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La Chine est en train de perdre la guerre des smartphones

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La Chine perd la main dans la production de téléphones.shutterstock, montage watson
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La Chine est en train de perdre la guerre des smartphones

Pendant plus de 30 ans, la Chine a servi d'usine pour les produits technologiques du monde entier. Mais l'époque où les géants de la tech faisaient fabriquer leurs téléphones à bas coût dans l'Empire du Milieu semble révolue. L'Inde et le Vietnam se profilent.
01.10.2023, 08:0201.10.2023, 10:57
Pascal Scherrer / ch media
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Pendant longtemps, il n'y a guère eu de téléphone, de casque audio ou d'ordinateur portable qui ne portaient pas l'inscription «Made in China». Mais désormais, de plus en plus de groupes technologiques délocalisent leur production dans d'autres pays. Des entreprises comme Apple, Google ou Samsung ne veulent plus dépendre de Pékin à cause des tensions politiques entre la Chine et les Etats-Unis.

Depuis que l'ancien président américain Donald Trump a déclenché un conflit commercial avec la Chine en 2018, la tension entre les deux Etats n'est jamais retombée, malgré l'élection de Joe Biden.

Les entreprises qui ont besoin des États-Unis sur le plan commercial cherchent à prendre leurs distances avec la Chine pour ne pas froisser leur partenaire. L'exemple de Huawei a montré ce qu'il peut advenir d'un géant de la technologie qui se retrouve dans le collimateur des Etats-Unis. En 2019, le fabricant était encore le numéro deux mondial du marché des smartphones derrière Samsung. Trois ans plus tard, l'entreprise ne jouait plus aucun rôle en dehors de la Chine.

Les Chinois délocalisent

En parallèle du retrait de certaines entreprises en froid avec Pékin, les entreprises chinoises elles-mêmes cherchent désormais à implanter des sites de production au-delà de leur territoire. Xiaomi, longtemps surnommée «l'Apple de Chine», en est un exemple frappant. Au cours des trois dernières années, l'entreprise a investi massivement dans son site de production en Inde.

Car les bénéfices des géants de la tech occidentaux reposent sur les épaules des travailleurs à bas coûts. Et après des décennies de production très bon marché, les salaires ont augmenté en Chine et son essor économique la pousse à délocaliser. Comparé à l'Europe, l'Empire du Milieu paie certes encore peu sa main-d'œuvre, mais il perd de plus en plus de son attrait pour les entreprises étrangères. Le contexte politique tendu vient se rajouter à cette situation.

Le Vietnam, moitié moins cher que la Chine

Les fabricants à la demande comme Foxconn, qui fournissent entre autres Apple, Samsung ou Sony, ont commencé à chercher des alternatives en dehors de la Chine il y a une dizaine d'années déjà. Ils les ont surtout trouvées en Inde ou au Vietnam où, par exemple, Foxconn paie un ouvrier d'usine environ 300 dollars par mois, soit moins de la moitié d'un employé chinois.

Le Vietnam a compris qu'il avait une carte à jouer et tente d'attirer les entreprises du secteur avec des avantages fiscaux et des facilités commerciales. Ces dernières années, le Vietnam a signé quinze accords de libre-échange. La situation politique stable est un atout supplémentaire que le pays aime par ailleurs mettre en avant.

Et le plan semble fonctionner. Avant même le début de la guerre commerciale entre la Chine et les Etats-Unis, les investissements de l'industrie technologique au Vietnam sont montés en flèche. En 2020, Apple y a produit ses premiers Ipads et Airpods et d'ici 2025, 65% de la production d'AirPods porteront la mention «Made in Vietnam», estime le géant bancaire J.P. Morgan. Pour garantir cela, Foxconn a investi 300 millions de dollars dans une nouvelle usine dans la province de Bac Giang, non loin de la capitale Hanoï.

L'Inde taxe fort, mais est incontournable

De son côté, l'Inde a opté pour la tactique de la carotte et du bâton. Elle offre des avantages aux entreprises tech étrangères, mais à la condition qu'elles produisent exclusivement sur son territoire. En août 2023, le pays a annoncé une réglementation interdisant aux entreprises tech d'importer certains produits sans licence d'Etat. Sans surprise, les smartphones, les tablettes et les ordinateurs portables en font partie. Pourtant, même avec cette licence, l'Inde taxe exagérément l'importation de ces produits, ce qui réduit drastiquement leur rentabilité.

Il n'empêche, l'Inde est devenue le troisième marché de vente de téléphones portables. Et cela, Samsung, Apple, Xiaomi et les autres ne peuvent plus l'ignorer. Ce qui explique pourquoi le chinois Xiaomi développe fortement sa production dans le sous-continent, malgré les taxes.

De lourdes répercussions avec le «zéro Covid»

En plus des tensions politiques et de la hausse des coûts salariaux, c'est la politique chinoise du «zéro Covid» qui a fait déborder le vase. Depuis l'épidémie de Covid en 2019, la Chine avait adopté une ligne dure qu'elle a maintenue jusqu'en janvier 2023. C'est la conclusion à laquelle parvient Greg Poling, directeur du Center for strategic and international studies (CSIS). Ce groupe de réflexion américain s'intéresse entre autres à l'économie de l'Asie du Sud-Est.

Durant le «zero Covid», une seule personne infectée provoquait la mise en quarantaine de quartiers entiers pendant plusieurs jours. Des sites de production ont par conséquent dû être arrêtés à plusieurs reprises. Même en 2022, alors que le monde revenait lentement à la normale, la Chine poursuivait sa politique de tolérance zéro.

Même si la demande mondiale d'électronique s'était plus ou moins rétablie, la stratégie Covid peu conciliante de Pékin compliquait la planification pour les entreprises internationales. Un scénario difficile pour des entreprises comme Apple ou Samsung, qui fournissent et vendent des millions d'appareils par jour et ne veulent pas risquer la rupture d'approvisionnement. En conséquence, ces entreprises à succès ont parfois dû revoir leurs perspectives de bénéfices à la baisse, faute d'avoir pu livrer leurs produits.

S'affranchir du géant Chinois: pas si facile

Là encore, le Vietnam a tiré son épingle du jeu et s'est attiré les faveurs des fabricants en renonçant en 2022 à sa politique «zéro Covid». Il a ainsi autorisé la reprise de la production avec des mesures de sécurité appropriées. Mais sa présence sur le marché n'a pas suffi à compenser les problèmes d'approvisionnement chinois.

S'affranchir de la Chine ne se fait pas du jour au lendemain en installant des usines géantes pour des centaines de millions de dollars. Il faut également une infrastructure fiable qui garantisse une chaîne d'approvisionnement sans faille. Et puis, le Vietnam et ses 100 millions d'habitants et travailleurs potentiels reste un acteur de taille moyenne et est loin de prétendre au volume de production de la Chine et ses 1,4 milliard.

Car ce qu'il faut surtout, ce sont des centaines de milliers d'ouvriers formés qui assemblent 24 heures sur 24 des composants électroniques fragiles. Et c'est justement là que la Chine a encore un énorme avantage: le savoir-faire sur la chaîne d'assemblage, voilà ce que la République populaire a perfectionné au cours des 40 dernières années.

Des circuits plus longs

De plus, les circuits de livraison sont courts en Chine. Les sites de production et les chaînes de montage se trouvent pratiquement côte à côte. Au Vietnam et en Inde, en revanche, les différents composants doivent encore être importés en grande partie de Chine. Pour changer cela, les fournisseurs investissent, eux aussi, massivement dans les nouveaux sites.

Là où les rizières façonnaient encore le paysage, on construit désormais des entrepôts, des ateliers et des halles de montage. En Inde, par exemple, Samsung a ouvert en 2020 la plus grande usine de smartphones du monde. Dans une déclaration, le fabricant avait alors déclaré vouloir faire de l'Inde la plus grande base d'exportation de téléphones portables.

Apple n'est pas en reste. En avril 2023, Bloomberg annonçait qu'environ 7% des Iphones mis sur le marché provenaient d'usines indiennes. Google serait même allé plus loin et produirait la moitié de ses Pixel en Inde.

Il faudra donc encore quelques années avant que la Chine ne soit effectivement remplacée en tant que berceau de la production technologique, et ce malgré d'énormes efforts. Mais l'Empire du Milieu ressent déjà les premiers effets de ce changement de paradigme. Et cela se voit dans les chiffres: ces deux dernières années, le secteur technologique chinois a la croissance la plus lente de son histoire.

Traduit de l'allemand par Valentine Zenker

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