Economie
credit-suisse

Credit Suisse: tout peut-il à nouveau exploser dans 10 ans?

Cédric Tille - Credit Suisse

Credit Suisse: «L'urgence est passée, mais ça peut exploser dans 10 ans»

La débâcle Credit Suisse précédait celle du Parlement sur la même question. Cédric Tille, spécialiste du monde financier et des systèmes de régulation bancaire, donne son avis – parfois tranché – sur le futur des banques suisses. Interview.
13.04.2023, 06:0913.04.2023, 14:55
Plus de «Economie»

La chute de Credit Suisse (CS) et son rachat par UBS n'en finissent pas de faire des remous. Alors que les détails techniques de l'intégration des services de la deuxième banque du pays dans la première ne sont pas encore connus, c'est la sphère politique qui s'agite.

A Berne, la session extraordinaire destinée à valider – après coup – les 109 milliards de crédits d'aide décidés par le Conseil fédéral n'a pas porté ses fruits. Alors que le Conseil des Etats a fait preuve de confiance envers l'exécutif, c'est le Conseil national qui l'a désavoué. Une majorité composée de l'UDC, du Parti socialiste (PS) et des Verts a refusé par deux fois de soutenir la décision du gouvernement.

Cédric Tille est professeur en économie internationale au Graduate institute de Genève et membre du Conseil de banque de la BNS depuis près de douze ans. Observateur averti des marchés financiers, des banques nord-américaines et des politiques des autorités de régulation, il donne son avis sur ce à quoi pourrait ou devrait ressembler la place financière suisse de demain.

Cédric Tille, Graduate Institute
Cédric Tille.graduate institute

Les débats sur Credit Suisse ont agité le Parlement mardi et mercredi. Davantage de mesures destinées à empêcher une autre faillite ont été demandées. Parmi elles, augmenter le seuil minimal de liquidité. Qu'en pensez-vous?
Je ne suis pas convaincu. C'est la grande leçon de Credit Suisse, qui était parfaitement solvable et faisait des bénéfices: vous pouvez avoir un magnifique bilan, si personne ne vous fait confiance, ça ne sert à rien. Le problème, c'était bien la culture du risque de l'entreprise et son management.

«Et si vous êtes perçu comme peu fiable, les autres établissements ne veulent plus traiter avec vous. C'était le cas avec Credit Suisse depuis plusieurs années»

Le PS, notamment, craint la création d'une «mégabanque». Est-ce un réel danger?
C'est sûr qu'il y aura un problème au niveau de la concurrence domestique. On avait déjà deux très grosses banques par rapport à la taille du pays, et celle-ci va dominer la place bancaire suisse. Mais elle ne sera pas leader dans tous les secteurs d'activités. Les banques cantonales, par exemple, sont très actives dans le domaine de l'hypothèque. Une question se pose: est-ce qu'une petit pays a besoin d'une telle banque – et peut-elle se le permettre? Je ne pense pas que ce soit le cas en Suisse. On peut avoir une place financière forte sans avoir des établissements de cette ampleur. Les capacités de régulation de la Finma seront poussées à leurs limites avec la création d'une telle banque.

Plusieurs parlementaires ont d'ailleurs demandé un renforcement de la Finma...
Notre régulateur doit avoir la capacité de suivre et maintenir un contrôle sur cette mégabanque, avec les outils adaptés. La Finma est un organisme avec des moyens limités, tant au niveau du personnel que de ses pouvoirs. Si on veut avoir des banques globales dont le siège social se trouve à Zurich, il faut être crédible auprès de l'étranger et disposer d'un régulateur à la hauteur. A Washington, on est très critique envers la Suisse. C'est dans l'intérêt de la place financière suisse de renforcer son gendarme pour éviter d'autres débâcles.

«Il faut éviter d'en arriver au point où les autorités étrangères puissent se dire: "Si les Suisses ne sont pas capables de faire le job, nous allons agir en conséquence"»

D'où l'importance d'avoir un régulateur fort?
Si on compare la Finma à ses consœurs de l'Union européenne ou des Etats-Unis, en effet. Par exemple, elle n'a pas le droit de donner des amendes, comme pourrait le faire la Securities and Exchange Commission américaine. Et si le régulateur sonne l'alarme, la politique doit être capable de suivre derrière. A ce sujet, je note qu'une partie de ceux qui ont critiqué la Finma au Parlement, sont ceux qui ne voulaient pas lui accorder plus de pouvoir il y a quelques années.

Autre élément évoqué à Berne: les bonus. Faut-il les couper?
C'est une vraie question. J'ai été sceptique longtemps, mais je reconnais maintenant que couper dans les bonus peut être une stratégie valable. Pas comme punition, mais de manière empirique: si un outil ne fonctionne pas, pourquoi le garder?

«Les bonus sont un outil de performance comme un autre, auquel on peut décider de mettre fin»

Il faut toutefois recentrer le débat: depuis l'initiative Minder, acceptée en 2013, c'est aux actionnaires de décider s'ils veulent accorder des bonus aux dirigeants d'une banque ou non. Et force est de constater que cela n'a rien changé. Si les actionnaires décident d'offrir des paquets indécents, cela les regarde. Il y a une solution pour couper les bonus: faire intervenir le régulateur. Mais si l'Etat doit s'en charger, cela pose d'autres problèmes. Pourquoi couper dans les bonus, et pas les salaires ou s'occuper d'autres aspects, par exemple?

Cette nouvelle grande banque va-t-elle influencer les autres pays européens, qui disposent d'établissements de taille moyenne, qui seraient tentés de fusionner?
Ce serait un problème majeur au niveau de la concurrence. La logique est simple: si on dispose de trois acteurs, ceux-ci savent qu'ils ne sont pas indispensables et vont devoir redoubler d'efforts pour rester à flots. Si les banques commencent à se racheter les unes les autres, le danger est d'arriver à un acteur dominant sur le marché.

«Ce mécanisme de surconcentration est dangereux»

Pourquoi?
D'une part, il sera plus difficile pour cet établissement de se remettre en question. Les champions nationaux, ça finit toujours mal. Ce n'est pas le métier de l'Etat de faire du business. La mentalité «si je suis un champion, j'ai des passe-droits» prend très vite le dessus. Et ça, c'est très malsain. D'autre part, cet acteur sera seul en haut de la pyramide et l'économie du pays en deviendra dépendante. Et si cette banque est en difficulté, cela va devenir un problème pour le pays tout entier.

«C'est un jeu dangereux qui devra s'arrêter à un moment ou à un autre»

Pourtant, il y a un mois, il n'y avait pas vraiment d'autre solution que le rachat de CS par UBS, non?
Il faut que les banques fassent plus attention, mais aussi qu'on arrête de forcément les sauver quand tout va mal. Si une banque a fait toutes les bêtises possibles, c'est fini. Si on avait des banques qui pouvaient disparaître sans que ce soit un drame national, ce serait l'idéal.

«Quand vous savez que vous pouvez faire faillite, ça force à la discipline...»

C'est un sacré tabou que vous évoquez...
C'est comme Swissair: l'entreprise a disparu, on ne s'en porte pas plus mal. Business is business. Le fait que CS ait été racheté ne me dérange pas. Le fait qu'elle ait été rachetée par un établissement suisse me dérange, pour des raisons de concentration. Il aurait même été préférable qu'une banque étrangère rachète CS. Il y aurait eu de la concurrence entre deux grands banques en Suisse. En tant que consommateur, on a tout à y gagner.

Quid de l'aspect historique, identitaire, lié à cette banque?
Il faut déjà se demander ce qui fait la nationalité d'une entreprise... Si c'est la composition de son actionnariat, ça fait belle lurette qu'une grande partie des banques suisses ne sont plus nationales.

Notre avis sur la question 👇

Il ne faut pas se leurrer: ces grandes banques qu'on présente comme notre fleuron sont des banques globales qui ont un side business en Suisse. Ce qui est suisse, c'est le domicile du quartier général et le régulateur. C'est bien pour les impôts, mais c'est à double tranchant: si la banque va mal, ça devient le problème du contribuable suisse, comme en ce moment avec CS.

«En prenant tous ces éléments en compte, le rachat d'une banque par un groupe étranger est-il si traumatisant que ça?»

De nombreux actionnaires qui ont investi ont pourtant perdu des milliers de francs...
Etre actionnaire, c'est dangereux. Il ne faut pas être dans l'émotionnel. Se dire que Credit Suisse était «une banque suisse sûre» comme base d'investissement, c'est une mauvaise stratégie. C'est de la finance de base, il faut investir en fonction.

En cas de menace de faillite de cette mégabanque, les autorités reviendront-elles la sauver?
La question qui me taraude c'est: va-t-on arriver à la sauver, même si on le décide? Une banque peut aussi être «too big to fail» – trop grande pour faire faillite –, mais aussi «too big to rescue» – trop grande pour être sauvée. Voyez l'Irlande, en 2008. Le pays était un modèle de santé économique durant les années 2000, et la crise financière l'a rattrapé et a fait éclater une bulle immobilière insolvable. De nombreuses banques ont fait faillite et le Fonds monétaire international (FMI) a dû venir aider le pays à hauteur de 40% de son PIB! Il est passé en quelques mois d'un «pays magnifique» à une nation sous perfusion du FMI. Se dire que si le système bancaire garantit la réussite et que si les choses vont mal, on sera sauvé par l'Etat, c'est un mirage.

«Imaginez-vous la Suisse sous aide du FMI...»

Est-ce que la Suisse joue au-dessus de ses moyens?
Quelque part, oui. La Suisse a essayé de jouer dans la Banque d'affaires à l'anglo-saxonne et ce n'est pas son métier. Les Goldman Sachs et consorts dominent à ce jeu-là. C'est pas juste, certes, mais c'est comme ça. Les banques suisses sont très fortes dans la gestion de fortune, ce qu'UBS a bien compris avec sa stratégie gagnante. C'est l'occasion de revenir à une certaine «banque ennuyeuse» certes, mais compétente. Celle d'avant la grande libéralisation à l'américaine des années 1980.

Partir sur les marchés américains dans ces années-là, était-ce une erreur?
Wall Street, ce n'est pas la place financière suisse. Se lancer dans l'investissement à outrance, jouer avec les bonus et les gros prêts, c'est très risqué. Une année, ça marche très bien et celle d'après, plus du tout. Et puis, si les banques américaines font une bêtise, par rapport à la puissance économique du reste du pays, elles y provoquent moins de dommage.

«UBS et Credit Suisse ont voulu jouer dans la cour des grands et les deux se sont effondrées, à quinze ans d'écart»

Et puis, les banques américaines ont un régulateur plus costaud qui n'hésite pas à intervenir. En 2008, lors de la crise des subprimes, le secrétaire au Trésor de l'époque Hank Paulsen a convoqué tous les chefs de Wall Street dans son bureau à Washington pour leur passer un savon. Le régulateur a tapé du poing sur la table et l'Etat a pris une participation dans leurs banques.

La Suisse a-t-elle d'autres cartes à jouer?
Oui, il y a la finance d'impact qui fleurit à toute vitesse en Suisse, ce qui est très positif. La finance durable, si vous préférez. On se pose la question de savoir quel est l'impact de nos investissements avec des critères ESG — écologiques, sociaux et de gouvernance. C'est un énorme créneau qui se développe très vite, notamment à Genève, qui devient un pôle leader dans ce segment, où des personnes compétentes développent des outils... Ce n'est pas juste une étiquette écologique, on y trouve des stratégies qui ont du sens et qui séduisent de plus en plus les investisseurs.

Au final, aucune décision importante n'a été prise à Berne cette semaine. Mais la discussion a démarré. Est-ce assez?
Le politique doit avoir une vision stratégique: quelle place financière veut-on en Suisse? Gouverner, c'est prévoir. Le politique doit se projeter dans dix ans et se poser cette question. C'est le problème des crises: une fois passées, on ne fait plus rien.

«Là, l'urgence a été traitée, mais est-ce que nous avons stocké des barils de poudre qui risquent d'exploser de nouveau dans dix ans?»

On ne peut pas continuer à trouver des solutions à moyen terme. Il faut faire un post-mortem de Credit Suisse et se demander si la Suisse a encore besoin ou envie d'avoir des banques trop grandes pour sa place financière.

«Le moment de changer tout ça, c'est maintenant»

Cela tombe bien: une commission d'enquête parlementaire (CEP) pourrait avoir lieu sur la question.
Oui, mais la CEP reste dans un cadre très politique. Je verrais plutôt une grande conférence, où toutes les parties seraient impliquées et qui accoucherait d'un document. Une sorte de «Rapport Bergier» de la place financière suisse (réd: le travail d'une commission d'experts chargés de faire la lumière sur le rôle de la Suisse durant la Seconde Guerre mondiale). On pourrait y inclure du personnel de l'industrie bancaire, la politique et le monde académique. Mais je n'impliquerais pas que des Suisses: des experts de l'étranger apporteraient plus de distance. Il y a un problème d'entre-soi helvétique sur ces questions. Il nous faut des regards extérieurs — et un business plan.

Ce taureau court au milieu d'une banque et provoque le chaos
Video: watson
Ceci pourrait également vous intéresser:
1 Commentaire
Comme nous voulons continuer à modérer personnellement les débats de commentaires, nous sommes obligés de fermer la fonction de commentaire 72 heures après la publication d’un article. Merci de votre compréhension!
1
Trump fait un cadeau aux constructeurs auto américains
Alors qu'il fête ses 100 premiers jours de mandat, le républicain est venu en aide à l'industrie automobile américaine face aux droits de douane en allégeant temporairement leur facture.

Le président américain, Donald Trump, a allégé mardi le fardeau des droits de douane pour les constructeurs automobiles fabriquant aux Etats-Unis avec des pièces importées, notamment en évitant un cumul de ces taxes en vigueur depuis début avril. Cette annonce intervient alors qu'il fêtait mardi soir ses 100 premiers jours au pouvoir lors d'un meeting à Warren, près de Detroit, le cœur de l'industrie automobile américaine.

L’article