En 2020, il y avait encore une surabondance de biens immobiliers et le nombre de logements vides grimpait en flèche. Puis, le vent a tourné. Désormais, il n'y a pas assez de logements locatifs et trop peu de maisons individuelles. Certains experts veulent faire bouger les choses. Explications.
La Banque Raiffeisen prévient que l'on «fonce à toute vitesse vers la crise du logement». Il faut agir, mais il n'est plus possible d'éviter, «les conséquences désagréables d'une crise aiguë du logement». Martin Tschirren, directeur de l'Office fédéral du logement, déclare que la Suisse doit se préparer à une «pénurie».
Pour ce faire, l'office fédéral s'appuie sur les chiffres de l'entreprise de conseil Wüest Partner, selon lesquels il manquera des milliers de logements dans les années à venir. En 2022, près de 6000 logements étaient manquants et cette année ce chiffre grimpera probablement à 19 700.
Cette pénurie explique pourquoi les prix des logements en propriété continuent d'augmenter, et ce, malgré le redressement des taux d'intérêt. En raison de la hausse des taux d'intérêt, de moins en moins de personnes peuvent assumer les coûts d'une hypothèque. La demande diminue donc. Mais cet effet est surpassé par la baisse du nombre de logements à vendre.
Acheter son logement reste encore inabordable pour la classe moyenne, comme l'ont déjà constaté de nombreuses études. Même l'Office fédéral du logement le confirme:
En raison de la pénurie, il est à nouveau plus cher de louer les nouveaux logements proposés. Ces loyers qui ont quelque peu baissé pendant le boom de la construction ont repris l'ascenseur.
Il y a un deuxième renversement de tendance pour les baux existants. En effet, le niveau plus élevé des taux d'intérêt entraînera une augmentation du taux d'intérêt de référence qui est inclus dans le calcul de ces loyers. Cela pourrait être le cas au second semestre 2023. Certains bailleurs pourraient ainsi sauter sur l'occasion et augmenter les loyers.
Un phénomène qui pourrait avoir des conséquences sociales, selon Martin Tschirren de l'Office fédéral du logement. De nombreux locataires voient déjà leur charge augmenter en raison des frais annexes. Le mazout et l'électricité sont devenus plus chers. Aujourd'hui, il y a environ un demi-million de ménages pour lesquels les frais de logement engloutissent plus d'un tiers du revenu.
Abondance nationale en 2020 et pénurie en 2022. Pourquoi cette inversion est-elle arrivée si vite?
L'offre est en baisse. Le boom de la construction de logements est terminé. Jusqu'en 2020, on comptait encore environ 50 000 logements supplémentaires par an. Mais comme le montrent les permis de construire délivrés, il n'y en aura bientôt plus que 40 000, soit 20% de moins.
La demande reste toutefois élevée. Elle est principalement alimentée par deux tendances. Il y a d'abord l'immigration, qui fait l'objet de beaucoup d'attention. Cependant, la tendance à la réduction de la taille des ménages est tout aussi importante, et parfois même plus. De moins en moins de personnes vivent ensemble dans un logement, il en faut donc davantage, année après année.
Un calcul approximatif de la demande est vite fait. Il faut plus de logements pour les nouveaux ménages. Par ailleurs, 57 000 nouveaux immigrés se répartissent environ 26 000 logements. Cela fait 48 000 logements supplémentaires nécessaires chaque année.
Toutefois, en 2022, l'immigration a été très importante, il faudrait encore quelques milliers de nouveaux logements supplémentaires. Et puis, le marché a encore besoin d'un stock de base de logements vides pour pouvoir fonctionner. Ainsi, en 2022, il y aurait un déficit de près de 20 000 logements.
Les logements vides partent donc rapidement. Cela se voit aussi dans les statistiques sur les logements vacants. Il y a une baisse record.
Comment expliquer que dans une économie de marché, on ne produise pas assez d'un bien essentiel, comme le logement, durant plusieurs années? Ceci alors que de nombreuses familles rêvent d'avoir leur propre maison.
Les économistes de la Banque Raiffeisen réclament un débat public urgent. Leur brève énumération de «tout ce qui ne va pas» tient moins de l'analyse objective que de la critique et ils attribuent une bonne part de responsabilité aux politiques.
La Suisse se retrouve face aux «limites de la croissance». Si l'on veut de la croissance, il faut «créer les conditions d'un développement de l'urbanisation qui fonctionne».
La croissance rapide de l'économie suisse et les bons salaires ont entraîné une augmentation du nombre d'immigrants, ce qui a entraîné une pénurie et une hausse des prix des logements.
Pourtant, la Suisse n'est pas seule à connaître ces problèmes. Les évaluations de l'association de pays OCDE montrent une autre image. Il existe d'autres pays, où les frais de location pèsent encore plus lourd sur le budget des ménages. C'est notamment le cas du Canada, de l'Espagne, du Danemark et des Pays-Bas.
Il y a deux ans déjà, le magazine archi-libéral The Economist diagnostiquait un «dysfonctionnement insidieux» dans la construction de logements au sein du monde occidental.
Les villes ne peuvent pas grandir; les propriétaires vieillissants habitent des maisons à moitié vides et protègent leur vue par des objections. Une génération de jeunes grandit qui n'a ni les moyens de louer ni d'acheter - et qui croit donc que le capitalisme les laisse tomber.