Le triolet de créateurs de la nouvelle série Zero Day répète inlassablement depuis quelques jours que «toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé est purement fortuite». Que les idées qui nourrissent cette fiction politico-conspirationniste «datent d’avant le début» de la présidentielle américaine.
Le hic, c’est qu’une partie du public américain n’y croit pas une seconde, tant cette production Netflix collectionne les indices qui disent le contraire. Pour faire court, la question qui hante certains Américains aujourd’hui est la suivante: Zero Day s’est-elle inspirée de la vie de Joe Biden?
Le pitch de la série: Une cyberattaque particulièrement meurtrière dépoussière l'ancien président américain George Mullen (incarné par Robert De Niro), chargé du jour au lendemain de diriger une commission spéciale afin de coincer l’organisation qui se planque derrière ce crime. Jusqu’ici, rien de bien folichon. Mais c’est dans les détails des personnages que des coïncidences troublantes vont peu à peu faire leur apparition, au fil des épisodes.
This was supposed to have been Joe Biden and Madam President Harris in 2025! 🙃 #ZeroDay pic.twitter.com/bnkXkgHPhI
— ldywdefitness.bsky.social 🦋 (@ldywdefitness) February 23, 2025
Vous aurez sans doute noté cette différence majeure qui saute au visage: dans la fiction, Kamala Harris et les démocrates ont remporté l’élection présidentielle. Il n’en fallait pas plus pour que les trumpistes éclatent de rire sur les réseaux sociaux. Et précisément parce que la cyberattaque meurtrière se déroule durant le mandat de «son double» dans la série.
#ZeroDayNetflix
— Erik F. (@The_Mr_Erik) February 21, 2025
So on Zero Day #Kamala is the president?
😂😂😂😂😂😂
See the consequences if she had won? pic.twitter.com/QMMFj6tFSq
Contrairement à House of Cards (pour ne citer que cette série présidentielle), les partis politiques ne sont jamais évoqués dans Zero Day. Certes, on comprend assez vite que les personnages incarnés par Robert De Niro et Angela Bassett sont démocrates, mais c’est au spectateur de jouer aux devinettes.
Un flou qui entoure d’ailleurs la plupart des personnages de la série, et notamment la fille de l’ex-président Mullen, Alexandra (incarnée par Lizzy Caplan).
Si elle a tout de la jeune députée démocrate progressiste Alexandria Ocasio-Cortez (notez la similitude des prénoms), elle semble redevable au président de la Chambre des représentants, Richard Dreyer. Qui, lui, transpire le républicain à plein nez et «ressemble à l’ancien speaker conservateur Kevin McCarthy».
Pourquoi la fille d’un ex-président démocrate se retrouve ainsi à obéir aux ordres d’un conservateur qui rêve de briguer la Maison-Blanche? (On ne va pas trop vous en dévoiler non plus, hein.)
Avec Zero Day, on a surtout affaire à un monde politique traditionnel poussé dans ses retranchements, chargé de rétablir une certaine vérité dans un monde gorgé de théories du complot. Une post-vérité incarnée par une star du podcast, un certain Evan Green.
ZERO DAY..... I'm convinced. This messaging is Q.
— Joe Rambo (@BrainStorm_Joe) February 21, 2025
First it's released on an EXACT DELTA for [Zero-day] see post below. It will blow your mind.
[Think mirror] the "TRUTHER" Alex Jones type character is named "EVAN GREEN"?
What was Hillary Clinton's Secret Service code… https://t.co/js32KKdc65 pic.twitter.com/weucOHcXm4
Seul face à sa caméra, mais suivi par des millions d’internautes hypnotisés, cet influenceur d’extrême droite passe ses journées à accuser le gouvernement de mentir au peuple américain. Un personnage situé à mi-chemin entre les (vrais) commentateurs politiques Joe Rogan, Tucker Carlson et surtout Alex Jones.
Enfin, Zero Day met en scène la surpuissance d’une milliardaire de la tech, Monica Kidder, à la tête de la multinationale Panoply. Casquette noire sur le crâne et free speech en bandoulière, elle est notamment accusée de manipuler les algorithmes à des fins politiques.
Elon Musk? Pas qu’un peu. Sur les réseaux sociaux, certaines théories vont même jusqu’à considérer son personnage comme une preuve que si Kamala Harris avait remporté l’élection en novembre dernier, le patron de la plateforme X aurait été dégainé pour créer l’apocalypse. Par qui? Comment? L’enquête complotiste s’arrête là.
Même si les papas de la série considèrent que «la politique est un élément important de cette histoire», l’absence d’échiquier politique clair sonne plutôt comme une paresse d’écriture et la preuve que les relations humaines prennent le dessus. N’oublions pas que c’est une fiction censée devenir populaire. En revanche, et face à l’avalanche de théories et de comparaisons avec la vie réelle, impossible d’accuser les trois têtes pensantes de la série de naïveté, car ils connaissent leur matière sur le bout des doigts.
Aux côtés du showrunner Eric Newman, on trouve deux producteurs qui sont d’abord des journalistes politiques.
Producteur et scénariste du film Jackie, qui traite des jours qui suivront l’assassinat de son mari JFK, Noah Oppenheim est d’abord un journaliste politique ayant couvert l’attentat du 11-Septembre ou les guerres d’Irak et d’Afghanistan pour NBC News. Une chaîne de télévision dont il reprendra la direction en février 2017.
Correspondant à Washington pour le New York Times, Eric Schmidt est un journaliste politique chevronné qui avait notamment révélé le scandale des e-mails privés d’Hillary Clinton durant la campagne de 2015.
Une équipe de production plutôt à gauche, donc, qui permet d’appuyer encore un peu plus l’argument de la «réécriture de l’histoire», brandi par les pro-Trump. Sans oublier que des consultants ont été engagés pour s’assurer que les lieux, le vocabulaire et les réflexes du pouvoir sont fidèles à la réalité.
Et c’est Eric Schultz, ancien conseiller principal du président Obama qui a «eu un vrai plaisir à travailler sur le projet», et pas seulement parce que les thèmes résonnent avec l’actualité du monde». Il avait d’ailleurs déjà offert ses compétences sur le tournage des séries Succession ou Designated Survivor.
Même si les créateurs maintiennent que le scénario a été scellé fin 2022, le tournage de la série Zero Day s’est déroulé entre 2023 et 2024, en pleine campagne présidentielle. De quoi injecter des détails au scénario et tourner des scènes inédites au dernier moment? Techniquement, sans aucun doute. Pour le reste, impossible d’en avoir le cœur net, mais c’est déjà suffisant pour les conspirateurs du dimanche. Pour d’autres, Netflix cache carrément des choses:
BREAKING: Netflix new series “Zero Day” is about an elderly ex-president with dementia…
— Ann Vandersteel™️ (@annvandersteel) February 20, 2025
…who “inexplicably” chose NOT to run for reelection…
…and was replaced by a black female candidate WHO WON THE PRESIDENCY.
But here’s the thing:
“Zero Day” had been in development… pic.twitter.com/LKzaUNDpMH
Enfin, Robert De Niro, qui est non seulement l’acteur principal de la série, mais son producteur exécutif, a toujours été un fervent défenseur de Joe Biden. Durant la campagne présidentielle, la star hollywoodienne avait donné de sa personne en organisant une conférence de presse pirate à deux pas du tribunal de New York où Donald Trump, qu’il traitera de «clown», d’«escroc immobilier crasseux» et d’ancien «playboy médiocre», était jugé dans l’affaire Stormy Daniels.
Contrairement à la vie réelle et à Joe Biden, cet ex-président à la retraite va revenir pour sauver le monde. Si une certaine droite américaine aimerait croire que Zero Day est une œuvre de «propagande démocrate» (les grands mots...), elle est d’abord une œuvre hollywoodienne grand public. Et, donc, une alliée de la démocratie: «La meilleure façon de résoudre nos problèmes est de rechercher le bien commun», qu’on entendra résonner dans le dernier épisode.