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Temu taxe moins que ces concurrents et c'est un problème

Comment Temu profite d'une lacune pour payer moins de taxes en Suisse

Le boutique en ligne réalise désormais des centaines de millions de francs par année en Suisse. En matière de TVA, le géant chinois a un avantage sur Galaxus. Et ça doit changer
11.08.2024, 18:30
Stefan Ehrbar / ch media
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La boutique en ligne chinoise Temu est devenue en très peu de temps la terreur du commerce de détail. L'année dernière, l'enseigne est partie pratiquement de rien et a réalisé un chiffre d'affaires de 300 millions de francs en Suisse. Les prix sont souvent imbattables et le géant chinois offre des avantages tels que la livraison gratuite, des «offres flash» avec des rabais importants ou la possibilité de retourner, là aussi gratuitement, les articles.

Temu est la boutique en ligne la plus récente et celle qui connaît la croissance la plus rapide. Elle livre directement de Chine aux ménages privés en Suisse. Mais ce modèle devient un problème de plus en plus gros pour les commerçants locaux qui ne peuvent pas rivaliser avec les prix. L'année dernière, les trois plus grands commerçants chinois – Temu, Shein, spécialisé dans les vêtements, et Aliexpress – ont déjà réalisé ensemble un chiffre d'affaires annuel de près d'un milliard de francs.

Seulement, Temu est spécial dans la mesure où la boutique prend particulièrement au sérieux les besoins de la clientèle locale et permet par exemple le paiement avec l'application de paiement Twint, qui fonctionne uniquement chez nous.

Tout ça a de quoi alarmer la concurrence, qui a fini par agir. Ainsi, Temu s'est déjà attiré une plainte de commerçants suisses, sur laquelle le Secrétariat d'Etat à l'économie (Seco) planche. L'association professionnelle Swiss Retail Federation estime que le géant chinois enfreint plusieurs lois, notamment parce que de nombreux produits ne répondent pas aux prescriptions de sécurité locales ou parce que Temu tromperait souvent ses clients en affichant le message «presque épuisé» sous ses produits.

Mais l'enseigne a encore un autre avantage dans la bataille des boutiques en ligne: le commerçant verse probablement nettement moins de taxe sur la valeur ajoutée (TVA) que son chiffre d'affaires ne le laisse supposer.

L'administration fiscale ne répond pas

C'est ce qui est arrivé au lecteur Peter P.*, qui a commandé pour plus de 100 francs de marchandises chez Temu. Même après plusieurs demandes, la boutique n'a pas été en mesure de lui délivrer un reçu sur lequel le montant de la TVA était détaillé. Résultat, il soupçonne Temu de se soustraire à l'impôt – et les autorités de l'observer.

Les indices parlent d'abord en faveur de cette thèse. Toutes les entreprises qui versent la TVA figurent en fait dans le registre IDE avec leur numéro d'identification. Ni Temu ni la société mère PDD n'y figurent. L'Administration fédérale des contributions (AFC) n'est pas autorisée à fournir des informations sur les entreprises individuelles, mais elle confirme que celles qui versent la TVA devraient être inscrites dans le registre.

P. s'est adressé à la Commission de la concurrence (Comco), qui l'a renvoyé à l'administration fiscale. Selon ses propres dires, il n'a pas reçu de réponse satisfaisante de cette dernière. Il trouve «déprimant» que Temu ne verse pas de TVA et que les autorités restent inactives.

L'Etat perd-il 24 millions par an?

Avec un chiffre d'affaires estimé à 300 millions de francs, les activités de Temu devraient en principe rapporter à l'Etat environ 24 millions de francs de TVA. Mais ce n'est pas le cas et les raisons sont complexes.

Temu envoie de nombreux colis de faible valeur. Pour ces petits envois, l'Office fédéral des douanes et de la sécurité des frontières renonce à la perception de la TVA. Sont concernés par cette réglementation les colis dont la valeur de la marchandise est inférieure ou égale à 62 francs au taux normal de TVA de 8,1%. Pour ces derniers, le montant de l'impôt serait inférieur à 5 francs. En raison des frais administratifs disproportionnés, la douane renonce à percevoir ces petits montants.

Cette règle s'applique également lorsqu'une commande plus chère est répartie sur plusieurs paquets. Ce sont les différents paquets qui sont taxés, pas les commandes individuelles dans la boutique en ligne. La commande de P. a également été livrée en plusieurs envois.

Temu fait office de plateforme

Pour les envois plus chers, tout devrait se dérouler conformément à la loi. Temu déclare tous ses envois à la douane et lui paie la taxe exigée. La douane verse ensuite cette somme à l'administration fiscale. D'un point de vue juridique, les clients agissent en tant qu'importateurs. Dans ce cas, Temu ne doit pas nécessairement figurer dans le registre IDE.

Une grande partie des colis devrait toutefois valoir moins de 62 francs et donc bénéficier de la règle des petits envois. En fait, le législateur a pris les devants. Depuis 2019, toutes les boutiques en ligne qui envoient en leur nom propre des marchandises d'une valeur supérieure à 100 000 francs par an en Suisse sont assujetties à la TVA. Même celles qui n'envoient que des petits colis. Temu a atteint cette limite de chiffre d'affaires depuis longtemps. De telles entreprises figureraient dans le registre IDE.

L'enseigne chinoise profite toutefois d'une lacune réglementaire liée à sa forme commerciale: Temu fonctionne comme une plate-forme, à l'instar de certaines boutiques en ligne de Galaxus ou d'Amazon. Des commerçants chinois utilisent la boutique en ligne de Temu pour vendre leurs marchandises directement à des clients européens. Ce sont ces commerçants qui sont considérés comme des vendeurs, et non Temu, qui se contente de mettre en relation les vendeurs et les acheteurs sur la place de marché virtuelle.

Les exploitants de plateformes ne sont pas redevables de la TVA. Celle-ci devrait être payée – si elle l'est – par les vendeurs individuels. Un coup d'œil aléatoire au registre IDE le montre. La plupart des commerçants présents sur Temu ne paient probablement pas de TVA. Mais il devrait être quasiment impossible de leur réclamer cette taxe, car ils n'ont que très rarement une succursale en Suisse.

La bonne nouvelle pour les caisses de l'Etat est que le problème a été identifié. En 2023, le Parlement a modifié la loi sur la TVA. Probablement à partir du 1ᵉʳ janvier 2025, ce que l'on appelle l'imposition des plateformes entrera en vigueur. La situation juridique des plateformes en ligne comme Temu change. Même si elles ne font que mettre en relation acheteurs et vendeurs, elles seront considérées à partir de cette date comme des prestataires de services et seront tenues de verser la TVA. Une telle règle est déjà en vigueur dans l'Union européenne.

Interrogé à ce sujet, Temu a fait savoir qu'il se conformerait à cette règle. A cet effet, les exploitants ont créé en début d'année une entreprise en Suisse et enregistré un numéro de TVA. Il s'agit de la société Whaleco Switzerland AG à Bâle.

Les boutiques en ligne suisses doivent certes continuer à vivre avec la concurrence à bas prix de la Chine, car leurs produits resteront imbattables dans la plupart des cas, même si la TVA de 8,1% est due dans tous les cas. Mais l'Etat pourra au moins profiter davantage du boom des boutiques chinoises à partir de l'année prochaine. Et se réjouir de millions supplémentaires.

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