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Pourquoi l'économie mondiale est dans le coma

Die Erde auf der Intensivstation.
Pour sauver l'économie mondiale, les banques centrales ont pris des mesures drastiques. Toutefois, ces prises de risque ne sont pas sans conséquences.image: shutterstock/watson
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L'économie mondiale est dans le coma

Les banques centrales se sont jetées dans une guerre à corps perdu contre l'inflation. Un sauvetage de l'économie mondiale qui comporte toutefois d'énormes risques.
03.10.2022, 06:0703.10.2022, 09:08
Philipp Löpfe
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Envie de quelques frissons? Voici un scénario économique d'horreur.

Comme dans les années 70, l'économie américaine glisse dans une stagflation qui pourrait se prolonger des années. La situation n'est pas plus heureuse pour l'Europe, enfoncée dans la dépression en raison des prix élevés de l'énergie, trop lourds à assumer pour les petites et moyennes entreprises. Une crise immobilière et une sécheresse record ont mis fin au miracle économique chinois. Quant à l'économie suisse, elle est paralysée par un franc beaucoup trop fort et voit son taux de chômage atteindre un pourcentage à deux chiffres.

Nous n'en sommes pas encore là.

Pourtant, c'est bien dans cette direction que semble engagée l'économie mondiale. Les diagnostics actuels des docteurs en économie ne laissent rien présager de bon. Jerome Haegeli, économiste en chef chez Swiss Re, a posé son verdict au Wall Street Journal: «L'économie mondiale est en soins intensifs. Un atterrissage en douceur est devenu presque un rêve».

Federal Reserve Chair Jerome Powell, center, shakes hands with Asgeir Jonsson, governor of the Central Bank of Iceland at the annual Jackson Hole Economic Policy symposium at Jackson Lake Lodge in Gra ...
Le président de la Fed Jerome Powell lors de la réunion annuelle des banquiers centraux à Jackson Hole. image: keystone

Qui sont les coupables de cette évolution désastreuse?

D'une part, il y a les suspects connus. La pandémie de Covid-19, évidemment, qui a provoqué un chaos dans les chaînes d'approvisionnement, mais la guerre en Ukraine de semer la pagaille, en faisant exploser les prix de l'énergie.

Depuis peu, d'autres coupables sont suspectés d'avoir semé la pagaille dans l'économie mondiale: les banques centrales. Dans le cadre d'une action concertée, ces dernières ont augmenté les taux directeurs dans le monde entier... avec pour principal effet de freiner l'économie.

Une réunion-clé

Tout a commencé avec la réunion des banquiers centraux à Jackson Hole, fin août. Dans cette vallée idyllique des Rocheuses, située dans l'État américain du Wyoming, les grands décideurs de l'économie mondiale se réunissent chaque année afin d'échanger leurs idées. Cette année, ils sont arrivés à la conclusion que l'inflation devait être combattue avec une artillerie conséquente.

«Depuis Jackson Hole, les banquiers centraux ont décidé qu'ils voulaient pécher par excès de bellicisme», explique Christian Keller, économiste en chef de la Barclays Investment Bank, au Financial Times. «Pour la première fois depuis peut-être des décennies, ils ont eu peur de perdre le contrôle du processus [d'inflation]».

Première action: Relever le taux directeur

Comme toujours, la plus importante banque centrale du monde, la Fed américaine, a pris les devants. En plusieurs étapes, elle a entre-temps relevé le taux directeur dans une fourchette de 3 à 3,25%. D'ici la fin de l'année, on s'attend globalement à une augmentation de la fourchette de 4,25 à 4,5%. «Nous continuerons jusqu'à ce que nous soyons convaincus d'avoir fait le travail», explique le président de la Fed, Jerome Powell.

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Fin des taux d'intérêt négatifs: Thomas Jordan, président de la BNS.image: keystone

Que ce soit en Indonésie, en Norvège, en Afrique du Sud, en Suède, à Taiwan ou en Grande-Bretagne, partout les banques centrales ont suivi l'exemple américain ces derniers jours. Après une augmentation de 0,5 point de pourcentage, la Banque nationale suisse a également relevé son taux directeur de 0,75 point, mettant ainsi fin à des années de taux d'intérêt négatifs.

Un coma artificiel

Les hausses des taux directeurs des banques centrales sont une arme redoutable. Elles frappent l'économie et la plongent dans une récession artificielle. L'objectif est de freiner l'envie des entrepreneurs d'augmenter les prix et celle des syndicats d'augmenter les salaires. But final? Mettre l'inflation à genoux.

Les hausses des taux directeurs constituent une arme efficace. La preuve: les marchés financiers ont déjà réagi. Ces derniers jours, les cours des actions se sont effondrés dans le monde entier. Et le phénomène n'est de loin pas terminé. Les investisseurs ont compris que les banquiers centraux sont fermement décidés à mener une lutte acharnée contre l'inflation et qu'il ne faut pas s'attendre à une détente sur le front des taux d'intérêt pour le moment.

Une immense prise de risque

La méthode dure des banquiers centraux comporte toutefois d'énormes risques pour l'économie réelle. Si les banquiers centraux ont sous-estimé le risque d'inflation il y a un an et l'ont qualifié de «temporaire», ils risquent désormais de surréagir. «Ils agissent si vite qu'ils n'ont pas le temps d'évaluer l'effet sur l'économie», explique Nathan Sheets, économiste en chef de Citibank, dans le Financial Times.

Maurice Obstfeld, l'ancien économiste en chef du Fonds monétaire international, va encore plus loin. Dans une analyse récente, il constate: «Les banquiers centraux s'efforcent manifestement d'augmenter les taux directeurs parce que l'inflation se situe à un niveau que nous n'avons pas connu depuis deux générations. Mais on peut aussi en faire trop. Maintenant, les responsables de la politique monétaire doivent voir plus loin que le bout de leur nez».

Des marques déjà visibles dans l'économie

En fait, les traces de freinage sont déjà visibles dans l'économie réelle. L'économie allemande, la locomotive de l'Europe, a nettement ralenti. Les derniers chiffres indiquent qu'une récession est difficilement évitable. «La situation devient de plus en plus dramatique, surtout pour les entreprises moyennes de l'industrie automobile», déclare Hildegard Müller, la présidente de l'Association de l'industrie automobile.

La situation est encore plus dramatique au Royaume-Uni. Aux aléas de la géopolitique s'ajoute l'incompétence des politiques. Une aspirante Margaret-Thatcher en tant que nouvelle première ministre et un ministre des finances irresponsable ont tellement effrayé la communauté financière avec leurs plans de réduction d'impôts que la livre a chuté pour la première fois sous le dollar et que la Banque d'Angleterre doit encore augmenter les taux d'intérêt directeurs alors que l'économie est déjà en récession.

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Reproche au gouvernement britannique: Lawrence Summers, ancien secrétaire au Trésor américain.image: X00044

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