. «Je crois que ma vocation dans la vie est de semer le chaos», répète-t-il.
Ce chaos est favorisé par une industrie de la musique qui est «abjecte» et «horrible», selon un ancien responsable d'Interscope.
Avant d'ajouter:
Des comportements qui ont été glorifiés par le milieu, mais également par la presse spécialisée, qui a construit le mythe Marilyn Manson et l'a hissé au sommet des charts.
C'est en réalité un miroir d'une industrie (à l'instar du cinéma) qui se fissure et laisse apparaître les stigmates de nombreuses victimes d'icônes protégées. Marilyn Manson est un symptôme, un bris de verre qui lacère; un énième artiste qui a profité d'une liberté achetée grâce aux ventes de disques faramineuses. En ça, le documentaire Marilyn Manson: derrière le masque est un décryptage intense des labels qui comptent les billets verts, sans piper mots.
Et dans cette histoire, Marylin Manson est le méchant qui enfreint les règles «parce qu'au fond, ce sont les personnages les plus intéressants», selon lui.
«Marilyn Manson: derrière le masque» est disponible dès le 26 décembre sur Mycanal.