En 2019, des bibliothèques du sud-ouest de l'Ontario, au Canada, ont jeté, brûlé et enterré quelque 5 000 livres pour enfants sur décision du Conseil scolaire catholique Providence, a appris cette semaine Radio-Canada. Le défaut de ces ouvrages? Présenter des clichés au sujet des peuples autochtones du continent.
Parmi les cibles, le livre Pocahontas, issu du dessin animé éponyme de Walt Disney, ainsi que des albums de Tintin, d'Asterix ou encore de Lucky Luke. Les cendres des livres brûlés ont servi d'engrais pour la plantation d'un arbre. Le tout, au nom de la «réconciliation avec les Amérindiens».
Devant cette nouvelle, je me suis écrié mentalement: des BD de Tintin et d'Asterix servent d'engrais qué-bé... quoi? Puis, j'ai bien vite compris la logique de cet autodafé: le combat contre l'intolérance justifie les méthodes nazies.
On ne penserait pas à relever ce cas d'école du raisonnement absurde s'il ne traduisait une tendance de fond aux conséquences dangereuses. Pas tant pour le passé – après tout, il n'existe plus – que pour le présent et pour l'avenir. Voyons pourquoi.
Déjà, à force d'entendre que le racisme et les clichés sont partout – dans les smileys, les langues anciennes, les chansons de Brel, la nourriture française – les gens vont finir par se dire que le racisme n'est nulle part. C'est une donnée qui s'appelle la contre-productivité et qu'un môme peut comprendre. L'affaire de ces livres brûlés ne fait pas exception.
Mais faisons un pas de plus en supposant que les albums visés de Tintin ou d'Asterix soient bel et bien racistes. Faisons même l'hypothèse qu'absolument tout ce qui nous a précédés soit nauséabond, inacceptable. Pourquoi, ô grand pourquoi, vouloir l'effacer? Pour ne pas reproduire quelque chose que nous estimons contraire à nos valeurs, il faudrait déjà pouvoir nous en rappeler.
Tuer le passé, c'est tuer la possibilité de le connaître. Il y a quelque chose de profondément illogique dans la démarche de la cancel culture. C'est pire qu'une idée avec laquelle on serait simplement en désaccord. Ce n'est pas de la raison utilisée à mauvais escient, c'est une absence de raison. Il n'est donc pas possible de raisonner avec les tenants de cette religion.
Il y a assurément de quoi se faire du souci en observant les élus du Parti libéral canadien, le Premier ministre Justin Trudeau en tête, ou les intellectuels relativisant cette saynète. Le plus inquiétant ne réside certainement pas dans l'aberration de la cancel culture et de ses conséquences, mais bien dans le côté, désormais banal, de ces opérations de censure. On n'est plus guère surpris d'être surpris.