Tout commence avec un bol de muesli. Yaourt nature, une poignée de noix, graines de tournesol, de lin et un peu de granola. Petit-déjeuner austère, ambiance austère. Dehors, il pleut. Tout est gris. Lady Di n'est plus là. Charles et William doivent ravaler peine, griefs et regrets pour affronter l'avenir, avec autant de facilité qu'une bouffée de flocons d'avoine tout secs.
C'est sur ce triste tableau d'un père et d'un fils endeuillés que démarre la deuxième et dernière partie de The Crown. Là où nous l'avions laissée.
Au placard, les voitures d'époque, les robes midi et les costumes trois-pièces des années 50. Bonjour le début des années 2000, les Daft Punk, les téléphones portables et les jeans Levi's à la coupe douteuse. Dans cette dernière saison, la série consacrée à la monarchie se frotte à son défi le plus redouté: revenir sur un passé tout proche. Se plonger dans les souvenirs encore vivaces de ses protagonistes. Charles, Kate, William, Harry et toute la jeune génération des royals, encore encore là pour s'offusquer des libertés prises par les scénaristes.
«Sensible». Exactement ce qui nous vient, au long de ces six derniers épisodes, qui couvrent la période de 1997 à 2005. Comme si le créateur Peter Morgan ne voulait vexer personne, lui qui nous avait habitués à jouer avec les réalités historiques, quitte à provoquer les hurlements de quelques experts royaux. Cette fois, il avait juré qu'il prendrait des gants. Promesse respectée. Au point que cette sixième saison s'apparente un peu à la porcelaine de grand-maman. Une vaisselle fragile, délicate, qu'on manie avec précaution par crainte de casser quelque chose.
Pas de vagues, pas de casse. C'est à peine si les scénaristes osent accorder cinq minutes à l'épisode aussi célèbre que médiatico-dramatique du déguisement nazi de Harry. Un prince rebelle interprété avec brio par Luther Ford, 23 ans, plein de chien et de talent. Si bien qu'on regrette que le «numéro 2» porte si bien son nom. Ses apparitions, fugaces et malicieuses, sont trop rares.
Résultat: un final convenu, respectueux, avec ce qu'il faut d'émotion pour nous tirer une larmichette, mais désespérément dépourvu d'audace et de mordant. Une dernière saison qui ne blessera personne. Entre une plongée pudique et lente dans le deuil de William ou les tergiversations pensives d'Elizabeth sur les réformes à apporter à la Firme. L'entrée en scène timide et un brin trop romancée d'une Kate Middleton. L'émouvant déclin de la princesse Margaret. La mort vite brossée de Queen Mum. Pour finir sur le mariage sans âme de Charles et Camilla, en 2005.
Si le roi actuel est quasiment inexistant de cette dernière partie, ce sont Elizabeth, au crépuscule de son règne, et William, à l'aube du sien, qui concentrent toute l'attention. Pendant que la Reine enterre sa petite soeur et penche sur les préparatifs de ses propres funérailles, son petit-fils pose les bases de sa future famille et goûte aux plaisirs interdits de la vie étudiante.
L'ancienne génération cède la place à la nouvelle. Un chapitre s'achève, un autre s'ouvre.
L'occasion pour la Reine de méditer sur ses années de bons et loyaux services à la Couronne. Un dilemme interne que le réalisateur a choisi de nous illustrer sous forme d'un dialogue entre la reine septuagénaire et son «elle» jeune, incarnée par Claire Foy. «Admets-le, tu penses parfois que tu es différente du reste de cette famille. C’est naturel pour toi. Tous les autres n’arrivent à rien», lâche la jeune Lilibeth avec un flegme froid et très royal à son alter ego.
«Je n’ai jamais dit ça!», objecte la reine âgée.
Le «système». Ce rôle de monarque où l'individu et le devoir se fondent pour ne faire qu'un. Elizabeth II en était la plus belle démonstration. La série de Peter Morgan l'illustre depuis sept ans. A défaut d'être spectaculaire, son final est un hommage très élégant. Une ultime révérence devant la Reine la plus mystérieuse et la plus investie de tous les temps.
The Crown – Saison 6, deuxième partie, est disponible sur Netflix depuis le 14 décembre.