En Suisse, on vit plus souvent en Absurdie que dans une cabane. Au milieu d'une forêt de la région de Thierrens, dans le canton de Vaud, des fonctionnaires ont découvert une cabane, un petit abri et un pont construits par cinq ados. Une aventure amicale et inter-villageoise ayant coûté de l'effort et de longs mois. Les ados ont dû démonter leur œuvre, malgré l’accord du propriétaire des lieux et le comportement exemplaire du quintet.
C'est que ce genre de constructions est illicite. Selon l'inspecteur cantonal des forêts Jean Rosset, cité dans le journal 24 heures, il en va de la «protection des écosystèmes». En plus, le nombre de cabanes sauvages aurait enflé avec la pandémie. Mais le responsable est formel: la population suisse est chanceuse, elle jouit d'un «libre accès à la forêt.» No comment.
«Dura lex, sed lex» – la loi est dure, mais c'est la loi. Toujours est-il qu'elle n'est pas toujours faite pour être appliquée. La loi est parfois là pour donner un cadre général et ainsi porter un message. A savoir, dans le cas qui nous occupe: on ne fait pas ce qu'on veut dans une forêt, il faut respecter sa faune et sa flore.
C'est comme ça que je comprends «l'interdiction de construire une cabane» et que je peux la tolérer. Mais ces mots me procurent quand même une sorte de malaise. Quelle froideur que l'application de cette règle étatique alors que l'édification de cabanes est bien souvent synonyme de souvenirs lumineux de gosse! Je dirais même que c'est le symbole par excellence d'une «enfance bon enfant.» La matérialisation d'un réconfort et la possibilité d'une initiative.
Cette actualité, je l'ai donc lue avec des yeux d'enfant. Je ne pouvais pas faire autrement: un peu comme tout le monde, j'ai eu une vie où j'adorais aller «à la cabane» scier quelques arbres et faire des trucs (ma collègue Margaux me glisse à l'oreillette que ce fut aussi son cas, et ça me la rend encore plus sympathique.)
Que les choses soient claires: je ne m'oppose pas à l'interdiction des cabanes, ni à ce cas en particulier. Je dis plutôt: tant mieux que ces lois existent, pour qu'on puisse les narguer. Les frontières sont là pour qu'on les franchisse, les limites pour qu'on les dépasse. Modérément, cela va sans dire.
J'encourage donc tous les gosses à continuer à aller faire des cabanes. Pour qu'ils entreprennent des choses, pour qu'ils pratiquent l'entraide et la débrouillardise, pour qu'ils développent des savoir-faire et des imaginaires. Bref, pour qu'ils apprennent la vie. J'espère pouvoir le dire dans une chronique sans être sous le coup de la loi. Sans quoi j'irai me réfugier dans une cabane secrète. Je touche du bois.