L'époque où les rois et les empereurs influençaient le conclave à leur avantage est révolue. Tout au plus, des leaders politiques actuels comme le président américain pourraient-ils discréditer certains candidats par des campagnes de désinformation. Dans l'élection de ces jours, les critères géopolitiques se limitent en grande partie à l'origine géographique des papables, qu'ils viennent du vieil Occident ou du Sud global en pleine expansion.
Les facteurs déterminants seront des éléments internes à l'Eglise, des héritages, en quelque sorte, du pontificat de François, qui auraient dû libérer l'Eglise de sa focalisation sur la sexualité et l'ouvrir aux croyants en «relations irrégulières». Ce sont justement ces conceptions théologiques morales désuètes qui devraient complexifier le conclave.
Le philosophe autrichien Josef Seifert a précisément demandé par écrit au pré-conclave de clarifier l'accusation d'hérésie contre François avant la nomination de son successeur. Certains n'ont toujours pas digéré son exhortation Amoris laetitia de 2016, qui autorise les divorcés remariés à recevoir la communion, sous certaines conditions. Les conservateurs ont redouté que cela ne menace l'indissolubilité du mariage. Ils se sont révoltés et ont fait passer François pour un hérétique.
D'autre part, le Fiducia supplicans de 2023 divise l'Eglise et les cardinaux. François y autorisait une bénédiction extra-liturgique instantanée pour les couples de même sexe, sans pour autant légitimer de telles relations. Les conservateurs ont aussitôt senti une rupture totale avec la tradition biblique et ecclésiastique. L'Eglise catholique africaine a rejeté en bloc cette bénédiction, la considérant comme une «colonisation occidentale», et l'a purement et simplement suspendue sur son continent.
Les 18 cardinaux électeurs africains vont maintenant tenter, sous la direction du puissant archevêque de Kinshasa, Fridolin Ambongo Besungu, de faire barrage à un candidat libéral et partisan de la bénédiction des homosexuels. Comme le pape doit être élu à la majorité des deux tiers, ils devraient parvenir, en association avec de nombreux autres conservateurs (comme Müller, Woelki, Burke, Sarah et Dolan), à constituer au moins une minorité de blocage contre les profils progressistes.
Les 133 cardinaux pourraient ainsi s'engager dans une bataille épuisante jusqu'à la désignation d'un candidat modéré de compromis. Celui-ci devrait avoir en commun avec François une sympathie incontestée en faveur des pauvres et des marginalisés, mais il lui faudra dans le même temps défendre des positions traditionnelles en matière de morale.
François a créé un majorité auprès des porteurs de pourpre en raison de son engagement en faveur des plus démunis. C'est d'autant plus vrai pour les cardinaux du Sud, qui représentent désormais une moitié des électeurs. On oublie que, parmi ces derniers, seule une minorité est réformiste au sens occidental du terme.
Il est, par conséquent, très probable que le corps électoral, désigné à 80% par François, ne désigne justement pas un candidat comme lui pour lui succéder, mais un candidat de compromis, probablement issu du Sud. Le Sud-coréen You Heung-Ski, chef du dicastère pour le clergé, le Birman Charles Bo, ou l'archevêque hongrois Peter Erdö pourraient se trouver en bonne posture.
Ce conclave devrait donc rimer avec un changement de cap, et pas avec la continuité linéaire du pontificat de François. Le pronostic du vaticaniste Marco Politi, selon lequel le nouvel élu pourrait récolter ce que François a semé, est un pur vœu pieux qu'on obtiendra qu'au prix de la division.
François a exploité une certaine marge de manœuvre, mais il n'a pas franchi la ligne rouge de la doctrine intangible. L'Eglise catholique romaine est liée à un paradigme pré-moderne et elle n'est pas compatible, de par sa doctrine toujours valable, avec les postulats de réforme, comme le sacerdoce féminin, le célibat choisi, la participation démocratique et la sexualité éclairée.
(Traduit de l'allemand par Valentine Zenker)