La série produite par la chaîne Showtime, rachetée par Canal+ et diffusée depuis le 18 janvier, donne rapidement le ton. Hawkins (Matt Bomer) regarde le grand théâtre politique et le brouhaha lui rebondir dessus, lui, le fonctionnaire d'Etat haut placé, comme déconnecté d'un monde auquel il appartient. Il est là physiquement, mais pas son âme.
Cette distorsion du présent est une première incursion dans les années 50, dans cette histoire puissante, celle de deux hommes qui ne peuvent vivre leur amour, qui rusent dans l'ombre pour empoigner leur passion amoureuse le temps d'une nuit, d'une virée. Hawkins et Tim (Jonathan Bailey), affectueusement surnommé Skippy, sont traqués par le sénateur Joseph McCarthy et son chien de garde Roy Cohn. Pourquoi? Il faut les hétéronormer, appliquer la structure familiale classique pour faire briller ce pays.
Dans ce maccarthysme dégoulinant et teinté d'une peur maladive du communisme - la peur rouge -, la chasse aux sorcières ne fait que dégommer des hommes et des femmes attirés par le même sexe. Un souffle mortifère (et d'injustice) qui traverse les époques, des années 50 aux années 80.
Des souvenirs que le scénariste Ron Nyswaner, nommé aux Oscars en 1993 pour Philadelphia, a ravivé une grande part de lui-même dans ce récit, en adaptant le roman de Thomas Mallon publié en 2007. Sous sa plume, ce sont plusieurs décennies qui défilent au milieu d'une (autre) Amérique qui survit et slalome face à la répression.
Mais comme disait Nietzsche, «il y a de la force de guérir même dans les blessures». Et cette romance brûlante et interdite nourrit Fellow Travelers, elle fait pulser les travers d'un pays qui s'accroche à son puritanisme, véhiculé par les hautes sphères politiques hypocrites qui n'hésitent pas à tuer, à écrabouiller, pour tendre à la normalité défendue par le sénateur républicain Joseph McCarthy.
La purge de McCarthy n'hésite pas à tuer, à lessiver, à écrabouiller pour former le chemin auquel le peuple américain doit aspirer. Mais ce chemin dévore, aspire les âmes anticonformistes ou simplement différentes.
L'histoire se rappelle de ceux qui se rebiffent, mais la différence se teinte de peur, de danger incessant, de mensonges qui ne font que fragiliser les effrontés qui osent se rebeller.
Tout part de là et le récit inspire (dès son entame) ce sentiment d'urgence et précipite les protagonistes dans le tragique, malgré les rares moments de joie intense.
Ce vide existentiel qu'étreignent Hawkins et Tim va enfler et se répercuter sur les autres, surtout pour le premier nommé qui a opté pour une double vie. La double vie du haut fonctionnaire va glisser sur sa progéniture, Jackson, un gamin qui cherche un lien paternel absent - «j'aimerais être un vagabond pour aller n'importe où», lâchera-t-il à Tim. Des dégâts collatéraux, il y en aura. Les mensonges se reporteront sur l'entourage tout entier, sur les générations suivantes, surtout sur la femme de Hawkins, incarnée admirablement par l'actrice Allison Williams (Girls, Get Out).
C'est là que Fellow Travelers perce, entre ses désirs fugaces et sa retenue; elle alpague par sa puissance émotionnelle et sexuelle.
Mais de cette puissance, de ces accents politiques, Fellow Travelers aurait peut-être mérité un soupçon de subtilité en plus, d'épisodes plus ramassés. L'épisode 4, voire l'épisode 5 ramollissent un tantinet la solide structure des trois premiers épisodes - la saison en comporte huit.
Malgré les traits harmonieux d'un Matt Bomer, toujours sur le fil et dans l'un, si ce n'est son meilleur rôle, et les élans mélodramatiques du récit, il faut noter un point décevant: les vieillissements grossiers des acteurs. Outre cette erreur, Ron Nyswaner narre une série empreinte de justesse, magnifiquement bercée par la bande-son de Paul Leonard-Morgan qui appuie cette beauté et confère à Fellow Travelers une dimension tragique.
«Fellow Travelers» est disponible sur MyCanal depuis le 18 janvier