Quelques jours se sont écoulés depuis que la ministre suisse des Finances, Karin Keller-Sutter, a dû s'incliner, non seulement devant ses propres compatriotes, mais aussi et surtout devant l'ensemble du monde financier:
Maintenant que l'action d'UBS est fortement à la hausse, il est clair que le gouvernement suisse, avec la participation de la Banque nationale et de l'autorité de surveillance des marchés financiers (Finma), a fait cadeau de la plus petite des deux grandes banques à sa rivale de longue date, UBS.
Certes, cette dernière doit encore verser un prix de consolation de trois milliards de francs aux actionnaires. La banque a également dû prendre des risques dont elle ne pouvait pas évaluer l'ampleur en très peu de temps. Mais, en contrepartie, la société obtient une banque avec un capital propre qui s'élevait encore à 45 milliards de francs fin 2022.
En outre, l'autorité de surveillance des marchés financiers (Finma) a remis à UBS des dettes d'un montant de 16 milliards de francs. Ces titres sont des obligations spéciales avec un taux de déclenchement. La Finma peut faire effacer les dettes si la banque passe en dessous d'un certain taux de fonds propres ou si, selon l'avis des surveillants, elle n'est plus en mesure de se stabiliser.
L'autorité de surveillance sait bien entendu qu'en cas de crise, la loi sur les faillites fait d'abord payer les actionnaires. Ce n'est que lorsque le capital-actions est épuisé pour couvrir les pertes que le capital des créanciers est mis à contribution.
Le fait que, dans le cas de Credit Suisse, une catégorie spéciale de créanciers se retrouve sans rien, alors que les actionnaires reçoivent tout de même ce prix de consolation, est tout à fait étrange dans le paysage du droit international de l'insolvabilité. Les autorités européennes de surveillance bancaire se sont vues obligées, lundi, de qualifier la décision de la Finma de non déterminante pour l'Europe, afin de protéger les banques européennes d'une vente de telles obligations avec taux de déclenchement.
Ce n'est qu'un exemple parmi tant d'autres qui montre que la vente de Credit Suisse s'est déroulée dans des conditions très peu transparentes et étranges. L'utilisation multiple du droit spécial en fait partie: cet instrument a permis d'annuler les droits des actionnaires, qui ne peuvent plus s'exprimer sur l'acquisition lors de leurs assemblées générales comme d'habitude. La commission de la concurrence a également été mise hors jeu. Son travail consiste à examiner de près les fusions plus petites que la fusion actuelle des deux plus grandes banques du pays. Pour une bonne raison: il est prouvé qu'une situation de concurrence insuffisante dans un secteur clé a des conséquences négatives sur l'économie et la prospérité d'un pays.
La commission nationale des OPA, chargée de veiller au respect des dispositions légales lors de l'acquisition d'entreprises cotées en bourse, ne s'est pas encore exprimée.
L'annulation arbitraire des droits des actionnaires est un poison pour la sécurité juridique, et donc aussi dommageable pour la place économique suisse que le privilège accordé par l'Etat à un acteur dominant de la concurrence bancaire. La fusion des deux géants fait de nombreux dégâts dans notre pays. Sans oublier les nombreuses personnes qui pourraient bientôt perdre leur emploi.
Il est totalement invraisemblable de supposer que les autorités suisses n'ont pas imposé la fusion des banques en étant conscientes de ces effets secondaires hautement dommageables pour l'économie suisse. Il est également clair qu'il existait des alternatives. Le Credit Suisse aurait pu être nationalisé et, une fois la situation apaisée, revendu plus tard en pièces détachées à des investisseurs privés.
Apparemment, un tel scénario était aussi dans l'air, du moins indirectement, comme le suggère le Financial Times dans une présentation des récents événements, publiée mardi. Selon le journal, le géant financier américain Blackrock a fait part de son intérêt pour reprendre une partie de Credit Suisse...
«L'alternative la plus crédible était Blackrock. Mais ce n'était pas ce que voulait le gouvernement suisse», cite une personne proche du dossier dans le Financial Times. Pourquoi Karin Keller-Sutter ne voulait pas de la solution Blackrock, elle n'en a rien dit. Un nombre incroyable de choses sont simplement tues. Cela inclut une justification en bonne et due forme qui légitimerait les déformations juridiques mentionnées.
Il va sans dire qu'une liquidation du Credit Suisse selon le schéma «too big to fail» aurait également été une possibilité. Les lois «too big to fail» ont été créées dans tous les pays occidentaux après la crise financière de 2008. La Suisse a aussi une loi sévère dans le domaine. Mais dimanche soir, elle est restée dans les tiroirs des autorités.
De fait, la variante d'une reprise de Credit Suisse par UBS était apparemment sans alternative. C'est ce que soutiennent, aujourd'hui, toutes les autorités et les représentants de la place financière en Suisse, y compris le président de l'Association suisse des banquiers Marcel Rohner.
Mais ce discours n'est pas très crédible. Il semble plutôt que le rachat de Credit Suisse par UBS ait été l'option préférée par les autorités étrangères et que la Suisse ait dû la mettre en œuvre. Cette thèse est soutenue par le conseiller d'UBS qui déclare dans le récapitulatif du Financial Times mentionné plus haut: les Suisses ont été soumis à une pression extrême de la part des autorités de régulation mondiales pour agir plus rapidement et de manière plus décisive afin d'éviter la panique sur les marchés. Les Américains et les Français, en particulier, ont «fait vivre l'enfer aux Suisses.»
Une nationalisation directe de Credit Suisse aurait montré au monde de manière radicale que les lois «too big to fail» créées après la crise financière étaient en réalité destinées à la poubelle. La Suisse a joué le jeu pour le bénéfice de tous les gouvernements, afin de préserver le décor d'une régulation mondiale stabilisante des marchés financiers.
L'application unilatérale de la loi «too big to fail» en Suisse n'était apparemment pas envisageable pour les régulateurs mondiaux des marchés financiers. La peur d'une escalade de la crise de confiance, qui aurait pu déboucher sur une nouvelle crise financière, était bien trop grande. Les conclusions sont simples et devront bientôt être discutées politiquement en Suisse: