Cet automne, au Parlement suisse, d’intenses débats autour de la question de l'argent se préparent: l'armée suisse et l'Ukraine devraient recevoir des milliards supplémentaires, ce qui signifie que des économies devront être faites ailleurs. Depuis des mois, la ministre des Finances, Karin Keller-Sutter, ne cesse de mettre en garde:
Dans les semaines à venir, des experts présenteront un rapport qui doit montrer comment les déficits structurels redoutés – pouvant atteindre quatre milliards – peuvent être «éliminés». Cela ne manque pas d'irriter la gauche, qui accuse la conseillère fédérale du PLR de dramatiser.
Dans cette atmosphère tendue, une nouvelle en provenance de Lucerne vient tout chambouler: le canton estime que la nouvelle imposition minimale de l'OCDE générera 400 millions de francs suisses de recettes supplémentaires par an. Initialement, Lucerne s'attendait à 40 millions de francs (pour 2026), puis à 55 millions de francs pour les années suivantes. C'est une erreur d'estimation spectaculaire dont la Confédération devrait pouvoir profiter puisqu’un quart des revenus issus de l'impôt complémentaire de l'OCDE ira dans ses caisses.
Pour rappel: avec l'impôt minimum, l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) limite la concurrence fiscale entre les Etats. Les entreprises ayant un chiffre d'affaires d'au minimum 750 millions par an doivent verser au moins 15% de leurs bénéfices en impôts. Cette mesure a été approuvée par le peuple en 2023, et le Conseil fédéral l’a fait entrer en vigueur au début de cette année. Dès 2025, cet argent ira ainsi dans les caisses des cantons et de la Confédération.
Jusque-là, il n'existait que des estimations grossières concernant le montant des recettes. Lucerne est l'un des premiers cantons à fournir des chiffres plus concrets.
Avec cette manne financière inattendue, le canton suisse allemand prévoit de financer deux baisses d'impôts, de soulager les communes et d'injecter 200 millions dans la promotion économique de la région. L'idée derrière cela est de restituer une partie des fonds aux entreprises par des moyens détournés, afin de rester un lieu attractif pour le commerce.
La nouvelle réjouit les Lucernois et est également vue d’un bon œil par les caisses fédérales, qui sont sous pression. A Berne, cette situation pourrait enflammer les discussions budgétaires. La question porte sur la part que la Confédération doit recevoir des recettes de l'impôt minimum de l'OCDE. Un partage de 25% avait été convenu, mais cela n'a pas encore été définitivement inscrit dans la loi.
Selon une étude, l'introduction de l'impôt minimum de l'OCDE générera en Suisse des recettes supplémentaires de 1,6 milliard de francs par an. La Confédération estimait, elle, ces recettes à 1,5 à 2,5 milliards de francs. Après le cas de Lucerne, il devient évident que les revenus se situeront dans la partie haute de cette estimation, voire au-delà.
L'importance du mode de répartition pour les caisses fédérales se révèle à travers une simulation basée sur des recettes estimées à deux milliards de francs: si la part de la Confédération reste à 25%, 500 millions de francs seraient injectés à Berne. Si cette part était portée à 50%, cela représenterait un milliard de francs par an; ce qui permettrait de compenser presque entièrement le déficit structurel prévu pour l'année 2026. Ce serait également un allègement bienvenu pour les années suivantes.
Pour le conseiller aux Etats socialiste et président de l'Union syndicale suisse (USS), Pierre-Yves Maillard, c'est clair:
Il est absurde que certains cantons ne sachent plus quoi faire de leur argent, «tandis que des projets importants sont sacrifiées au niveau fédéral à cause des économies».
Le coprésident du PS, Cédric Wermuth, emboîte le pas: «L'exemple de Lucerne renforce notre soupçon selon lequel les chiffres concernant les recettes fiscales attendues ont été sous-estimés.» Il est donc «tout simplement incompréhensible que la Confédération mise sur le désengagement, notamment concernant les questions de coopération au développement».
La fédération Swissholdings, qui représente les entreprises concernées, appelle à la prudence. Il est «trop tôt pour tirer des conclusions quant aux effets de l'imposition minimale de l'OCDE sur la place économique suisse», fait savoir une porte-parole. Les adaptations à la nouvelle concurrence entre places économiques sont en cours au niveau international, mais aussi entre les cantons:
La question se pose donc de savoir si Lucerne est un cas particulier ou si d'autres cantons seront aussi chanceux. On le saura bientôt. En effet, à la fin de l'été, les budgets et les plans financiers sont rendus publics au compte-gouttes. En attendant, les résultats d’une enquête auprès des cantons suggère que des écarts vers le haut aussi importants que ceux de Lucerne resteront l’exception. Mais il est difficile d'avoir une vue d'ensemble exacte, car beaucoup ne veulent pas anticiper la publication de leur budget. Ce qui se dessine ce sont des recettes légèrement supérieures aux estimations initiales.
Plusieurs cantons ont adopté leurs propres règles en rapport avec l'impôt minimum de l'OCDE. Celles-ci visent généralement à ce que davantage d'argent finisse dans la caisse cantonale et ne doive pas être partagé avec la Confédération. Cela est possible par exemple via une augmentation des impôts cantonaux sur le bénéfice. Il est fort possible que davantage de cantons adoptent cette stratégie si la clé de répartition devait être modifiée en faveur de la Confédération.
Des plus riches on apprend non seulement à économiser, mais aussi à obtenir la plus grosse part.
Traduit et adapté de l'allemand par Léon Dietrich